VOYAGE PLEIN DE CLICHÉS
Stigmatisation des migrants - Il y a des clichés qui résistent au temps

Le Laboratoire mixte international de recherche Movida (Lmi-Movida) et le Centre des études globales de l’Université internationale de Rabat (Maroc), en partenariat avec le Réseau marocain des journalistes des migrations (Rmjm) et le Collectif des communautés subsahariennes au Maroc (Ccsm), ont organisé un atelier portant sur l’information en lien avec les migrations et la déconstruction des préjugés. Tenue du 20 au 22 mai dernier, l’activité a permis de réunir journalistes, chercheurs et acteurs associatifs de divers horizons pour discuter d’un sujet d’intérêt commun pour la mutualisation des énergies.
Il y a des clichés qui résistent au temps. Pour favoriser un travail collaboratif, des temps d’échanges et de réflexions sur les enjeux, contraintes et opportunités liés aux modalités d’intervention des journalistes, chercheurs et autres acteurs des mouvements associatifs, le Laboratoire mixte international de recherche Movida (Lmi-Movida) et le Centre des études globales de l’Université internationale de Rabat (Maroc), en partenariat avec le Réseau marocain des journalistes des migrations (Rmjm) et le Collectif des communautés subsahariennes au Maroc (Ccsm), ont organisé un atelier portant sur l’information en lien avec les migrations et la déconstruction des préjugés. «Ceux qui bougent produisent», expose M. Farid El Asri. Une façon pour lui de mettre le curseur sur le traitement de l’information en lien avec la migration, la nécessité de revenir sur l’importance de la migration et ses aspects positifs dans la construction d’une communauté mondiale qui bouge, se brasse et interagit pour des mobilités plus humaines et respectueuses des droits humains, reconnaissant la place des migrants dans la marche du monde.
En se prononçant sur les enjeux du traitement médiatique de la migration en Afrique de l’Ouest, Harouna Mounkaila, directeur de l’Ecole normale supérieure de Niamey, responsable du Germes et co-coordinateur du Lmi-Movida, explique : «La migration pose des défis et suscite des enjeux dans un contexte de multiplication des mécanismes de contrôle et de restriction de la mobilité.» Il cite une étude réalisée en 2020 par les Nations unies, qui renseigne que l’essentiel de la migration intra africaine s’effectue entre pays limitrophes.
Aujourd’hui, le traitement de l’information en lien avec la migration en Afrique de l’Ouest reste encore bourré de préjugés. Les récits aussi. Le directeur de l’Ecole normale supérieure de Niamey indique : «Malgré l’importance de la migration, sa couverture médiatique est peu développée.» Conscient de la force et de l’importance d’une bonne couverture des migrations pour la déconstruction des clichés, il poursuit : «La couverture médiatique de la migration impacte la façon dont les populations perçoivent et réagissent même avec les personnes migrantes.»
En plus de noter la faiblesse dans la diversité sur la production médiatique en lien avec les migrations en Afrique de l’Ouest, il est revenu sur certaines contraintes des médias africains, parmi lesquels leur «viabilité économique, la présence épisodique de la thématique migratoire dans le paysage médiatique africain, etc.». Faisant la genèse et les leçons de la «crise migratoire» de 2015, Driss El Yazami, ancien journaliste et président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (Ccme), parle pour sa part d’une crise européenne qui a été généralisée par une amplification par voie de presse pour en faire une crise «mondiale».
On a assisté à plusieurs tragédies, des noyades, des naufrages, notamment de migrants du Moyen-Orient, de l’Asie du Sud. Cela a fait naitre une «crise d’accueil, une crise d’Europe ou encore de l’humanisme en Europe». La presse occidentale a eu un rôle prééminent dans la fabrication et la promotion d’un vocabulaire, d’un discours qui cachait toute une vérité dissimulée derrière des images et vidéos largement relayées, faisant passer le migrant pour une «personne vulnérable et dangereuse». «La perception de la migration s’était complément détachée de la réalité», a fait remarquer M. Driss El Yazami dans son intervention. La représentante de l’Unesco au Maroc, en plus d’être revenue sur la différence entre personne migrante et personne réfugiée, a insisté sur le fait d’accorder une place importante aux réfugiés dans le traitement de l’information en lien avec les migrations par les professionnels de l’information et de la communication. Socio-anthropologue à l’Institut de recherche et de développement (Ird), co-coordonnatrice du Lmi-Movida, Sophie Bava a expliqué l’importance d’une telle initiative.
