QUAND L’ENJEU DU BOIS BAFOUE LA LOI SOUS TOUS LES TOITS
Après le relatif répit imposé par la Covid-19, le trafic de bois reprend progressivement en Casamance. Pour cause, les trafiquants refusent à leur tour d’aller au chômage et reprennent les tronçonneuses, quoique de façon timorée
Après le relatif répit imposé par la Covid-19, le trafic de bois reprend progressivement en Casamance. Pour cause, les trafiquants refusent à leur tour d’aller au chômage et reprennent les tronçonneuses, quoique de façon timorée. Les Forces de défense et de sécurité, quant à elles, renforcent la veille sentinelle, même si la complicité des populations locales altère leurs stratégies de lutte, de prévention et de dissuasion. Par endroit, des hommes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), à travers leurs différentes branches, s’érigent en boucliers pour promettre l’enfer aux coupeurs de bois. L’enjeu est grand. C’est une question de vie pour les uns, de survie pour d’autres et de mort certaine pour certains.
Les coupeurs de bois, dans les forêts de la région naturelle de la Casamance (Sud), gardent leur posture de surdité face aux nombreuses dénonciations du trafic illicite à grande échelle. Certes, le phénomène existe depuis bien des décennies, mais le processus a connu un regain dévastateur à l’aube du 21e siècle. D’abord, ce fut les autochtones qui abattaient des arbres pour leurs consommations locales notamment la couverture des maisons, le bois de chauffe et la carbonisation. Ensuite, l’introduction des compagnies multinationales comme des Chinois et des Indiens a donné un coup de fouet à ce trafic. Comme une sorte de troc à la triche, ces Asiatiques proposent des motos cylindrées aux populations locales jeunes, contre des troncs d’arbres ou billions de bois abattus debout (sur-pied). Comme un effet de mode, ces motos sont très prisées par ces jeunes qui s’en servent, à leur tour, pour soit organiser un trafic de marchandises de la Gambie vers le Sénégal, ce qui, du reste, tue l’économie nationale du Sénégal, soit ces jeunes exploitent ces engins pour le transport de personnes, comme des «taxis brousse» ou encore de trafic illicite des stupéfiants entre la Gambie, le Nord Sindian (Bignona) et la Guinée-Bissau.
LA GAMBIE : LE VER DANS LE FRUIT VERT DE LA CASAMANCE
La région naturelle de la Casamance est sujette à un conflit armé indépendantiste, depuis 37 ans maintenant. L’insécurité ambiante créée par cette rébellion fait, sans doute, le lit de ce pillage à grande échelle sur le couvert végétal. Entre 2000 et 2010, le regain de la violence avait estampillé certaines zones du Nord de la Casamance «zones de No Man’s land». C’était le cas pour le Nord Sindian, Diouloulou, Nord Kabada, Tankon, Médina Yoro Foula, sur leur lisière frontalière avec la Gambie. Outre les populations locales qui entretenaient ce commerce de bois, des hommes de tenue affectés en Casamance, influents de par leur grade ou rang, extirpaient tout aussi du bois (le vène surtout) qu’ils convoyaient, en son temps, via le défunt bateau Le «Joola» pour se faire confectionner des meubles, lits, protes et autres mobiliers à Dakar et autres régions du Nord d’où ils sont originaires. De leur côté, certains hommes du maquis en vendaient aussi, pour assurer leur subsistance. La République de Gambie, non loin de là, fait office de point de transit, avec le port de Banjul d’où étaient embarqués des billons de bois vers l’Asie.
Selon nos sources, la qualité du bois casamançais était très prisée pour la construction navale. Et pourtant, la Gambie développe une politique sévère de protection de ses massifs forestiers. C’est parce qu’elle n’en dispose pas assez aussi. Ce pillage est facilité par des chefs de village qui produisaient des laissez-passer, au temps, même sur du papier d’écolier, avant que l’Etat du Sénégal n’en prenne conscience et ne décide à y mettre fin. Et ce, à la suite des vagues de dénonciations dont nos articles de presse en veille sentinelle.
L’ETAT DU SENEGAL REPREND LE CONTROLE, LE MFDC S’ERIGE EN DEFENSEUR DES FORETS !
Mesurant à sa juste ampleur l’amplitude du pillage du couvert végétal sur son sol, l’Etat du Sénégal a décidé de reprendre le contrôle des forêts, pour éviter de faire face à un désert dans un futur proche. En 2015, le ministre des Forces Armées d’alors, Augustin Tine, avait déploré le fait que «le bois coupé au Sénégal soit déporté dans les pays voisins comme la Gambie où sont installés les Chinois depuis belle lurette».
Ainsi et pour barrer la route à ces trafiquants, l’Armée, les agents des Eaux et Forêts, la Gendarmerie et toutes les Forces de défense et de sécurité sont instruites pour agir ensemble contre le trafic de bois. C’était à l’occasion d’un Comité régional de développement (CRD) tenu à Kolda, le 25 juin 2015, sous la présidence de Abdoulaye Bibi Baldé, alors ministre de l’Environnement et du Développement durable. «Nous allons renforcer le dispositif et même sur le plan institutionnel, quitte à légiférer pour alourdir et accroître la répression. Parce que le problème devient de plus en plus inquiétant. Le Sénégal perd chaque année 400 hectares de forêt, du fait de l’action néfaste de l’- homme sur cette ressource», avait déclaré le ministre. Il avait, en outre, annoncé le recrutement de 400 agents des Eaux et Forêts pour accroître la traque des trafiquants. De son côté, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), via ses différentes branches, a pris conscience que le pillage sur les forêts laissera place à un désert en Casamance. Et, depuis cinq (5) ans, des hommes du maquis s’organisent à leur manière contre les coupes de bois. Il en ressort, hélas, les événements de BoffaBayotte qui continuent sous forme de menace ostensible et préjudiciable à la paix sociale.
LE MAL TOUJOURS ACTUEL !
Pandémie à coronavirus où réelle propension à l’abandon, la pratique de coupe illicite de bois a considérablement baissé, comparativement aux années précédentes. Toutefois, le mal reste toujours actuel, mais à des proportions moindres. De temps à autres, les forestiers mènent des opérations et immobilisent des charrettes et camions remplis de billons de bois coupés. Pour nombre de citoyens, l’Etat du Sénégal doit développer une politique durable de protection de ses massifs forestiers, avant que la clairière définitive ne s’installe hélas en Casamance. Si l’ancien président gambien déchu, Yaya Jammeh, est traqué comme un mal propre et bourreau des forêts casamançaises, son successeur, Adama Barrow, peine manifestement à installer son leadership pour barrer la route au vol de bois vert du Sud du Sénégal vers son pays. De là à se demander si des lobbyings puissants ne paient pas son silence pour faire prospérer leur business, il n’y a qu’un pas que certains n’- hésitent pas à franchir. Au cas échéant, qu’est-ce qui empêcherait le président Macky Sall du Sénégal à porter un regard sur le sort de ses massifs forestiers, avant qu’ils ne deviennent du sable volant. Mais, en attendant, seul le patriotisme de terroir des populations locales, sous l’influence d’une prise de conscience réelle, peut aider à tirer le Sénégal d’affaire. Et le mal cessera quand chaque citoyen comprendra que la forêt n’est ni pour le président Macky Sall, ni pour le maire de leur collectivité, mais pour toute la communauté, dont celle environnante. Le modèle des forêts communautaires existe pour illustrer une exploitation rationnelle et durable des forêts sans donc en compromettre le lendemain. Sinon, demain, la mort !