UNE ANARCHIE QUE L’ETAT CAUTIONNE
Malgré l’adoption de la loi de 2014 portant baisse des prix des loyers et sa promulgation par le président Macky Sall, on assiste à une hausse drastique des prix des logements, principalement à Dakar
Après les nombreuses tensions entre bailleurs et locataires suite à l’adoption de la loi de 2014 portant baisse des prix des loyers n’ayant pas été calculés sur la base de la surface corrigée de 29% dans le pays, et sa promulgation par le président Macky Sall, on assiste à une hausse drastique des prix des logements, principalement à Dakar. Conséquence : les conflits entre locataires, qui exigent l’application de la loi, et bailleurs résultent toujours par l’expulsion des premiers. Pour les agences de location et courtiers qui travaillent dans le secteur, cette hausse s’explique par la cherté de la vie parce que, selon eux, les prix de tous les matériaux de construction ont connu une hausse. De leur côté, les locataires indexent ces intermédiaires (agences et courtiers) et l’Etat qui sont à l’origine de la flambée des prix. Mieux, tout en accusant le régime d’avoir fait voter cette loi pour une récupération de voix électorales, ils dénoncent le laisser-aller dans le secteur avec ces nombreuses agences et ces courtiers qui opèrent de façon informelle, avec la complicité de propriétaires, pour soutirer de l’argent aux pauvres citoyens, en demandant trois voire quatre mois de location avant d’occuper une chambre, une maison ou un appartement.
Ibrahima Diop, qui réside à Grand-Dakar avec sa famille, pense qu’avant de mettre en place une loi sur un secteur qui concerne directement les citoyens, surtout les plus démunis, il fallait en discuter avec tous les acteurs. Car, si aujourd’hui il y a une anarchie totale sur l’habitat, c’est à cause du manque de concertation avant l’entrée en vigueur de la loi. Et, après cette loi, il n’y a eu aucun suivi ; les locataires sont laissés à la merci des bailleurs qui les mettent dehors, prétextant la réfection des maisons. «Nous avons vécu beaucoup d’expulsions de locataires par les propriétaires qui récupèrent leurs maisons, les repeignent et puis les louent le double voire le triple du prix au départ. Parfois même il y a des conflits entre bailleurs et locataires qui aboutissent au Tribunal. Mais, même si le locataire gagne le combat, il est harcelé et poussé à la sortie ».
LES COURTIERS ET L’ETAT AU BANC DES ACCUSES
Revenant sur le renchérissement, Ibrahima Diop souligne : «cette augmentation s’explique aussi par la non-réglementation du secteur, la présence dans le secteur de l’immobilier des courtiers qui opèrent dans l’informel et ne sont reliés à aucune agence de courtage». A son avis, «ce sont les courtiers qui ont une grande part de responsabilité sur la hausse des prix de la location, car la plupart d’entre eux demandent aux bailleurs d’augmenter le prix en raison de la forte demande, arguant que si un client refuge de prendre le logement, un autre va le prendre. Ils vont même jusqu’à suggérer aux bailleurs de ne pas louer aux Sénégalais, sous prétexte qu’ils ne payent pas la location. Par contre, les étrangers vont payer à n’importe quel prix. De nos jours, il y a des courtiers qui demandent même 4 mois, pour avoir une maison ou une chambre en location», dénonce M. Diop. Coumba Diallo, vendeuse de beignets au coin d’une rue à la Sicap, abonde aussi dans le même sens. «C’est l’Etat qui est à l’origine de la flambée des prix de la location. En adoptant une loi sur la baisse de la location sans un suivi sérieux». Mme Diallo pense que «cette loi n’avait été votée que pour récupérer des voix électorales».
LA CHERTE DES MATERIAUX DE CONSTRUCTION, UN REFUGE
Benjamin Coly, courtier de son état, pense que la hausse des prix de la location est due à la cherté des matériaux de construction. «Aujourd’hui, même pour construire une maison basse, avec un bon fondement, pour un simple citoyen, ça te prend au minimum deux bonnes années ; à plus forte raison un R plus 2 ou 3 pour une location. C’est ce qui explique la présence de beaucoup de maisons inachevées dans les quartiers. Il arrive de voir un chantier en construction qui fait plus de 5 ans, le propriétaire est obligé de faire une finition partielle pour donner la maison en location, afin de trouver l’argent pour terminer la construction. Si vous faites le bilan pour une construction, le béton, le sable le ciment, le fer et même l’eau a augmenté. Même les factures d’eau dans les maisons ont connu une hausse drastique ces dernières années. Par exemple, dans une maison où on payait une facture d’eau maximum dans la fourchette de 17 mille F CFA à 20 mille F CFA, les ménages payent le prix du double», se désole M. Coly. Et, «à beau faire des réclamations, tu ne verras aucun changement», ajoutera-t-il. «Il arrive qu’un propriétaire reçoive une facture d’eau de la construction arrêtée pendant plusieurs mois». M. Coly d’incriminer également les banques qui prêtent à des taux élevés et pour un délai de remboursement court. «Il y a aussi une chose qui pousse les bailleurs à louer cher, c’est les intérêts très élevés que les banques mettent sur les prêts alloués aux clients. Mais aussi les délais de paiement sont parfois très courts».
LES BANQUES, LES TROIS MOIS D’AVANCE EXIGES POUR UNE LOCATION ET LES FRAIS DE DEPLACEMENT
Selon le courtier, les trois mois que les agences immobilières demandent aux locataires sont répartis comme suit : «les deux mois appartiennent au bailleur à savoir un mois d’avance, parce qu’on paie la location avant d’occuper le local et on n’entre pas dans une maison sans rien donner en contrepartie et le deuxième mois constitue la caution. Au cas où le locataire aurait des problèmes financiers, il peut rester ce mois sans payer, car il a sa caution chez le bailleur», informera le l’agent immobilier. «Le troisième mois appartient au courtier/agence car c’est lui qui a fait l’effort de chercher la maison», ajoutera-t-il. S’agissant des frais de visite/déplacement demandés aux clients, il avance que «parfois, le courtier peut habiter Grand-Dakar et gérer des maisons qui se trouvent aux Parcelles Assainies ou aux Almadies. Lorsqu’un client t’appelle, pour t’y rendre, il faut un taxi. Et il arrive que le client ne prenne pas le local ; alors on ne demande les frais de visite que pour notre transport».