SUR LA TERRE D'AL-AMINE
Fondée en 1964 par le défunt porte-parole des Tidianes, le village de Médina Sy fait partie des localités du pays qui battent les records de production arachidière - Une terre de foi, un havre de paix, où cohabitent différentes Tariqas
Fondée en 1964 par le défunt porte-parole des Tidianes, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine, le village de Médina Sy fait partie des localités du pays qui battent les records de production arachidière. La cité est aussi une terre de foi, un havre de paix, où cohabitent différentes Tariqas. A toute heure, sans heurts.
C’était une forêt. Dense et généreuse. Un carré sauvage, au sol immensément riche, exploité par un peuple de rois (le Ndoucoumane) qui travaille la terre dans la peau de gens simples. Une œuvre humaine qui va vite rencontrer une récompense spirituelle. Celle que Al Amine, le Juste, partagera des années durant, avec des milliers de fidèles, faisant de la croyance en Dieu le bradel d’un vouloir vivre en commun selon les préceptes de la Tidianya. De l’Islam.
Il est devenu un village : Médina Sy. Niché au cœur du département de Malém Hodar, commune de Dianké Souf, à trente-et-une longueurs de Kaffrine. Un havre de paix qui respire calme et transpire foi. Un patelin de plus de 3 000 âmes qui vivent élevage et parlent agriculture. Un mode de vie bâti sur une bonne éducation coranique, somme de valeurs fondamentales inculquées par son fondateur, sur une molette de réglage, un peu comme on perfuse un malade du cœur. A dose homéopathique.
Médina Sy et le décès de Sokhna Astou Kane
Abdoulaye Sarr, délégué du quartier Aïnoumane et proche collaborateur du défunt Khalife des Tidianes, est un témoin de l’histoire. Il était là, avant et après Médina Sy. Natif de Panal (région de Fatick), il fait partie des premiers à s’installer dans le village. Il raconte : «C’est en 1964 que Serigne Cheikh Al Makhtoum, le défunt Khalife général des Tidianes et son jeune frère, feu Abdoul Aziz Sy Al Amine, sont venus à Kaffrine à la recherche de terres (champs). Accompagnés de Mbaye Camara et Diop Saloum, ils sont allés à Ndodj, un village du département de Malém Hodar, chez le vieux Mor Seck, qui connaissait bien la topographie de la région. Et après lui avoir exposé leur souhait, ensemble, Serigne Cheikh Al Makhtoum, Al Amine et Mor Seck se sont dirigés vers la forêt de Dianké où une fois arrivés, il leur a indiqué un lieu.» Un carré de terre plutôt, des dizaines d’hectares arables que les frères Sy décident d’exploiter sur le champ. Non sans faire entorse aux formalités administratives, qui seront vites réglées. Vieux Abdoulaye Sarr : «Je me rappelle très bien le communiqué passé à la radio en 1964, informant de l’appel fait à toutes les populations du Sénégal, par Serigne Cheikh Al Makhtoum et son jeune frère, Abdoul Aziz Sy Al Amine, à venir prendre part aux travaux de débroussaillage des 15 Km2 où ils comptaient désormais pratiquer l’agriculture. Et c’est ainsi que les gens sont venus de partout du Sénégal pour participer aux travaux champêtres qui ont démarré un jour de mercredi. Du Baol au Cayor, en passant par le Walo, le Sine et le Djolof, les gens sont venus de partout. Sans occulter les 80 disciples venus de Tivaouane pour épauler les deux guides religieux dans leur mission. Après cette journée de durs labeurs, Al Amine et son grand frère sont rentrés à Tivaouane.» Où ils seront frappés par une terrible douleur.
Al Makhtoum et Al Amine qui avaient promis aux fidèles de revenir à Medina Sy, le mercredi suivant, vont manquer au rendez-vous. Ils sont réveillés très tôt, le jour-J, par l’annonce du décès de leur maman : Sokhna Astou Kane. A Médina Sy, la nouvelle a les sensations d’une douche froide sur l’ardeur des travailleurs. Mais en bons croyants, ils tiendront le coup. C’est sous les directives du notable Gora Guène, proche collaborateur et disciple d’Al Amine, que les travaux vont continuer. «A leur retour à Médina Sy, quelques semaines après le drame qu’ils ont vécu, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine décide, lui, de s’installer dans cette forêt dépourvue de tout. Il y construit une demeure qui s’étend sur 1 000m2, quelques-uns de ses disciples venus d’un peu partout dans le pays, décident de rester. De s’installer définitivement à Médina Sy.»
