SUEZ GROUPE ET SUEZ INTERNATIONAL OU LES MIASMES DEGOUTANTS D’UN CONFLITS D’INTÉRÊTS !
En remportant le marché de KMS 3, le groupe Suez, contrairement à ses concurrents, disposait d’informations de première main sur la structure du coût de la flotte consécutive à l’entrée en service de cette même KMS 3
« Tchin ! Santé ! Joyeux anniversaire ! » Un anniversaire qu’il convient d’arroser comme il se doit bien sûr mais… à l’eau de robinet ! Cet anniversaire, c’est celui d’un événement qui s’est produit le 1er juin 2018. Mais ne nous emballons pas. Petit retour en arrière. Le 1er février 2018 est, en effet, une date à marquer d’une pierre blanche dans les annales de la multinationale française Suez Groupe. Une date durant laquelle elle a dû déboucher des bouteilles de champagne mais, comme nous sommes en plein mois de Ramadan et pour ne pas heurter les âmes puritaines, disons que ça a été célébré à l’eau ! De quoi s’agit-il ? Ce jour-là, Suez International, sa filiale à 100 %, se voyait déclarer attributaire provisoire du fabuleux marché dit de « capacités de production » de Keur Momar Sarr (KMS) 3 lancé par l’Etat du Sénégal par le biais de la Sones (Société nationale des Eaux du Sénégal) pour un montant de 274 milliards de nos francs.
Excusez du peu. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, la maison mère elle-même, c’est-à-dire Suez Groupe se voyait placer en pole position, dans la foulée, plus exactement quatre mois plus tard, le 1er juin 2018, dans le marché d’affermage concernant l’approvisionnement en eau des grandes villes de notre pays pendant les 15 prochaines années. Ce 1er juin 2018 — happy birthday ! — étaient en effet ouvertes les offres financières des trois candidats à cet appel d’offres international. Un dépouillement à l’issue duquel Suez Groupe, bien qu’ayant proposé un prix du mètre cube d’eau beaucoup plus cher que celui de la Sénégalaise des Eaux (SDE, voir encadré)) se voyait quand même attribuer provisoirement ce fabuleux marché ! On ne vous l’avait pas dit mais, en gagnant KMS3 le 1er février 2018 à travers sa filiale, la maison mère Groupe Suez était déjà en piste pour la mère des batailles, celle relative au contrat d’affermage. Chapeau bas et salut l’artiste… Depuis lors, un an s’est écoulé et beaucoup d’eau a coulé… dans les robinets des consommateurs sénégalais.
Apparemment, les autorités persistent toujours dans leur volonté de filer le gigantesque magot à la tentaculaire famille Suez. Comme si elles ne pouvaient pas faire autrement… Et pourtant, à regarder de près les choses, on a comme un odieux soupçon de conflit d’intérêts. On nous dira sans doute que nous voyons le mal partout mais quand même… En remportant le marché de KMS 3, une usine qui produit et achemine l’eau jusqu’à Dakar en traversant plusieurs villes, le groupe Suez, par le biais de sa filiale dédiée à l’international, disposait d’informations de première main sur la structure du coût de la flotte consécutive à l’entrée en service de cette même KMS 3. Des informations dont n’avaient pas connaissance à ce stade les deux autres concurrents dans l’appel d’offres pour le contrat d’affermage, à savoir la française Veolia et la Sénégalaise des Eaux. Il y avait là, on en conviendra, comme un atout concurrentiel réel — pour ne pas dire décisif — par rapport aux autres compétiteurs. C’est comme si je donnais en réparation le carburateur de ma voiture à mon garagiste. Au bout de quelques jours, je me ravise et décide de tout faire reprendre (moteur, organes, carrosserie) en demandant à d’autres mécaniciens de me faire des offres alors que la bagnole est toujours chez mon garagiste ! Si ce dernier ne remporte pas le marché, c’est qu’il serait particulièrement manchot…
Suez chargée de contrôler… Suez !
Dans cette affaire, donc, Suez Groupe, « tuyauté » — c’est le cas de le dire — par sa filiale Suez International se voit mettre en pole position par l’autorité contractante, c’est-à-dire notre ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, qui le déclare attributaire provisoire du marché d’affermage de l’eau dans nos grandes villes. Et si la volonté des autorités d’attribuer coûte que coûte, et définitivement, ce fabuleux contrat aboutissait, on assisterait à la curieuse — et scandaleuse — situation suivante : le Groupe Suez assurerait, en collaboration avec le concessionnaire Sones, le suivi, le contrôle et la réception des travaux réalisés par sa filiale Suez International ! Pour en revenir à mon garagiste, c’est comme s’il sous-traitait la réparation de ma voiture à son fils tout en étant chargé de contrôler le travail de celui-ci ! Gageons que s’il y a des malfaçons ou des vices cachées, il se gardera bien de me les signaler. Sauf qu’ici il s’agit d’eau, d’un produit non seulement stratégique mais encore vital et dont toute la chaîne va être contrôlée d’amont en aval par une multinationale étrangère. Quand bien même les Français seraient nos cousins et nos anciens (toujours !) maîtres mais enfin, n’est-pas pousser le bouchon (de la bouteille d’eau) trop loin que de leur tout donner y compris l’eau que nous buvons ? Une véritable prise d’otage d’un secteur stratégique de l’économie nationale par l’étranger, assurément. KMS 3, c’est en effet une usine clefs en mains construite et livrée avec une garantie décennale. Et qui c’est qui devrait être chargé du contrôle de la conformité de l’ouvrage construit par Degremont devenue Suez International ? Suez Groupe ! C’est beau la famille… Surtout si elle connaît les excellentes coutumes africaines comme celle consistant à offrir des cadeaux, oh trois fois rien, des bennes tasseuses par exemple.
Des petits cadeaux qui, non seulement entretiennent les amitiés mais aussi ouvrent la porte aux gros contrats ! Ainsi, les dirigeants de Suez, en offrant en 2016 des bennes tasseuses au maire d’une de nos villes, un certain Mansour Faye dont la ville croulait sous les ordures, ont-ils eu la divine surprise d’apprendre beaucoup plus tard que ce même homme, qui était aussi le ministre de l’Hydraulique et, accessoirement, le beau-frère du président de la République, allait lancer un appel d’offres international pour l’approvisionnement des grands centres urbains de son pays en… eau potable. Un hasard, on vous dit ! Et tant pis si, en 2016 déjà, l’Agence Française de Développement et la Banque Européenne d’investissements au moins, étaient au courant que cet appel d’offres international allait être lancé. Des bailleurs ou, plutôt, des partenaires techniques et financiers auxquels il faut ajouter la Banque mondiale et dont le silence assourdissant depuis le début de ce feuilleton au long cours (d’eau) de l’attribution de ce marché de la flotte dans nos grandes villes ne cesse d’inquiéter…