SÉNÉGALAIS MORTS DANS LA DIASPORA, UN BILAN MACABRE
À l’occasion de la Journée Mondiale du Migrant, Horizon Sans Frontières a dressé hier, le bilan des Sénégalais décédés dans la diaspora en 2021
À l’occasion de la Journée Mondiale du Migrant, prévue demain (aujourd’hui), Horizon Sans Frontières a dressé hier, le bilan des Sénégalais décédés dans la diaspora en 2021. La rencontre a permis aussi de discuter d’autres sujets relatifs aux questions migratoires
Les révélations ont indigné plus d’un. Les chiffres donnés par Boubacar Séye constituent un choc terrible ! Lors d’une conférence de presse organisée hier, le Président d’Horizon Sans Frontières (HSF) a fait savoir qu’en 2021, vingt-cinq de nos compatriotes ont été assassinés ou sont morts dans des circonstances troubles. C’est presque deux morts par mois. Et pour préciser, il estime que 60% de ces victimes ont été enregistrées en Europe et 24% aux États-Unis. Tandis qu’en Afrique, on a noté 16% de cas.
Pour M. Séye, ce taux élevé de morts survenues en Europe peut s’expliquer par le bouleversement du monde causé par la pandémie de COVID-19. Il donne les détails : ‘’Nous avions déjà alerté que l’ère post coronavirus risque d’être marquée par des tensions géopolitiques liées à la migration, parce qu’il y aurait la théorie de remplacement. Et on l’a vu aujourd’hui, avec ce qui se passe. Toute l’Europe est en train de glisser vers l’Extrême droite. En France, par exemple, la migration est devenue un enjeu électoral, une marchandise de commerce pour les dirigeants qui ont malheureusement tous échoué dans leur idéologie classique’’.
L’indifférence de l’État vis-à-vis de cette situation n’a pas plu au chercheur en migrations internationales. ‘’Quand de telles circonstances se produisent, on aurait souhaité que l’État du Sénégal se constitue en partie civile, ne serait-ce que diligenter une enquête. Mais hélas, ce n’est pas le cas’’. Il est d’autant plus indigné que, l’année passée, 28 morts ont été enregistrés sans aucune communication de la part des autorités étatiques, à l’en croire. ‘’La moindre des choses à faire dans de pareilles circonstances, c’est de protester’’.
Plus de 1100 morts dans la Méditerranée, dans le premier semestre de 2021
Au premier semestre de 2021, renseigne-t-il, on parle de plus de 1100 morts dans la Méditerranée et plus de 15.300 personnes renvoyées en Lybie. ‘’Ces chiffres nous interpellent. La migration continue de dévoiler dans nos sociétés en situation de vulnérabilité chronique, des conséquences incalculables. Des jeunes souffrent dans le désert du Niger et sont toujours en attente d’être rapatriés. Actuellement, selon les informations reçues, vingt-neuf jeunes Sénégalais sont rentrés et quinze sont toujours à Agadès, au Niger.
Une situation qui le pousse à conseiller l’État d’avoir une oreille attentive pour les jeunes. ‘’Il faut faire de la jeunesse une priorité’’, lance-t-il, avant d’enfoncer le clou. ‘’Aujourd’hui, cette priorité, dans un pays comme le nôtre, c’est l’emploi des jeunes. Mais la mauvaise gouvernance obstrue sans cesse les perspectives d’épanouissement des couches les plus vulnérables. Ainsi, il faut lutter contre les inégalités. Il nous faut une justice sociale pour éviter le chaos’’.
Les questions identitaires constituent, de nos jours, une problématique pour la mondialisation et surtout pour la migration. Des pays sont même en train de pousser plus loin. Selon M. Séye, on discute déjà de ces questions avec, par exemple, la probable création d’un ministère de l’Identité en France. ‘’En France, terre de migration, qui a un statut social particulier par rapport aux autres pays européens, on parle de la création d’un ministère des Migrations et de l’Identité. C’est extrêmement grave ! C’est un véritable danger qui nous guette’’.
‘’C’est l’esclavage dans le désert’’
Les témoignages des migrants renvoyés dans le désert sont unanimes. C’est l’horreur dans ce lieu. Leur représentant, en l’occurrence Modou Thiaw, 38 ans, fustige l’irresponsabilité de l’État. ‘’Il n’écoutait pas nos cris, quand on nous a retenu dans le désert. C’est grâce à Boubacar que notre situation est entendue et connue des Sénégalais. À partir d’Algérie, on a confisqué tout ce que nous avions avec nous, on nous a malmenés et jetés à la frontière. L’Ambassade du Sénégal, quant à elle, est restée les bras croisés’’.