A l’époque, les concessions n’étaient faites que de paille. La localité, déconnectée du reste du monde, est sans eau, sans électricité. «Pendant longtemps, explique le sexagénaire Abdoulaye Sarr, nous vivions des 3 camions de céréales que le défunt porte-parole des Tidianes avait acheminés sur le site. Les femmes venues de Tivaoune préparaient un couscous assez sec, plus connu sous le nom de ‘’Thiéré djambar’’. Nous mangions aussi beaucoup de bouillie de mil au lait caillé. C’est d’ailleurs à cette époque-là que le village fut baptisé.» Al Amine avait demandait, sur ordre d’Al Makhtoum, à leur oncle maternel, El Hadji Mounirou Sarr, de donner un nom au village. Et au bout de quelques jours, celui-ci, après avoir consulté à son tour, un chef religieux, proposa le nom de Médinatoul Mounawara, la ville illuminée, en référence à la ville du Prophète Mouhammad (Psl). D’où le diminutif Médina Sy.
Médina Sy, une terre fertile
Passé le balbutiement, Médina Sy va irrémédiablement entrer dans l’ère de la production. Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine, en chef de corps et… d’esprit, demande à deux de ses disciples, Saliou Seck et Modou Diagne, de lui délimiter les champs qui s’étendaient sur plus de 400 ha, chacun. Le reste, il en octroie à ses «Dieuwrines (proches collaborateurs)» qui étaient au nombre de six (06) et qui s’occupaient exclusivement du contrôle et de la gestion des champs. Il donnant aussi des terres aux autres pour pratiquer l’agriculture. Mais ce n’est qu’en 1965, qu’Al Amine, qui accueillait, de temps en temps, son frère, Al Makhtoum, à Médina Sy, bénéficiera des premières retombées de son travail de la terre. Il avait fini d’étaler ses talents d’agriculteur. Vieux Sarr : «Tout au début, on ne cultivait que de l’arachide et une petite quantité de mil. Mais, avec la modernisation de l’agriculture, le marabout décida d’acheter des tracteurs et autres matériels agricoles. Il s’attache aussi les services de techniciens agricoles, augmente les surfaces cultivables et intégre la culture du maïs. De 400 ha en 1964, nous sommes passés à plus de 600 ha, pour chacun des trois champs dont il dispose actuellement. A l’époque, nous récoltions, chaque année, 100 tonnes d’arachide et près de 90 tonnes de mil. Et cette année, avec 100 tonnes de semences et 100 tonnes d’engrais, nous avons cultivé 1 580 tonnes d’arachide, 600 tonnes de mil et 600 tonnes de sorgho. La vie a beaucoup évolué maintenant. Et c’est totalement différent de l’époque où nous cultivions à l’aide de chevaux ou d’ânes. Maintenant, c’est la machine qui fait presque tout à la place de l’homme. Reconnaissons-le, le défunt (Al Amine) était un grand cultivateur. Chaque année, c’est dans ce village qu’il passait toute la saison des pluies jusqu’à la fin des récoltes. Il était toujours avec nous dans les champs. Il était plus fréquent à Médina Sy qu’à Tivaouane. Et pourtant, jamais de son vivant, ce saint homme n’a mangé les fruits de ses récoltes.»
A la fin de la saison, il vendait toute la production d’arachide à la Sonacos. Ensuite, il remettait l’argent aux «Dieuwrines» qui en tiraient la Zakat. Le reste de l’argent était partagé entre Serigne Cheikh Al Makhtoum, Serigne Mansour Sy Borom Daara-J et les autres khalifes des familles religieuses du Sénégal pour l’entretien des daaras. Une partie de l’argent servait aussi à aider les personnes défavorisées. Et pour ce faire, il le marabout commençait toujours par Médina Sy. Chaque année, pendant les périodes de soudure, ce sont des camions de vivres qu’il distribuait à tous les chefs de famille de la localité. Ils leurs octroyait des billets pour La Mecque. Aux villageoises, il donnait très souvent, de grandes sommes à se partager. Voilà ce à quoi servait l’argent des récoltes. Al Amine n’en a jamais utilisé un franc pour régler ses propres besoins. Il était très affable et ne travaillait que pour les indulgents», se souvient encore l’un des bras droits et fervent disciple du défunt guide religieux.
