COMMENT LE TEMOIN AVAIT POUSSÉ LES «LIONS» À LA FINALE
La révélation par le journal d’une sortie nocturne de joueurs agrémentée de bagarres dans la boite de nuit « Byblos », à Bamako, avait mis le feu dans la Tanière
2002. Bamako. Après des éliminatoires poussifs au début, le Sénégal se présente au pays des Dogons et des Bambaras avec une équipe séduisante à plus d’un titre. Une équipe conduite par son maître à jouer, l’inégalable El Hadj Ousseynou Diouf. Bruno Metsu est à la tête du staff technique. Il a pris le relais de l’Allemand Peter Schnittger aux commandes de la sélection de 1995 à 2000. Le peuple, en parfaite symbiose avec cette génération de SENEF (Sénégalais évoluant en France) se mit à nouveau à rêver d’un titre continental après les désillusions de Caire 86 et Nigeria-Ghana 2000. Il faut dire que le rêve était permis.
Peter Schnittger avait remis sur les rails le Sénégal en s’appuyant sur la méthode et la rigueur allemandes. Et la génération des El Hadj Ousseynou Diouf, Khalilou Fadiga, Henri Camara, entre autres, était pétrie de talents. Pourquoi pas alors un sacre dans la plus prestigieuse des compétitions africaines qui nous snobe et nous fuit comme la guigne depuis notre indépendance en 1960 ? La mobilisation est totale. De la vendeuse de cacahuètes au populiste chef d’État, Abdoulaye Wade, tout le monde y va de sa contribution. C’est l’union sacrée autour des «Lions». Des «Lions» malheureusement insouciants et «gâtés».
En tout pas suffisamment conscients de la lourdeur de la mission pesant sur leurs épaules. Après leur première rencontre où ils disposent des Pharaons d’Égypte sur le score étriqué de 1 but à 0, Bruno Metsu et une bonne partie de sa bande s’en vont fêter l’événement au Byblos, l’une des boîtes de nuit les plus chaudes de la capitale malienne, foulant aux pieds les règles les plus élémentaires de la haute compétition. Laquelle, comme tout le monde le sait, nécessite concentration et rigueur. Alors que la soirée bat son plein dans une ambiance électrique, un incident éclate, provoqué par Lamine Diatta, un des « Lions » fêtards et héros de la soirée pour avoir inscrit le but victorieux contre l’Égypte. Khalilou Fadiga arrive à la rescousse et s’empare du problème. Votre serviteur, seul journaliste sénégalais présent sur les lieux avec Papis Diaw, à l’époque à Wal Fadjri, essaie de jouer aux bons offices sans succès.
Fadiga ne veut rien entendre et tient à en découdre avec des mastodontes maliens. Interpellé par nos soins, Bruno Metsu, qui avait manifestement d’autres chats à fouetter, nous répond avec désinvolture que ses «Lions’’ « sont grands, majeurs et vaccinés. S’ils se battent, c’est leur problème ! ». Nous prenons acte devant lui et l’entraîneur français commence subitement à mesurer l’irresponsabilité de ses propos. Il se lève finalement de son pouf et s’en va parler à Jules François Bocandé qui va aux nouvelles à l’entrée de la boite où la tension était montée d’un cran.
Notre confrère de Wal Fadjri, Papis Diaw, lui, reste dans son box et continue de vaquer à ses occupations. Comme au « Témoin », nous considérions que nous étions les yeux et les oreilles des quelque 12 millions de Sénégalais restés au pays, nous nous sommes fait un devoir de relater l’incident dans nos réputées et redoutables «bulles» de la page 2. Nous avons relaté l’incident du « Byblos » sans une once d’exagération. Ce conformément à notre credo de toujours consistant à informer juste et vrai. Et nous savons si bien le faire ! Aussitôt notre journal sorti, l’affaire fait grand bruit et la clameur monte au pays. Les populations sont scandalisées.
A Bamako, les « Lions », en guise de représailles, décident de boycotter la presse sénégalaise. Aux entraînements de nos propres « Lions », nous sommes personae non gratae. Le destin a parfois de ses cruautés… Fadiga demande des explications à votre serviteur avec lequel il a failli en venir aux mains. Joseph Ndong, le ministre des Sports de l’époque, accompagné de son staff et des membres de la fédération sénégalaise de football, convoque la presse nationale et internationale à la Maison de la presse mise en place par l’Association nationale de la presse sportive (ANPS), à la cité du Niger, dans la capitale malienne.
Le but, remonter les bretelles aux impertinents journalistes sénégalais qui ont eu l’outrecuidance de dire du mal de nos si valeureux « Lions » au palmarès continental pourtant vierge ! Le ministre ne se gêne pas et nous traite de tous les noms oiseaux. Après sa logorrhée, Joseph Ndong veut prendre congé sans autre forme de procès. Et sans avoir donné la parole à quiconque. C’était mal nous connaître au « Témoin ». Nos comptes, nous les soldons toujours ! La réplique est cinglante. Et notre excellent confrère Pape Samba Diarra, aujourd’hui Directeur de publication de L’Observateur et journaliste au desk sport de Wal Fadjri à l’époque, avait brillamment rapporté cet épisode dans un papier de référence dont il a seul le secret avec comme manchette : «Confrontation dans la Tanière».
La queue basse et dans ses petits souliers, Joseph Ndong quitte la Maison de presse de l’ANPS. Son mauvais quart d’heure lui restera en travers de la gorge malgré les bons offices de son DAGE de l’époque, l’ancien ministre Mbagnick Ndiaye. Les journalistes sénégalais présents sur les lieux restent fiers et nous attribuent le sobriquet flatteur à l’époque de «Borom ndeund yi». Il faut dire que pour cette CAN 2002, marquant l’âge d’or de la sélection nationale, Le Témoin, à l’époque hebdomadaire, avait mis les petits plats dans les grands et dépêché trois envoyés spéciaux ; Abdoulaye Penda Ndiaye, Sophie Bâ et votre serviteur. Quelques jours plus tard, France Football, la bible du football, reprend intégralement notre papier. Les « Lions », qui n’avaient jamais pris connaissance du contenu de l’article — le Net n’existait pas à l’époque— le découvrent et se rendent compte de la véracité des faits rapportés par Le Témoin. Grand seigneur, Khalilou Fadiga vient nous présenter ses excuses et demande, dans la foulée, à Metsu et Bocandé d’en faire de même. Ces derniers s’exécutent sous l’insistance de Fadiga non sans nous faire remarquer sous forme de reproche que toute vérité n’est pas bonne à dire.
L’ANPS dont le président Mamadou Koumé a compris le bien-fondé de la démarche du Témoin, décide de subventionner nos sorties nocturnes pour inciter les « Lions » à la retenue. Une traque aux « Lions » fêtards est lancée à Bamako et elle porte ses fruits. Pour ne pas rencontrer les impertinents journalistes du « Témoin », les joueurs de l’équipe nationale restent en cage et se concentrent sur la compétition. Ils se qualifient ainsi, pour la première fois de l’histoire de notre pays, en finale de Coupe d’Afrique des Nations où ils s’inclinent devant le Cameroun, après un score nul et vierge à la fin du temps réglementaire et des prolongations puis une fatidique série des tirs au but (2-3). C’était il y a dix sept ans mais « Le Témoin » n’a pas pris une ride…