ATTENTION À L'EXCÈS DE CONFIANCE !
Après la victoire des Lions de la Téranga contre la Pologne, d'anciens joueurs de la campagne de Corée préviennent contre l'euphorie ambiante
« Attention à l'euphorie ! » Deux figures symboles de l'équipe du Sénégal qui avait atteint les quarts de finale pendant la campagne de Corée de 2002 n'y vont pas par quatre chemins. Les Lions de la Téranga version 2018 doivent absolument se méfier... d'eux-mêmes et de l'ambiance euphorique qui s'est emparé de leurs supporteurs au pays, en Afrique et à travers le monde. « Après la victoire 2-1 contre la Pologne, le Sénégal ne doit pas pécher par excès de confiance lors du choc du groupe H dimanche contre le Japon (15 heures GMT) », estiment Khalilou Fadiga, et Amadou Traoré, qui a été sélectionneur du Sénégal de 2009 à 2012.
Ne pas tomber dans le piège des excès de 2002
Il faut dire qu'ils savent de quoi ils parlent. D'avoir battu l'équipe de France alors championne du monde et d'Europe en titre en match d'ouverture avait fait exploser toutes les émotions et n'avait pas manqué de jouer sur la récupération de joueurs de plus en plus sollicités et « à la fête » après chaque match d'autant plus historique qu'il s'agissait de premiers pas dans la compétition phare du football international.
L'ancien attaquant Amara Traoré se souvient encore de l'insouciance de cette équipe qui avait terrassé les Bleus de Zidane (1-0). « Après le match, on battait le tam-tam, on dansait et ainsi de suite », explique-t-il interviewé par l'AFP dans sa ville natale de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. Et de rappeler l'environnement quasi surréaliste de jeunes joueurs novices et talentueux, dont les « ambianceurs » El Hadji Diouf, auteur de la passe décisive contre les Bleus, et de Khalilou Fadiga, à l'époque milieu offensif de l'AJ Auxerre et véritable poète du ballon surnommé « le gaucher magique ». Contrairement à ce que le souvenir de nombreuses personnes semble avoir retenu, sortir de la phase de poules ne s'est pas faite sans sueurs froides. D'abord, parce que le Danemark a bien résisté devant les hommes de Bruno Metsu par le biais d'un match nul (1-1) mais aussi parce que, face à l'Uruguay de Diego Forlan, les Sénégalais ont montré deux visages diamétralement opposés. En première mi-temps, ils avaient archidominé la Celeste en retournant au vestiaire avec un avantage de trois buts. En 2e mi-temps, ils avaient trouvé le moyen de se faire remonter et de concéder un nul (3-3). De quoi leur montrer que dans le haut niveau, non seulement le talent ne suffit pas, mais il faut beaucoup d'abnégation, de sérieux et de constance pour préserver un avantage. Autrement dit, rien n'est gagné ni perdu d'avance. Le match de ce samedi entre la Suède et l'Allemagne l'a bien illustré montrant combien le courage et la foi des Allemands ont réussi à faire céder la digue suédoise sur un tir magistral de Toni Kroos, un tir dont la beauté n'a d'égal que le talent de son auteur. Autant d'enseignements qu'Aliou Cissé, actuel sélectionneur des Lions de la Téranga mais aussi capitaine des Lions de la campagne de Corée ne manquera de rappeler à ses joueurs. Car ne pas avoir pas tenu compte de tout cela a été un des facteurs importants de la défaite des Sénégalais en quart de finale de la Coupe du monde de 2002 face à la Turquie (0-1 après prolongation).
Regarder devant
En somme, pour poursuivre l'aventure du Mondial russe dans les meilleures conditions, il convient que les Sénégalais s'inspirent des leçons du passé, mais surtout sortent vite le match contre la Pologne de leur esprit. El Hadji Diouf, figure totémique des Lions de 2002 ne disait pas le contraire dans un entretien accordé cette semaine au journal sénégalais Walf Quotidien. Pour lui, le match contre le Japon ne sera pas une partie de plaisir, bien au contraire. « Ce sera un match difficile », a-t-il confié, analysant que le Japon allait certainement tout faire pour gagner son deuxième match et se qualifier directement en huitième après sa victoire (2-1) contre la Colombie lors de sa première sortie en Russie.
Un message qui n'a pas dû entrer dans l'oreille d'un sourd même si, de son côté, Amara Traoré craint une sorte de suffisance après le succès du premier match contre la Pologne. « Notre faiblesse, c'est l'ego qu'on risque d'avoir », dit-il, poursuivant qu'il faut être capable de gérer ce succès contre la Pologne. « Il faut faire attention. On n'est pas encore qualifié, il reste deux matches », insiste ainsi l'ex-joueur de Gueugnon, confiant dans l'expérience de l'encadrement sénégalais des actuels joueurs composé d'anciens de 2002, dont le gardien Tony Sylva. Et de se féliciter qu'Aliou Cissé soit si « bon stratège » et ait réussi à « construire une équipe sans dévoiler son jeu pendant la préparation ». « On a vu une équipe solide, organisée, avec un bloc d'équipe très flexible et qui a eu de l'audace », se réjouit-il en définitive, appelant à préserver ce qu'il appelle « l'originalité africaine ».
L'hommage à Bruno Metsu
« Gardons notre originalité africaine faite de beaux gestes, d'altruisme et de bon sens. Le football africain n'est pas fait pour attendre dans sa zone », poursuit Amara Traoré aujourd'hui âgé de 52 ans et qui a tenu à rendre hommage à Bruno Metsu, le sélectionneur du Sénégal de la campagne de 2002 depuis décédé et enterré au Sénégal en 2013 à sa demande. « Pour cela, Bruno Metsu reste un exemple », dit-il et d'appeler « le Sénégal à éviter d'essayer d'imiter les nations européennes comme la France ». Prévenant, il ajoute que si le Sénégal joue à l'européenne, « il aura tout faux ». Revenant sur Bruno Metsu, Amara Traoré indique, cité par l'AFP, que « s'il pouvait hurler à faire trembler le stade en Corée lors de ses séances tactiques..., c'était aussi un modèle de psychologie et un entraîneur libéral ». « Bruno libérait ses joueurs, sur le terrain et dans la vie. Il a accompagné les Africains dans leur façon d'être. Il faut de la rigueur mais dans l'enthousiasme et dans la libération des gestes. » Et de conclure : « L'Afrique gagnera une Coupe du Monde. Ça peut être maintenant ou dans quatre ans, c'est écrit quelque part. Mais pour la gagner, il faut qu'on soit audacieux. » Un message que ne manqueront pas de méditer les joueurs sénégalais à la tête desquels le si discret et modeste Sadio Mané. Dans une émission de ce dimanche consacré au Mondial 2018 et notamment au match entre le Japon et le Sénégal, les invités, tous spécialistes du football sénégalais, n'ont pas manqué d'appeler à ce que l'attaquant de Liverpool sorte de sa coquille et accepte d'être le vrai leader de cette équipe des Lions de la Téranga. Cela aidera certainement à une audace salvatrice qui ne manquera pas de doper le mental de l'équipe nationale du Sénégal. Une pierre de plus dans l'édification d'une équipe qui peut aller loin dans cette compétition. Pour elle-même, mais aussi pour l'Afrique.