«Il n’a jamais utilisé un franc de l’argent de la récolte…»
Cinq après la création du village, alors que les conditions de vie étaient encore très dures, voire précaires, comme un Hijra, des gens sont vénus de partout pour s’y installer, avec leur famille, à la recherche de savoir spirituel. Soucieux du présent et du devenir de ces milliers d’habitants, Al Amine va d’abord doter le village d’un forage. Puis d’un second d’une grande capacité. C’est également lui qui va électrifier le village, y construire un poste de santé, tout en prenant entièrement en charge les salaires de l’Infirmier chef de poste et de tout le personnel. Il y a aussi réalisé une piste de production reliant Médina Sy à Boulél. Une route latéritique de 9 km. «Nous avons 5 quartiers, révèle le vieux Sarr, et il a construit dans chaque quartier, une grande mosquée. Il a mis sur pied 6 daaras, dont les pensionnaires se comptent par centaines. Et aucun talibé ne mendie. Le saint homme était quelqu’un qui tenait beaucoup au développement économique de ce village. Et il ne cessait de le dire. A chaque fois, il nous disait que c’est ici la propriété de la famille Sy. Car, ils ont créé ce village de leurs propres mains. Tandis que Tivaouane n’était qu’en réalité, pour lui, une terre d’accueil où son grand-père, El Hadji Malick Sy, a été hébergé et logé par ses hôtes à son arrivée.» «Quelques jours avant son rappel à Dieu, poursuit Papa Abdoulaye, le marabout qui luttait contre l’immigration clandestine, avait émis le souhait de créer dans le village des activités génératrices de revenus. Et ceci via l’agriculture et le maraîchage, afin de permettre aux jeunes et aux femmes de s’assurer une autonomie financière. Il a ainsi acheminé, durant son dernier voyage à Médina Sy, tout le matériel nécessaire pour implanter une station d’essence. Malheureusement, le destin en a décidé autrement.»
Ses relations avec Serigne Fallou Mbacké
A Médina Sy, il n’y a pas que des Tidianes. Le village compte aussi des disciples du fondateur du Mouridisme, Cheikh Ahmadou Mbamba Mbacké, venus d’ailleurs pour s’installer définitivement dans la cité religieuse du petit-fils d’El Hadji Malick Sy. Une cohabitation harmonieuse et très appréciée par la communauté tidiane de Médina Sy. «Depuis sa création en 1964, raconte encore le Vieux Abdoulaye Sarr, Abdoul Aziz Sy Al Amine a clairement dit que le village n’appartient à personne. Et que toute personne honnête et imbue de valeurs islamiques, peut venir s’y installer tranquillement et travailler pour soi-même. Il disait que la terre y est vaste et les champs disponibles pour tout le monde. Donc il nous a toujours invités au partage et à accepter notre prochain. D’ailleurs, c’est ce qui se passe ici. Pendant les évènements religieux (Gamou ou Magal), tout le monde se mobilise pour accompagner son prochain dans sa fête. Et à chaque Magal de Touba, les Tidianes décaissent une somme d’argent pour apporter leur soutien à leurs frères Mourides et vice-versa. J’avoue qu’Al Amine était un homme exemplaire qui entretenait d’excellentes relations avec les autres familles religieuses et nous avons été témoins de beaucoup de choses entre lui et le défunt Khalife des Mourides, Serigne Fallou Mbacké. Pour la petite histoire, voulant faire bénéficier aux fidèles de la grâce à travailler pour son prochain, Al Amine avait annoncé, une année, à la radio le démarrage de la récolte de ses champs d’arachide. Et quand la nouvelle est tombée à l’oreille de Serigne Fallou Mbacké, le Khalife de Touba a dépêché des centaines de talibés à Médina Sy. «A notre grande surprise, raconte le chef de quartier d’Aïnoumane, les disciples de Serigne Fallou qui sont arrivés à Médina Sy au crépuscule, ont fait tout le travail dans la nuit. Le lendemain (mercredi) matin, jour des travaux, Al Amine et ses talibés ne pouvaient que constater le beau travail qui a été accompli.»
Ses dernières recommandations à Médina Sy
Comme un signe du destin, Al Amine, qui a sorti Médina Sy de terre, y est retourné juste avant sa mise en terre. C’est certes une histoire de terre mais son essence est céleste. Le saint homme s’y est retiré, seul dans sa chambre. Ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Les ordres aux chambellans sont clairs : aucune visite, même pas pour ses propres enfants venus de Tivaouane. Al Amine veut être seul avec son Créateur. Ce sera ainsi pendant une dizaine de jours. «Au terme de sa retraite spirituelle, raconte vieux Abdoulaye Sarr, il m’a appelé dans sa chambre. Nous étions avec El Hadji Mbaye Pal Diop, l’actuel imam de Médina Sy. Il nous avait convoqués pour nous faire de ses dernières recommandations. Ce que nous étions loin d’imaginer d’ailleurs. Au cours de l’entretien, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine nous a fermement conseillé d’être unis comme un seul homme et d’œuvrer pour le développement de Médina Sy, en achevant les projets déjà entamés. Ils nous a instruits de ne jamais accepter dans le village les interdits de l’Islam. Et surtout de veiller à l’éducation coranique des enfants.» Du Al Amine pure source, un homme qui a toujours fait de la parole de Dieu son viatique et de l’unité et du bien-être des hommes son sacerdoce.