PLONGÉE DANS L’UNIVERS MYSTÉRIEUX DES CORDONNIERS
Sortilège, malédiction, rencontres inopportunes…
Souvent, on croit à tort ou à raison que porter un talisman protège. quoi qu’il en soit, il y a des gens habilités qui les confectionnent. Malgré leur initiation, ces derniers sont victimes de sortilèges, de malédictions et font souvent de rencontres avec des djinns. «L’As» vous plonge dans l’univers des cordonniers.
Fass, un quartier populeux de Dakar. A quelques encablures du marché de ladite localité se trouve un vieux du nom de Mor Ngom Mbow, la soixantaine passée, courbé et les yeux fixés sur un talisman. Sa spécialité, c’est coudre des amulettes qu’il enveloppe dans des peaux d’animaux de toutes sortes. Tout autour de Mor Ngom Mbow, le décor offre des queues de vaches, des cornes, des os, des têtes de bêtes sauvages, et autres carapaces d’animaux, … Pour se protéger du soleil de plomb, le vieux cordonnier recouvre son étal de fortune avec des sacs de riz vides, qui font office de bâche de protection. En sueur et malgré le poids de l’âge, il ne laisse apparaître aucun signe de fatigue. Et pourtant, il est spécialisé dans la confection d’amulettes depuis plus de quarante ans. Mor Ngom Mbow a eu à voir des choses irrationnelles. Il confie : «Depuis plus de quarante ans, je travaille comme cordonnier. J’ai tout vu dans ce métier, mais avant de l’exercer, mon grand-père maternel qui m’a initié, a fait tous les sacrifices afin que je ne subisse pas les conséquences néfastes de certains esprits maléfiques après la confection de gris-gris. Malgré cela, le pouvoir de certains gris-gris se manifeste parfois sur ma personne».
A l’en croire, il a eu la surprise de sa vie lui le jour où il a interrompu la confection d’un gris-gris pour aller se soulager. «Une fois que je me suis levé, le gris-gris laissé sur la table est tombé soudainement. Il s’est retrouvé à mes pieds et avait un poids énorme à tel point que je ne pouvais pas me lever. Là, je me suis rappelé qu’on m’avait demandé de ne plus me lever une fois que je commence à coudre une amulette», rapporte Mor Ngom Mbow. Il a vécu également une autre expérience plus désagréable. «Un jour, une jeune dame peulh est arrivée dans mon atelier vers 14 heures quand le muezzin appelait à la prière avec une feuille sur laquelle elle a mentionné en arabe ce qu’elle voulait. Elle m’a donné une canne et une peau d’animal de couleur noire que je n’avais jamais vue de ma vie en me demandant d’enrôler la peau avec 7 cauris aux extrémités du bâton. Elle me paya 7 770 F Cfa sans pour autant que je ne lui fixe le prix», confie le vieux cordonnier. Poursuivant, il ajoute que la dame n’a pas ouvert une seule fois sa bouche pour parler au cordonnier. «Quand je lui ai remis son bâton, elle m’a tourné le dos et après avoir traversé la rue, elle a mystérieusement disparu. Trois jours plus tard, j’ai commencé à faire des rêves bizarres. Et puis un jour, j’ai vu en rêve un homme qui me disait que ce bâton que m’a remis la femme peulh est un enfant volé, qu’elle a «transformé mystérieusement» en bâton. Dans le rêve, le vieil homme a arraché le bâton à la dame, qui l’avait jeté dans un fleuve d’une eau noirâtre. Ensuite, j’ai vu un enfant sortir de la canne», affirme-t-il. Interprétant le rêve, Mor Ngom Mbow, soutient, qu’en réalité la jeune femme peulh était un djinn. «Je suis tombé malade pendant 40 jours. N’eût été l’aide de certains grands marabouts du Saloum, j’allais peut être mourir», explique-t-il.
LE METIER DE CORDONNIER DE GRIS-GRIS ETAIT RESERVE AUX INITIES
Un autre cordonnier rencontré à la Patte d’Oie confie que ce genre de métier était pratiqué par des gens «initiés». Selon lui, au temps, pour être un cordonnier de gris-gris il fallait faire certaines offrandes pendant des jours pour se prémunir du mauvais sort. Lui, se nomme Gorgui Galaye Sylla, il est originaire de Touba et a exercé ce métier depuis 25 ans, d’abord à Touba puis à Dakar. Comme le vieux Mor Ngom Mbow, il soutient que ce métier ne nourrit pas son homme, malgré les énormes risques. Le prix de la confection des gris-gris dépend de la taille, du poids et du type de peau. Il varie entre 500 F et 10 000 F par talisman. Au départ, Gorgui Galaye Sylla n’avait pas voulu faire des confessions sur ses mauvais souvenirs du métier. «J’ai repris le travail, il y a de cela deux jours. Je suis tombé malade après avoir confectionné pour un homme très riche en apparence une amulette. Il a garé un rutilant bolide que tout le monde admiré. Il portait un beau boubou Getzner de couleur grise. Il m’a donné une viande assez particulière et je puis vous affirmer que c’est de la chair humaine, 16 aiguilles, de la peau de lion et d’un mètre de tissu de linceul», détaille M. Sylla. Il devait envelopper le tout d’abord dans la peau du lion et ensuite l’enrober avec le tissu et le coudre. «Il m’a demandé de fixer un prix. Je l’ai confectionné et puis je lui ai demandé 15 000 F qu’il me donna cash et 10 000 F de plus pour me remercier du service. Mais une fois l’homme parti, j’ai commencé à ressentir des maux de ventre terrible. J’ai plié bagages pour rentrer. Pour me soigner j’ai du dépenser plus des 25 000 F qu’il m’avait payés», raconte M. Sylla.
