UN MYTHE S’EFFONDRE
«L’As» est allé à la rencontre des émigrés sénégalais, particulièrement ceux de France qui, sans langue de bois, parlent de leur situation dans le pays de Marianne.
Nombreux sont les jeunes Africains, les Sénégalais notamment, qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie, à la recherche d’une vie meilleure en Europe. Mais c’est souvent la désillusion une fois à terre.
Ça caille ! Deux degrés à Paris. En ce début de soirée du 16 décembre 2018, les migrants syriens forment une longue file indienne sur les trottoirs, non loin des boulevards Maréchaux à hauteur du 18ème arrondissement. Des associations françaises viennent à leur rescousse et leur servent de la soupe chaude pour les réchauffer. C’est la galère pour ces gens qui ont fui la guerre en Syrie pour désormais dormir dans les rues de Paris, sous des tentes de fortune. La galère, ils ne sont pas les seuls à la vivre en métropole. Même si c’est à des degrés moindres et dans des contextes différents, de nombreux Africains circulent dans la capitale française avec de fortes désillusions.
Au péril de leur vie, la plupart ont traversé la Méditerranée à la quête d’une vie meilleure. Mais une fois à Paname, ils se rendent compte que ce n’est qu’un mirage. Diaby pleure toutes les nuits. Cet immigré venu du Sénégal oriental vit depuis 11 ans en France. Toujours sans papiers, il vit de petits boulots pour s’en sortir. «Depuis que je suis venu en France, je ne suis pas retourné en Afrique voir ma famille, ma femme et mes deux enfants. Ici, c’est vraiment la m…», lâche Diaby qui partage sa chambre dans le 18ème avec d’autres compatriotes. Parmi eux, Daouda Diakité, qui ne finit pas de se plaindre, explique que la vie est chère en France. «Même si tu gagnes 1000 euros, plus de la moitié sert à payer des factures et autres taxes. On reverse tout ce qu’on gagne à l’Etat français », déplore-t-il. Tous, ils veulent revenir au «bled». Mais ils ont peur de se retrouver marginal dans leur pays natal. En France, en cet hiver, la lueur du jour disparait huit heures à peine après qu’elle s’est répandue dans l’espace. Loin des chaudes ambiances et de la gaieté africaine, cette atmosphère calme et sombre vient renforcer le «spleen» d’Almamy Kaba. Vivant dans le 93ème arrondissement, à Aulnay-SousBois, précisément à Sevran, Almamy Kaba prie chaque jour pour que Dieu lui donne les moyens de revenir au Sénégal auprès des siens. «Si je trouve un salaire de 200 000 francs CFA au Sénégal, je rentre définitivement », a-t-il indiqué. Ce qui écœure Almamy, c’est que «les immigrés ont les mêmes devoirs que les Français, mais ils n’ont pas les mêmes droits». Selon lui, on ne peut pas occuper certaines responsabilités en France si on n’est pas Français. «Ce qui se passe ici, c’est de l’esclavagisme moderne. Tout le monde le sait ; mais on n’en parle pas. Ils appliquent la politique de l’immigration choisie. Ils prennent ce dont ils ont besoin, le reste ils le jettent. Nous (Ndlr : les immigrés), ils ne veulent pas de nous », peste-t-il. Almamy se lève tous les jours à 4heures 30 du matin pour se rendre à la gare du Nord où il travaille comme agent d’entretien. Depuis 18 ans, il vit en France. Seul hic, dit-il, il ne gagne pas assez. «Je cotise pour la sécurité sociale, mais je ne peux pas assurer mes enfants au Sénégal. Même quand on est malade et qu’on se trouve au Sénégal, on n’est pas assuré. Si on n’a pas la nationalité, c’est toujours comme ça», déplore-t-il.
Poursuivant, il souligne que si le gouvernement français ne traite pas bien les immigrés africains, c’est parce que les gouvernants africains n’ont pas de poigne. «Un enfant syrien se noie, tout le monde en parle. Des milliers d’immigrés africains se noient dans la Méditerranée, personne ne dit rien. Cela prouve le manque de responsabilité de nos dirigeants», tonne-t-il. Almamy Kaba déplore également le fait qu’on ne parle plus des problèmes des sans-papiers. «La France n’en parle plus. Sous Hollande, on ne parlait que d’attentats. Avec Macron, on ne parlera que d’économie et de gilets jaunes. Pendant ce temps, les sans-papiers souffrent», dit-il. Almamy travaille dans le secteur du nettoyage à SMP (Services Maintenance et Propreté), groupe Nicollin. Dans son service, il déplore une nouvelle forme de discrimination contre les Africains. A l’en croire, les Français privilégient désormais les ressortissants venus des pays de l’Europe de l’Est. «Actuellement, mon chef est un Yougoslave, très méchant. Pourtant, on était de la même catégorie avant qu’il ne soit promu. La vérité, c’est que les Français préfèrent mettre ces gens au dessus de nous.» Cela étant, Almamy s’engage dans le combat contre toute forme de discrimination à l’endroit les Africains. Pour ce faire, il a adhéré au syndicat des travailleurs de son secteur d’activité afin que tout le monde soit mis sur un pied d’égalité. «On travaille comme un âne, comme ceux qui sont dans les champs, pour ne rien récolter à la fin», peste-t-il.
