UN VICE DE LA REPUBLIQUE
L'affaire des centres d’éducation de Serigne Modou Kara Mbacké remet au goût du jour la question des «milices» savamment créées et entretenues au vu et au su des autorités par des politiques et certains hommes religieux du pays
L’affaire des «milices» privées au Sénégal est de plus en plus préoccupante. Un mal être des populations remarqué dans des mouvements religieux et certaines sphères politiques qui intrigue et inquiète plus d’un. Cette prolifération indispose les forces de défense et de sécurité, sensées détenir le monopole de la force dans la République. Et, au regard des derniers développements, notamment de l’affaire des centres d’éducation de Serigne Modou Kara Mbacké, le danger semble réel pour la République ; d’où la nécessité d’une dissolution ou d’un encadrement de ces groupes «armés».
La prolifération des «milices» savamment créées et entretenues au vu et au su des autorités de la République par des hommes politiques et certains hommes religieux est une réalité au Sénégal. Et ce, depuis fort longtemps. Ainsi, on peut en citer entre autres la «milice» de la «Dahiratoul moustarchidine wal moustarchidaty», créée par Moustapha Sy à la fin des années 70, regroupant en son sein des hommes et des femmes avec comme seul objectif «d’œuvrer pour la valorisation des enseignements du Prophète Muhammad (Psl)», dit-on.
En effet, tout serait parti du Mawlid 1988 coïncidant avec le contexte de troubles sociaux, ayant amené le président Léopold Sédar Senghor à dire à feu Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy que l’Etat n’avait pas assez de forces de l’ordre pour la sécurisation de l’évènement. Alors, pour pallier les risques d’insécurité, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy créa la Commission d'organisation au service du Khalife Ababacar Sy dénommée Coskas, afin de gérer tous les aspects organisationnels. Depuis lors, le mouvement a pris des propensions aux allures d’une «armée» avec des agents de sécurité avec toutes les déclinaisons «militaires et paramilitaires» (agents de sécurité, d’hygiène, des secouristes, etc.) sous l’autorité du responsable moral, Serigne Moustapha Sy.
Même, de l’autre côté, un Comité d'organisation au service du Khalife Ababacar Sy (Coskas - civil) s’occupe toujours l’organisation du Gamou de Tivaouane. Une autre milice religieuse, c’est celle de Serigne Modou Kara Mbacké, petit-fils de Mame Thierno Birahim Mbacké, frère cadet de Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul, fondateur de la confrérie des Mourides. Ce personnage «atypique» fort longtemps «intriguant», ne cesse d’inquiéter de par sa sécurité appelée «commandos de la paix».
Pas moins d’une centaine d’éléments de ce contingent arborent des treillis, paradent en file indienne, s’attribuent des galons, obéissent au doigt et à l’oeil au «général Kara» au vu et au su des plus hautes autorités de l’Etat, seul détenteur du monopole de la violence. D’ailleurs, certains voient en cette organisation aux allures de «milice» une menace pour l’ordre public. Ce chef religieux se réclamant d’une des plus grandes confréries religieuses du pays est à lui seul un défi à la laïcité, sous le regard impuissant de l’autorité étatique.
Des «milices» privées au sein des partis politiques
A la défiance de ces hommes religieux face à l’Etat unitaire s’ajoutent d’autres milices d’hommes politiques. Ainsi, dans les mouvements politiques, on note la présence de «milices» privées commises pour assurer la sécurité du leader au quotidien, dans tous ses faits et gestes, ses déplacements et lors des grands rassemblements. Cet état de fait est remarqué avec le président Abdoulaye Wade et notamment ses «calots bleus» qui l’ont accompagné fidèlement depuis l’opposition jusqu’à son accession au pouvoir. Sous son régime, ils ont fait feu de tout bois. Certains nageaient même dans un «luxe insolent». Mais, depuis la chute du président Abdoulaye Wade et de son régime, on n’entend plus parler d’eux. En effet, ces hommes qui assuraient la sécurité de Wade et de ses ministres et qui s'affichaient de façon très ostensible, se font discrets maintenant.
En hommes musclés, ces «gros bras» se sont portés volontaires pour être, du temps du président Abdou Diouf, les gardes rapprochés du candidat Abdoulaye Wade. Ils étaient prêts à «tout» pour leur candidat. Ils constituaient une «organisation paramilitaire illégale» qui utilisait la force pour parvenir à ses fins. Ils ont été, en d’autres termes, les «milices» d’Abdoulaye Wade. L’ancien Premier ministre Idrissa Seck et actuel président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) en avait lui aussi pour sa propre sécurité. Aujourd’hui encore, le président Macky Sall a, à sa disposition, des «calots marrons».
Pourtant, les forces de défense et de sécurité avaient décrié en temps opportun ce laisser-aller à travers un communiqué dans lequel elles interdisaient aux populations de s’habiller en treillis, pour ne pas confondre les civils aux militaires. Mieux, des récalcitrants en ont payé les frais, pour avoir été interpellés et déshabillés de leurs tenues militaires. Aujourd’hui, avec cette affaire de Sérigne Modou Kara Mbacké, doit-on s'inquiéter et s'en émouvoir ? La République serait-elle en danger ? Ces hommes de main ont-ils reçu la formation adéquate ? Quoiqu'il en soit, force doit rester à la loi et une attention toute particulière à la généralisation de ce phénomène qui ne doit pas être pris à la légère.
Affaire des centres de Kara : El Hadji Kassé pour l’interdiction des «milices»
Suscitant indignation et inquiétude, l’affaire des centres d’éducation gérés par des «gros bras» de Sérigne Modou Kara a touché plus d’un. Réagissant par rapport à cette polémique, le ministre-conseiller à la Présidence de la République en charge de la Culture est d’avis qu’il faut tout simplement interdire les «milices». «A mon humble avis, toutes les milices privées doivent être dissoutes et interdites», a dit ouvertement El Hadj Hamidou Kassé, sur son compte twitter.
Bassamba Camara, commissaire de police divisionnaire de classe exceptionnelle à la retraite : « L’Etat devait quand même prendre des dispositions pour interdire cela »
«On a vu que certains dignitaires s’accompagnaient des milices et sont souvent habillés comme des Forces spéciales. On a vu le cas, pendant la campagne électorale, où des gens s’étaient encagoulés, étaient armés et effectuaient des violences sur les gens. L’Etat devait quand-même prendre des dispositions pour interdire cela», a dit Bassamba Camara, Commissaire de Police divisionnaire de classe exceptionnelle à la retraite, sur iRadio. Le Commissaire Camara de poursuivre: «tout homme qui viole la loi s’expose forcément à des sanctions bien précises», rappelle-t-il.
Sankoung Faty, colonel de gendarmerie a la retraite : «Nul n’est censé ignorer la loi, même pour sa propre sécurité»
Toujours sur cette affaire, le Colonel de Gendarmerie à la retraite, Sankoung Faty, soutient qu’«il n’est permis à aucune personne d’organiser les milices». Car, relève-t-il, «il y a une réglementation concernant ce qu’on appelle les agents de sécurité qui organisent les services d’escorte et de protection». Le Colonel Faty de souligner : «la sanction non seulement dissout votre association et, au-delà de la sanction administrative, il y a des sanctions pénales qui sont prévues parce que c’est un exercice illégal de sécurité privée». Il conclut : «en dehors des cas de légitime défense, personne n’a le droit d’utiliser la défense. Donc, il y a des infractions qui peuvent être commises dans ce cadre comme l’organisation de malfaiteurs, entre autres».