GORGUI GALAYE SYLLA : « UN JOUR, UNE DAME M’A DONNE UN SLIP DE FILLE TACHE DE SANG ET UNE PAIRE DE CHAUSSURES D’HOMME AVEC QUELQUES PLUMES DE VAUTOUR LE TOUT A ENROLER AVEC UN TISSU NOIR…»
La mésaventure de Gorgui Galaye Sylla ne s’est pas arrêtée là. Un jour, raconte-t-il, une dame lui a donné un slip de fille taché de sang et une paire de chaussures d’homme avec quelques plumes de vautour le tout enrôler dans un tissu noir. «Je lui ai fait le travail et elle m’a remis 3 000 francs. J’étais tellement surpris que je me suis ouvert à un cousin féticheur résidant à Joal. Il m’a dit que ce genre de sacrifice est destiné en général à empêcher à une jeune fille de se marier ou à avoir des enfants», renseigne le cordonnier. Quant aux chaussures, il s’agit d’exiler le propriétaire contre son gré. Aujourd’hui, M. Sylla regrette d’avoir confectionné ce talisman maléfique à la dame. Parfois malheureusement le métier peut virer au drame pour certains. Car le pouvoir de certains talismans peut à long terme s’abattre sur le confectionneur. Cela est parfois dû aux forces puissantes de ces gris-gris. C’est du moins ce que nous confie M. Seck un cordonnier qui préfère garder l’anonymat. Lui, contrairement aux autres cordonniers est jeune. La trentaine révolue, il exerce ce métier depuis 2001. Il a commencé à travailler à Pikine avant de déménager aux Parcelles Assainies. Parce qu’on est en contact permanent avec les esprits. A notre question de savoir quels sont ces clients, il nous dit que la plupart d’entre eux sont des femmes, des hommes anonymes, des célébrités des fois (politiciens artistes ou même des lutteurs) parce qu’il dit, «parfois certaines célébrités viennent ici parfois enturbannés ou même viennent me chercher pour m’amener chez elles par peur de se faire reconnaître une fois à ma place». Il ajoute : «J’ai confectionné un talisman avec une peau d’hyène pour un politicien très connu au Sénégal. Il est venu ici enturbanné avec des habits très grands et personne ne le reconnaissait. J’ai su que c’était lui quand j’ai vu mentionner sur la peau de l’hyène son nom et celui de sa mère».
Aussi, ajoute-t-il mon plus grand souvenir reste le jour où un célèbre lutteur de Pikine m’a amené dans les cimetières de ladite commune pour lui confectionner, et cela avant l’aube, trois gris-gris. L’un c’est une tête de chien enveloppé sur un tissu rouge l’autre une ceinture avec la peau d’un serpent, boa et le troisième cent treize cauris plus une dent de lion, le tout enveloppé sur une peau d’animal. On est parti vers une heure du matin et j’ai pu terminer avant le premier appel du muezzin pour la prière de l’aube. Il est resté longtemps invaincu il est devenu riche dans l’arène et beaucoup de ses enfants et de ses frères sont à l’étranger». Quand on lui demande de nous expliquer est-ce qu’il a vu un collègue mourir des suites d’une maladie attrapée après avoir confectionné un talisman pour une tierce personne. Il nous répond avec fermeté par l’affirmative. «J’ai un ami qui est décédé il y a 9 ans de cela un jour un homme est venu lui dire de lui confectionner un talisman mais durant tout le travail, il devait se taire et ne pas piper un seul mot. Alors par inadvertance une personne est venue lui demander une information par erreur, il a parlé et soudainement le grisgris s’est transformé en serpent et l’a mordu. Il est mort sur le coup. La personne qui lui a parlé est devenue folle maintenant. Voilà un exemple des pouvoirs extrêmement intenses du grisgris et jamais on a retrouvé l’homme pour lequel il faisait ce talisman». Il poursuit son historiette en expliquant avoir aussi vu un autre cordonnier mourir après la prière du vendredi après la confection d’un gris-gris pour un homme, un après-midi du dernier mercredi de sa vie. «L’homme est décédé le vendredi après la prière de quatorze heure mais d’après les explications de son neveu avec qui il travaillait, un homme lui a demandé de lui confectionner un talisman mais il devait être seul et être en tenu d’Adam durant le travail après il lui a payé 75 000 F. Il était si content de cette somme qu’il disait à son neveu qu’il a eu en une seule journée ce qu’il peut gagner en un mois voire deux. Le lendemain il est tombé malade et le surlendemain, il est décédé en criant et faisant allusion au talisman confectionné le mercredi. Il a nourri de forts regrets avant sa mort. Mais malheureusement, il s’est éteint», dit-il. Comme pour dire que pour arriver à leurs fins, certaines personnes sont capables de commettre l’irréparable. Il y a des personnes qui pour gagner dignement leurs vies sont capables de faire certains travaux même au prix de leur vie pour s’en sortir. Le métier de cordonnier est risqué mais ses pratiquants y vont avec leurs craintes et leur foi, en bandoulière