LES «PAPYS» DE L’IMMIGRATION SE CONFESSENT
Teint clair, physique très imposant, Almamy est parti de son Tambacounda natal à la fin des années 1990 pour arriver en France en 2003. Il est passé par le Mali où il est resté deux ans avant d’emprunter la route du désert pendant huit mois, pour rallier d’abord l’Espagne via la Méditerranée. «J’ai fait deux mois dans les camps d’immigrés en Espagne. Puis je suis sorti. Je suis resté deux semaines en Espagne avant de venir à Paris. J’ai commencé à travailler en 2005. C’est en 2011 que j’ai obtenu des papiers.» Almamy Kaba connait Paris comme le bout de ses doigts. Mais la ville lumière ne lui dit plus rien. Tout ce qu’il veut aujourd’hui, c’est revenir au Sénégal et y travailler. Il veut investir dans l’agriculture, mais se dit consterné quand il entend le gouvernement réclamer 10 millions de francs CFA à un paysan pour lui allouer un tracteur. «On entend parler de financement des immigrés ; mais on n’a jamais rien vu. On a monté des associations mais l’Etat ne nous vient pas en aide. Ils savent très bien qu’un immigré qui a 800 euros par mois n’a pas les moyens de se procurer un tracteur», soutient-il. En attendant qu’on lui tende le bâton, Almamy vit modestement dans un studio de 46 mètres carrés à Sevran, à Aulnay-Sous-Bois, qu’il partage avec deux autres «vétérans» de l’immigration.
Bakary Diakité, 56 ans, est originaire de Dougué dans le département de Goudiry. Il vit en France depuis 2002. Couché par terre sur un matelas, il informe avoir vendu une dizaine de vaches pour venir en France. Il est passé au Mali où il a cherché un visa pour venir en métropole. Ses regrets se lisent sur son visage. « Toutes ces années durant, je n’ai pas réalisé grand-chose, à part réfectionner la maison familiale au village», argue-t-il. Cheveux poivre et sel, barbe bien taillée, il dit préparer son retour, surtout que ses fils sont prêts à prendre le relais. «On pensait amasser de la fortune. Mais la réalité, c’est qu’on travaille dur pour en fin de compte gagner peu», déclare Bakary Diakité.
Fodé Sylla, 65 ans, est également originaire de Dougué dans le département de Goudiry. Il partage le studio avec Almamy et Bakary. Il a abandonné ses champs pour venir en France en 1984. «Je ne gagnais pas assez au Sénégal. C’est pourquoi j’ai décidé de quitter.» Il a d’abord travaillé comme ouvrier dans les bâtiments avant de se muer plus tard en agent d’entretien. Vu le poids de l’âge, il ne pouvait plus supporter les travaux pénibles. Après plus de trente ans en France et à un an sept mois de la retraite, Fodé Sylla réalise que l’immigration n’est pas une vie. «Mes enfants ne me connaissent même pas», confie-t-il, le visage crispé. Si les gens quittent en masse l’Afrique pour venir en Europe, dit-il, c’est parce qu’il n’y a pas de travail et la pauvreté est extrême. «Si on avait le choix, on ne serait pas là aujourd’hui. Nous travaillons pour nourrir nos familles, les aider à se soigner, etc. Je n’aimerais pas que mes enfants aient le même parcours que moi. Je préfère qu’ils restent au Sénégal. Même s’ils deviennent enseignants ou professeurs, c’est mieux que de venir ici», a-t-il conclu.