Il s’agit, dira-t-elle, de «mutualiser les compétences pour mieux avancer entre journalistes, chercheurs et acteurs du milieu associatif».
A l’en croire, la migration est avant tout «une ressource». Revenant sur la prolifération des stéréotypes migratoires, Khrouz Nadia, enseignante-chercheuse à l’Uni-versité internationale de Rabat, rattachée au Centre des études globales et au Lmi-Movida, explique qu’on «travaille» depuis longtemps sur cette thématique. Toutefois, convient-elle, «on se rend compte que quelles que soient les recherches produites, les productions de certains journalistes, il y a toujours des idées préconçues, des narratifs qui circulent sur la migration et qui dénotent avec ce qui peut être constaté sur le terrain et les réalités».
C’est pourquoi elle n’a pas manqué de se féliciter de la tenue d’une rencontre qui, selon elle, permet de mettre «en commun des modes opératoires, les contraintes et réflexions sur le fond des problématiques que peuvent poser les enjeux de la migration». Ce, tout en essayant de mettre en lumière toute cette diversité migratoire dans la construction des individus, les solidarités, l’application des droits et des procédures, entre autres.
Au terme de la rencontre, Nadia Khrouz de retenir le besoin d’allier des connaissances théoriques et du terrain. Un travail qui doit se faire dans la continuité. Elle n’a pas manqué d’exprimer sa satisfaction de voir ce souffle nouveau, ce refus de soutenir des narratifs qui font non seulement du tort aux recherches, au travail journalistique, mais également à la vie de milliers de migrants, quel que soit par ailleurs leur parcours, route migratoire ou projet. L’atelier de Rabat avait pour objectif de soutenir les échanges, partages d’expériences et collaborations entre chercheurs, journalistes et acteurs associatifs, de favoriser une meilleure compréhension des enjeux et contraintes que posent les pratiques et démarches des uns et des autres, de contribuer à déconstruire certains préjugés relatifs aux phénomènes de mobilité et migratoires en Afrique mais aussi associés aux modalités de travail et d’intervention des chercheurs, journalistes et acteurs associatifs, et de soutenir l’amélioration de la production d’information sur les mobilités et la migration, entre autres.
Verite sur la migration africaine : les africains se deplacent majoritairement en Afrique
Le rapport portant sur la migration africaine : «Remettre en question» le récit a été rendu public en 2020. Dans l’avant-propos de ce document, cosigné par António Vitorino, Directeur général de l’Oim, et Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, il est assuré que le thème choisi «ne pouvait être plus approprié étant donné la myriade d’idées fausses, de mythes et de craintes qui persistent autour de la migration».
Dans leur note, ils relèvent que «le rapport raconte l’histoire des migrations africaines du point de vue de l’Afrique et démontre le désir ardent du continent de prendre le contrôle de la gestion de ce phénomène de manière à en maximiser les avantages pour les citoyens du continent, tout en s’attaquant aux impacts négatifs qu’une migration continue et incontrôlée implique pour les pays africains et les migrants».
Lors de la rencontre organisée par le Laboratoire mixte international de recherche Movida (Lmi-Movida) et le Centre des études globales de l’Université internationale de Rabat (Maroc), en partenariat avec le Réseau marocain des journalistes des migrations (Rmjm) et le Collectif des communautés subsahariennes au Maroc (Ccsm), sur l’information en lien avec les migrations et la déconstruction des préjugés, Mehdi Alioua, Doyen de Sciences Po Rabat, chercheur au Lmi-Movida, directeur de la chaire Migrations, mobilités et cosmopolitisme du Cgs, n’a pas manqué de rétablir la vérité sur les fausses informations distillées par voie de presse, parfois par le discours politique sur les migrations africaines.
D’emblée, il s’inscrit en faux contre tout propos tendant à soutenir que les routes migratoires africaines mènent vers l’Europe. «C’est faux !», s’écrie-t-il. Avant de préciser que les «routes migratoires africaines mènent vers l’Afrique». M. Mehdi de poursuivre que «94% des migrations africaines par voie maritime ont une forme légale». En effet, très peu d’Africains quittent le continent africain de manière irrégulière par voie maritime. Ce qui est relayé dans les médias et par certains responsables politiques sur la migration irrégulière par voie maritime ne «représente que 6%», renseigne ce dernier, qui indique en outre que l’essentiel des migrations africaines se font par voie «terrestre».