Pour aller plus loin, il révèle : ‘’L’Organisation Internationale pour la Migration avait promis de nous soutenir, dans nos pays d’origine. Mais, arrivés à l’aéroport de chez nous, aux environs de 19h, certains de ses membres nous ont retenus encore, et nous étions là jusqu’à 22h, sans tenir ses promesses, d’ailleurs. Parmi nous, des gens avaient fini par avoir des troubles mentaux. Malheureusement, personne ne les a soutenus. Je me rappelle, c’était au mois d’Aout, une grande pluie s’abattait sur nous. Les uns devaient rentrer en Casamance, les autres dans des endroits très reculés. C’était très difficile. Il y en eu parmi nous, quelqu’un dont nous avons plus de ces nouvelles depuis qu’il a quitté l’aéroport. Nous sommes vraiment tristes pour le traitement réservé aux jeunes de ce pays !’’.
Amadou Diagne fait partie des jeunes Sénégalais renvoyés au Niger. Ce jeune homme de vingt-neuf ans a été intercepté en Algérie puis renvoyé au Niger. Il revient sur les péripéties du voyage : ‘’Je suis passé par le désert pour arriver en Algérie avant d’être conduit au Niger. Mais, à vrai dire, ‘’c’est inhumain ce qui s’y passe. Les Algériens nous ont expulsés. Arrivés au Niger, nous avons trouvé sur place des membres de l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM). Ils nous ont confinés pendant quatorze jours. On ne mangeait pas bien. Les conditions sont vraiment déplorables. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce sont les Européens qui donnent de l’argent quand les migrants sont expulsés. Tout ce que nous mangions était donc financé par eux. Il y a une petite tante en guise d’abris. Arrivé, on te donne des chaussures, du savon… Parfois, il n’y a même pas de toilettes. Dans certains lieux, pour faire ses besoins, les gens se dispersent dans la nature. On nous amenait d’une ville à l’autre avec des enregistrements en a plus finir. Là-bas, les migrants sont comme des esclaves. C’est inexplicable. Dans tout cela, ils gagnent de l’argent. La corruption y est grande’’.
‘’Il faut créer un ministère plein pour gérer la question’’
Le chercheur préconise une diplomatie beaucoup plus forte pour une meilleure protection des Sénégalais de l’extérieur. Pour cela, il faut ‘’une diplomatie plus acteur, non étatique’’, avec la création d’un ministère plein. Et ce, pour mieux gérer le phénomène migratoire qui, selon lui, est transversale. ‘’La migration concerne l’économie, l’éducation, la santé, l’environnement… On l’a vu avec la maladie. Nous étions les premiers à parler de pandémie à travers le monde, parce que le principal vecteur de propagation de la COVID était la migration du fait de la mobilité croissante de populations’’, fait-il savoir.
Ce nouveau ministère dont il parle pourrait ainsi jouer un rôle déterminant dans un pays comme le Sénégal qui est marqué aujourd’hui par la découverte d’hydrocarbures. Et dans ses propositions, il va même plus loin. ‘’Avec la découverte du pétrole et du gaz dans notre pays, celui-ci rentre dans une nouvelle ère géopolitique. C’est pourquoi, nous avons estimé qu’il faut créer ce ministère plein chargé des migrations internationales ou même une agence autonome reliée directement à la Présidence. C’est cette agence qui va alors traiter les questions migratoires dans leurs diversité, complexité, et transversalité’’.
‘’Le ministère des Sénégalais de l’extérieur est caduc’’
Bien que le ministère des Affaires Étrangères s’occupe de ce dossier, Boubacar Séye propose une idée pour une protection des Sénégalais de l’extérieur, lesquels rencontrent parfois des difficultés et sont exposés à de nombreux risques. ‘’Aujourd’hui, il faudra une nouvelle cartographie de la diplomatie sénégalaise, avec de nouvelles juridictions pour une meilleure assistance à nos compatriotes qui sont souvent tués ou torturés dans des circonstances flous’’, laisse-t-il entendre.
À l’en croire, le Ministère des Sénégalais de l’extérieur n’a plus sa raison d’exister. Ce, pour une raison simple, elle ne fait pas son travail. Il explique : ‘’Ce ministère est caduc. Il ne prend pas en charge la dimension migratoire dans sa diversité et sa complexité. Pour l’exemple, quand des jeunes ont été bloqués dans le cadre de leurs projets migratoires, il n’y avait pas d’interlocuteur. Le ministère n’avait pas joué son rôle’’.