Tour Eiffel, Marine Le Pen n’a pas monté la garde aujourd’hui ! Vendredi 21 décembre 2018, malgré la pluie, l’ambiance est bruyante et divertissante au pied de la Tour Eiffel. Les étals gisent çà et là. Ici, les Sénégalais ont domestiqué les lieux. A part quelques Roumains qui s’adonnent à des jeux de carte, toute l’esplanade du monument est occupée par nos compatriotes, vendeurs à la sauvette. Si certains vont «télescoper» avec les touristes aux portes du monument qui culmine à 325 m, d’autres préfèrent les attendre sur les trottoirs le long du quai Branly et les jardins entourant la tour. Une voix s’élève : «Marine Le Pen arrive. Vous êtes avertis.» D’autres rétorquent : «Elle ne viendra pas aujourd’hui». A vrai dire, Marine Le Pen n’est autre que la bête noire des marchands ambulants de la zone. C’est une dame de la police française qui, à les en croire, leur mène la vie difficile, à l’image du duel entre le calao et le léopard. A chaque fois qu’elle monte la garde aux alentours de la Tour Eiffel, c’est le désastre pour ces immigrés sénégalais qui, à tout moment, peuvent plier bagages et prendre la poudre d’escampette. Mais aujourd’hui, il n’y aura pas de course poursuite. Sous le regard de quatre soldats de l’opération sentinelle en patrouille, les marchands ambulants se partagent, sous la pluie, des barquettes de riz au poisson et de Yassa. Puis on se trouve une petite planque pour se restaurer. L’un d’entre eux, très répulsif au départ, indique qu’il ne sert à rien de faire des reportages sur leur situation. «Les problèmes sont à chercher au Sénégal, pas ici. Que ce soit Macky Sall ou un autre politicien, personne ne va régler nos problèmes. Seuls Serigne Touba, le prophète Mahomet(PSL) et le Tout Puissant Allah peuvent nous venir en aide. Personne d’autre», martèle-t-il. Plus enclin à parler, l’homme dit avoir passé plus de trente ans en France. Refusant de révéler son identité, il affirme que c’est avec son travail de vendeur à la sauvette qu’il nourrit ses deux femmes et ses enfants à Dakar. Il vend des statuettes et autres gadgets de la Tour Eiffel entre 5 et 15 euros l’unité. Au lieu de construire des trains et autres autoroutes dans le pays, indique-t-il, les milliers de milliards empruntés à la Banque Mondiale et dans les autres Institutions financière devraient être investis dans le secteur de l’industrie pour donner des emplois aux jeunes. «Tant qu’on ne l’aura pas fait, tout ce qui se dira ne sera que du leurre», tranche-t-il. Pour Mamadou Mbow, originaire de Touba, « au Sénégal les moutons sont mieux traités que les humains. On ne se soucie plus des fils du pays», peste-t-il. Il pense que le Sénégal est victime de ses hommes politiques qui n’en font qu’à leur tête. «Ils ne nous respectent pas. Ils ne font que des promesses. Mais au final, rien ». Soudeur métallique de profession, il est passé par la Lybie, a transité en Italie, avant de rejoindre la France. «J'avais un atelier au Sénégal. Mais cela ne marchait plus. C’est pourquoi j’ai quitté le pays. Nos chefs d’Etat ne travaillent pas assez et ne font rien pour booster nos économies. Au lieu de travailler, ils prennent l'argent du contribuable pour le planquer dans les banques européennes. Et à la fin de leur mandat, ils viennent y passer une retraite dorée. Au même moment, leurs peuples souffrent», fulmine-t-il.
«WADIOUR MOMA SONAL»
«Hamsa euros…Italiano, vieni… nín hǎo… Hello lady, five euro price, etc. » Bass Sine n’a fait que quelques mois à Paris, mais il taquine déjà de nombreuses langues : Arabe, italien, chinois, anglais, entre autres. Tout au moins, comme tous les autres vendeurs à la sauvette aux abords de la Tour Eiffel, il est obligé de maitriser quelques rudiments de ces langues pour attirer les touristes. D’un ton humoristique, ce boulanger-pâtissier de profession, qui s’est mué en marchand ambulant dans la capitale française, hèle tout passant en espérant lui tirer 5, 10 ou 15 euros, contre une statuette ou un gadget de la Tour Eiffel. «Il arrive que les policiers nous arrêtent ; mais pour nous en sortir, nous nous présentons comme des Gabonais.
En effet, il suffit de reconnaitre qu’on est Sénégalais pour se faire expulser facilement», dit Bass Sine. Cet originaire de Mbour, sans papiers de son état, affirme que s’il trimbale avec ses marchandises au pied de ce monument, c’est parce qu’il n’a pas le choix. «Wadiour moma Sonal (Ndlr : C’est à cause de mes parents que je me sacrifie)», confie-t-il. Après une première tentative infructueuse, Bass a essayé pour une seconde fois l’immigration clandestine en passant avec succès par le Maroc. Marié et papa de deux enfants, il se dit conscient du danger avec la traversée de la Méditerranée. «Je ne conseille à personne de le faire. C’est dangereux», soutient-il. Aujourd’hui qu’il a démystifié l’Europe et risqué sa vie, il souligne qu’il ne compte pas y rester plus de dix ans sans papiers. «Que j’ai des papiers ou pas, je ne compte pas rester plus de dix ans ici», clame-t-il. Toutefois, il espère trouver un boulot dans son domaine, bientôt. «J’ai une promesse d’emploi. Certainement, je commencerai bientôt à travailler. Comme je n’ai pas de papiers, un de mes compatriotes m’a prêté les siens», déclare-t-il.