TOUBA, LA RANÇON DE L'ATTRACTIVITÉ
La ville est passée, presque sans transition, d’un hameau à un gros village puis à une grande ville de plus en plus moderne - Les immeubles y poussent de plus en plus, la faisant briller de mille attraits

Touba a fini de bâtir, depuis des lustres, sa réputation de cité religieuse. Cheikh Ahmadou Bamba en a fait un espace de dévotion. Sa descendance préserve ce legs tout en ne méprisant pas les avantages de la modernité. Les immeubles y poussent de plus en plus, la faisant briller de mille attraits. L’un des marqueurs de cette attractivité est la flambée des loyers.
Touba, terre de foi, exerce son attrait sur le monde ! Fondée en 1888 par Cheikh Ahmadou Bamba, elle brille de ses charmes qui en font un espace convoité. De nouvelles habitudes se créent et se défont pour laisser naître un nouveau mode de vie et son corollaire. Touba est passée, presque sans transition, d’un hameau à un gros village puis à une grande ville de plus en plus moderne. Elle est, après Dakar, la deuxième ville du Sénégal en termes de démographie, avec des données qui oscillent entre 880.000 et plus d’un million d’habitants sur 12.000 hectares. La manifestation la plus visible de cette évolution est l’habitat et les coûts qu’il entraîne surtout aux alentours de la majestueuse grande mosquée, l’une des plus imposantes d’Afrique au sud du Sahara, point d’attraction de milliers d’individus. Cette agglomération, retenue comme ville modèle en juin 1996 à Istanbul en Turquie, par l’Organisation des Nations unies pour les établissements humains lors du sommet de l’habitat II, présente une certaine ambivalence ; le rural côtoyant l’urbain.
Il n’est plus aussi aisé pour ceux qui viennent y chercher fortune et pour les fonctionnaires de trouver un local à usage d’habitation avec leurs revenus. Il faut désormais plus que de la menue monnaie ! Et l’ère de la gratuité est bien révolue. Autrefois, existaient à Touba des maisons entières, toujours à la disposition des familles et des personnes venues s’y établir. Aujourd’hui, se loger dans la cité religieuse peut être un casse-tête surtout aux alentours de la grande mosquée. La location est devenue chère en dépit de la floraison d’immeubles sortis de terre dans les grands quartiers. La raison est toute simple pour Serigne Moustapha Moussa Mbacké, chef du quartier de Darou Miname : «L’explosion démographique en est la cause. L’attractivité de la ville et la curiosité que suscite l’histoire fascinante de son fondateur ont donné une plus grande dimension à Touba».
Le dynamisme économique de cet espace qui abrite le grand Magal n’y est pas non plus étranger. Touba accueille des fidèles en quête de grâce, de bénédiction et de fortune, qui finissent par y élire domicile. La capitale du mouridisme est aujourd’hui en passe d’intégrer le cercle des villes les plus chères du Sénégal. Des immeubles à usage d’habitation voient le jour un peu partout. Les acteurs économiques y trouvent un marché, et les religieux et autres éducateurs un terreau fertile.
Touba 28, la cité des affaires
Le périmètre sacré de la grande mosquée est réservé à la descendance de Cheikh Ahmadou Bamba. C’est dans les quartiers de Darou Khoudoss, Darou Miname, Sourah, Mbal…que l’on trouve des studios, des appartements et des chambres à louer. Se loger dans le quartier résidentiel de Touba 28 et à la périphérie de la grande mosquée est un vrai casse-tête. Le quartier Touba 28 est l’équivalent du Plateau à Dakar. C’est la cité des affaires. Le marché Ocass est également un pôle d’attraction. Les grandes concessions aux alentours de ce lieu de commerce sont insuffisantes pour accueillir les commerçants. La tendance est de construire en hauteur d’où le nombre de plus en plus important d’immeubles et de centres commerciaux entre le boulevard 28 et le marché Ocass.
On est passé de la gratuité à la flambée des prix. Les appartements sont loués entre 100.000 et 150.000 FCfa, informe Souleymane Samb qui habitait, avec sa famille, un immeuble à moins de 800 mètres de la grande mosquée. Délogé par le propriétaire, M. Samb explique qu’une banque de la place est venue pour occuper le rez-de-chaussée et le premier étage pour ses bureaux en raison de 500.000 FCfa le mois ; une offre que le propriétaire s’est empressé de saisir. «Cela contribue aussi à augmenter le loyer», regrette-t-il. Plus on s’éloigne de la grande mosquée, davantage les prix deviennent abordables. Ils tournent autour de 60.000 et 80.000 FCfa sur la première corniche.
Une aubaine pour les «modou-modou»
Moustapha Samb gère une agence d’assurance à l’ancienne gare routière. Son local fait aussi office d’agence immobilière. «À une certaine époque, on imaginait mal créer une agence immobilière à Touba du fait du mode de vie qui a beaucoup évolué. L’urbanisation galopante a donné un regain d’intérêt à l’immobilier. Les demandes sont de plus en plus fortes», confie l’agent immobilier. Il devrait peut-être venir en aide à Fatoumata Sow, gérante d’un point de transfert d’argent, mère de deux enfants, qui vit dans une pièce avec salle de bains louée à 25.000 FCfa au quartier Ndamatou. «Depuis plusieurs mois, je cherche à avoir une chambre plus spacieuse mais je n’y arrive pas à cause de la cherté», dit-elle, désespérée.
Omar Fall, chef de service dans une structure, a eu plus de veine que la bonne dame. Il vient de déménager mais n’a pas pu avoir un local à sa convenance à Touba. Le sieur a trouvé son bonheur à Mbacké : «J’ai pu avoir un appartement à 80.000 FCfa. C’est moins cher qu’à Touba. L’appartement que j’y occupais, plus petit, me coûtait 100.000 FCfa. C’est moins cher qu’à Dakar mais ce n’est pas non plus donné à Touba».
Dans cette nouvelle configuration, les «modou-modou» (émigrés) ont beaucoup investi dans l’immobilier dans certains quartiers. Auparavant, dans ces endroits, confie le vigile Salam Diop, les maisons n’étaient pas louées. Elles abritaient gratuitement des personnes ayant quitté leur village pour habiter à Touba et qui n’avaient pas les moyens ou des étrangers en mission sur recommandation d’une autorité religieuse.
Les propriétaires d’immeubles se frottent les mains à l’occasion du grand Magal de Touba qui accueille, chaque année, entre trois et quatre millions de personnes. Le comité d’organisation, pour loger ses hôtes, prospecte, à la veille de cet événement religieux, les immeubles à proximité de la grande mosquée. Une partie des 1.000 journalistes et envoyés spéciaux occupent ces locaux. Ainsi, Touba se reconfigure en préservant son âme et en admettant la réalité de son temps.