Par conséquent, en lieu et place de ce celui-ci, il faudra plutôt parler ‘’de ministère des Migrations internationales’’. En se référant aux explications de M. Séye, il y aura forcément un dumping migratoire au Sénégal, avec la découverte du pétrole. Les enjeux sont sécuritaires, géopolitiques et géostratégiques. ‘’D’où l’importance de mettre en place ce nouveau ministère’’ qui permettra ainsi, de savoir ‘’qui rentre dans notre pays’’, parce que, dit-il, le pétrole et le gaz font l’objet de beaucoup de convoitises.
Le chercheur en appelle à la vigilance. Ainsi, il avance : ‘’Il faut légiférer, il faudrait toute une jurisprudence aujourd’hui pour protéger les Sénégalais, parce que les risques et dangers ne manquent pas avec l’exploitation de ces hydrocarbures. L’intérêt du Sénégal doit être mis en avant’’.
Le scandale des passeports diplomatiques
Si l’on s’en tient aux propos de M. Séye, il n’y a plus de règles orthodoxes dans l’obtention et la délivrance du passeport diplomatique. C’est pourquoi, on assiste aujourd’hui à la surproduction, à la surexploitation de ce document. ‘’Ce qui se passe avec les passeports diplomatiques est extrêmement grave !’’, fulmine-t-il. Pour le chercheur, il y va de l’intérêt du Sénégal et de notre appareil judiciaire de régler ce problème.
Il rappelle qu’il y a deux ans de cela, l’Union Européenne avait interpellé le Sénégal sur ces questions liées aux passeports. À ce sujet, il déclare : ‘’Nous estimons qu’il faudra une enquête très sérieuse pour régler définitivement ce problème-là. Sinon, les conséquences sont majeures. Ce, même en termes de migration régulière, parce que d’honnêtes citoyens sénégalais pourraient être malmenés dans des aéroports européens’’. Pour lui, le passeport diplomatique ne remplit plus sa mission qui est d’assurer la fluidité des actions de l’État dans les relations internationales. Par conséquent, on ne sait plus qui assure une mission de l’État, qui devrait bénéficier de ce document.
Dans cette ‘’chaine de corruption’’, des institutions comme l’Assemblée Nationale sont indexées. Pour cela, M. Séye propose la suspension provisoire des passeports diplomatiques. Il avance : ‘’L’État du Sénégal devrait sortir un communiqué pour suspendre tous les passeports diplomatiques, en attendant qu’une enquête sérieuse soit menée pour combattre la corruption. Il faut régler ce problème qui risque de créer du populisme’’. Entre temps, il préconise le passeport de service pour ceux qui sont dans l’urgence.
Le blocage du prix Immigration Paix et Sécurité
D’après M. Séye, leur organisation travaille sur une nouvelle stratégie dans la gestion du triptyque : Immigration, Paix et Sécurité (IPS), depuis 2006. Une production d’Horizon Sans Frontières (HSF). Selon toujours ses explications, ça a été même protégé en Europe. Cette nouvelle stratégie prend en compte les évolutions récentes de l’environnement dans le contexte géopolitique actuel. Elle met en lumière les dangers multiformes que traversent les États et les peuples.
Pour lui, la migration est un élément essentiel de la géopolitique mondiale. C’est pourquoi, pour une paix durable en vue d’un développement humain, HFS a créé le prix international Immigration Paix et Sécurité Cheikh Mourtada Khadim Rassoul (IPS). Malheureusement, ça n’a jusque-là pas décollé par manque de soutien.
Il revient sur le sujet : ‘’Ce prix récompense l’homme qui s’est distingué le plus sur le triptyque : Immigration Paix et Sécurité. Nous avons écrit à beaucoup de chefs d’États du monde que nous allons lancer le prix IPS Cheikh Mourtada. Mais, aucun soutien de la part de nos États, car, ce qu’il faut savoir, ce prix est international. Hélas, les Africains ne se sont jusque-là pas intéressés. Et on sait que les Européens ne le seront n’ont plus. Ce que nous voulons, c’est que ce prix soit inscrit sur l’agenda international pour que, chaque année, il y ait un lauréat. Nous n’avons pas besoin d’un prix Goncourt, ni un prix Nobel. Nous avons nos idoles et nos grands hommes’’.