Se référant au rapport sur la migration africaine : «Remettre en question le récit», il précise que sur les 281 millions de migrants au monde, soit 1 personne sur 30, les migrations africaines ne représentent que 14%, contre 41% pour l’Asie et 24% pour l’Europe. D’ailleurs, les notes de l’Ifri de février 2021, portant sur «l’agenda de l’Union africaine sur les migrations : Une alternative aux priorités européennes en Afrique», indiquent que «les migrations en provenance d’Afrique constituent la priorité des politiques européennes de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne (Ue), les dynamiques migratoires africaines sont pourtant avant tout régionales».
L’Ifri, dans ses notes, indique que «les migrations subsahariennes sont très peu connectées aux flux transcontinentaux : plus de 70% restent en Afrique. Si l’on observe le continent dans son ensemble, en y ajoutant les pays du Maghreb et l’Afrique du Sud (deux régions mieux connectées aux migrations transcontinentales en raison de leur niveau de développement), le chiffre s’établit à près de 53%, soit plus d’un migrant sur deux. La proportion des migrants africains accueillis en Europe est de 26%, soit un sur quatre». Ce, non sans préciser que «près du tiers des réfugiés dans le monde se trouve en Afrique subsaharienne».
Construction et perception du récit migratoire africain : les médias encouragés à changer d’angle d’attaque
Les professionnels de l’information et de la communication en Afrique de l’Ouest n’accordent pas trop d’importance au traitement de l’information en lien avec la migration, malgré les enjeux et défis qu’elle pose pour une Afrique qui bouge et un monde en mutation. La migration n’est évoquée dans les médias que sous un aspect «réducteur» et de manière périodique. Les médias accordent plus d’importance aux drames liés à la migration, le chavirement de bateaux, l’arrestation de migrants, entre autres, qu’aux véritables problèmes que pose cette thématique qui a fini de s’imposer au cœur des enjeux mondiaux. Pis, la reprise systématique par les médias nationaux de termes ou autres appellations pour nommer les migrants par la presse occidentale ne donne pas une bonne lisibilité de l’information. Ce qui renforce la perception négative que les populations ont sur la migration et les migrants eux-mêmes.
Le journaliste, le créateur de contenu, le média, de manière consciente ou inconsciente, participent à la création du discours et influencent l’opinion publique et les autres perceptions sur les migrations et les migrants eux-mêmes. A cet effet, dira monsieur Harouna Mounkaila, directeur de l’Ecole normale supérieure de Niamey, responsable du Germes et co-coordinateur du Lmi-Movida, «le système médiatique est impliqué dans la construction de nos préoccupations collectives». Sur la construction des imaginaires et la perception, Harouna Mounkaila d’embrayer : «Les médias jouent un rôle fondamental dans la construction du discours public et la formation de l’opinion publique.» Conscient de la force et de l’importance d’une bonne couverture des migrations pour la déconstruction des clichés, il laisse entendre que «la couverture médiatique de la migration impacte la façon dont les populations perçoivent et réagissent même avec les personnes migrantes».
Pour sa part, Mélodie Beaujeu, docteure affiliée à l’Institut convergences migrations, cofondatrice de l’association Désinfox-migrations, de laisser entendre que si on veut trouver le moyen d’améliorer le traitement qui est fait de la migration partout dans le monde, «il faut arriver à ce que les journalistes puissent se donner les moyens d’accéder aux données issues de la recherche».
Elle informe ensuite qu’il y a de grandes avancées dans la «production de statistiques sur la migration ces dernières années». Intervenant sur «Les enjeux actuels du traitement médiatique de la migration : une perspective comparée entre pays européens et africains», Mélodie Beaujeu a encouragé la «collaboration autour d’un enjeu commun entre associations, journalistes et chercheurs». Ce, dit-elle, pour «déconstruire les préjugés, les idées reçues et améliorer l’information sur les migrations».
Présidente du Réseau marocain des journalistes des migrations (Rmjm), Dounia Mseffer est consciente du rôle prépondérant de la formation des journalistes pour mieux comprendre et appréhender les enjeux migratoires. Parmi les activités de son organisation, elle informe que son réseau à un programme d’études en migrations pour les journalistes ou aspirants dont l’objectif est de «renforcer le traitement de l’information migratoire dans les médias marocains». Dounia Mseffer précise que c’est aussi pour «donner» la parole aux migrants, «diversifier» le discours dans le but de «changer» la perception-même que les journalistes peuvent avoir de la migration et qui pourrait «influencer» leur façon de traiter l’information. L’association travaille en outre dans la «transmission du savoir, savoir-faire entre professionnels journalistes», conclut-elle.