«JE N’AI JAMAIS VÉCU UNE TELLE SITUATION DE MA CARRIÈRE...»
Dans un entretien exclusif avec Le Quotidien, Aliou Cissé tire un bilan à mi-parcours de la Can.
Dans un entretien exclusif avec Le Quotidien, Aliou Cissé tire un bilan à mi-parcours de la Can. Entre autres sujets abordés, le Bénin, l’adversaire des quarts, l’histoire des penalties avec Sadio Mané et surtout la blessure-surprise du gardien Edouard Mendy, à 5 minutes du match contre le Kenya, et qui l’aura beaucoup marqué. Entretien.
Coach, à quelques heures du match des quarts contre le Bénin, dans quel état d’esprit se trouve l’équipe ?
L’état d’esprit est bon. Il y a beaucoup de sérénité, beaucoup de calme, nous sommes très concentrés sur notre objectif qui est de passer ces quarts de finale. Cela fait deux Can de suite qu’on se retrouve à ce stade de la compétition. La spécificité de ces matches-là, c’est que c’est à élimination directe. Gagner, on continue l’aventure, perdre malheureusement, on rentre à la maison. C’est ce qui donne un peu ce goût excitant de la chose. Mais je pense qu’aujourd’hui, nous sommes assez armés, à ce niveau-là, vu l’expérience qu’on a connue ces quatre dernières années.
Comment vivez-vous ce match-couperet qui en cas de succès vous qualifie pour les demies ?
Je le vis normalement en réalité dans la mesure où nous travaillons bien, les conditions sont réunies, les garçons répondent vraiment bien à ce qu’on est entrain faire depuis Alicante, en Espagne. Jusqu’à aujourd’hui, le travail a été très bien fait. Les garçons sont réceptifs. Ils ont envie d’aller loin. A partir de là, notre rôle, c’est de faire le travail
et de bien le faire. C’est cette sensation qu’on a. Maintenant, on sait que le terrain est une autre réalité. On peut bien travailler, mettre toutes les conditions requises à l’entrainement et sur le terrain, mais en face il y a un adversaire qui a bien travaillé aussi et qui a mis ses plans pour nous contrarier. Mais je pense que nous travaillons bien et nous sommes plutôt sereins.
Une Can à 24 équipes dans un pays où il fait extrêmement chaud durant cette période. Qu’est-ce que cette édition a de particulier pour vous ?
C’est la forte chaleur. Au Gabon en 2017, les stades étaient remplis. Il y avait beaucoup d’engouement autour de la Can. Mais pour cette Can 2019, on a juste l’impression que c’est quand l’Egypte joue que les stades sont remplis. Cela fait bizarre parce que c’est la fête du football africain qui a son mot à dire dans ce football mondial. Mon regret, c’est surtout cela.
Et sur le plan technico-tactique, comment voyez-vous cette Can ?
Disons que sur le plan technico-tactique, il n’y a rien de nouveau. Il n’y a rien qui a été inventé. Nous faisons à peu près les mêmes choses. Le système qui revient le plus, c’est le 4-3-3 et le4-2-3-1. Ce sont les systèmes préférentiels de pratiquement toutes les équipes qui sont là, à part le Bénin qui évolue parfois àcinq derrière.
Si on tire le bilan des quatre matchs du Sénégal, c’est trois victoires et une défaite. Quel a été le match le plus difficile à gérer ?
Tous les quatre matchs ont été difficiles. Vous savez, on est à un niveau où il y a 24 équipes et toutes ces équipes sont très bien préparées. Il ne faut pas penser que la Can il y a 20 ans, c’est la Can d’aujourd’hui. Il y a 20 ans, on pouvait vous dire exactement les équipes qui seraient en finale. Aujourd’hui, c’est différent. Les soi-disant petites équipes arrivent à sortir les grandes équipes. Pourquoi ? Parce qu’il y a un nivellement à partir du bas. A partir de là, j’ai envie de dire qu’il faut être vigilent, il ne faut sous-estimer personne.
Justement, on a envie de vous donner raison avec les éliminations de l’Egypte, pays hôte, du Maroc ou encore du Cameroun, tenant du titre…
En effet, cela prouve tout simplement qu’il n’y a plus de petites équipes en Afrique. Je suis dans ce football africain depuis bientôt 20 ans. Il y a une évolution du football africain. Prenez l’Ouganda par exemple. Quand on jouait cette équipe en 2002,on les mettait 4-0 chez nous. Aujourd’hui, l’Ouganda, c’est une machine. C’est très difficile de jouer contre eux. Elle a une Fédération assez organisée et qui amène aujourd’hui des joueurs professionnels, qui ont une philosophie de jeu. Donc, aujourd’hui, ce n’est plus comme avant. Que ces grosses équipes sortent de la compétition, ne me surprend pas du tout. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’est difficile de gagner un match en Afrique. Toutes ces grandes équipes sont en danger contre ces soi-disant petites équipes. Il faut respecter tout le monde.
On vous a senti très nerveux après la défaite contre l’Algérie et au moment de préparer le dernier match de poule contre le Kenya. Pourquoi autant de nervosité ?
Non, honnêtement je n’étais pas nerveux. Quand il y a une défaite, c’est normal qu’on ait des regrets, qu’on se pose certaines questions. C’est normal mais ce n’était pas de la nervosité. J’ai envie de dire que c’était plus de la concentration qu’autre chose. Je ne vois pas un entraineur perdre un match et arriver en conférence de presse avec la banane et être heureux.
Cette défaite contre l’Algérie, est-ce l’un des moments les plus difficiles pour vous dans cette compétition ?
Du tout ! Je crois que rien n’a été difficile. Comme je dis, on a perdu ce match là et quand je suis rentré à l’hôtel, j’ai encouragé mes joueurs. Je les ai remobilisés. Le lendemain, on était prêt à aller au combat contre le Kenya. Avec le recul, quand on regarde le match contre l’Algérie, j’ai envie de dire que tout n’a pas été mauvais. Il y a eu de très bonnes choses. Il y a eu25 premières minutes vraiment intéressantes où on a maitrisé le jeu. Et puis, comme je dis, on perd ce match là sur un manque d’équilibre de notre équipe. On essaie de faire comprendre à nos garçons qu’un match ne se gagne pas à la première minute, ni en première mi-temps, ni à la fin du match. Il faut rester concentré
pendant 90 minutes. Et à défaut de pouvoir gagner les matchs, il faut éviter de les perdre. Faut aussi noter qu’il y a eu beaucoup de situations difficiles où il fallait aussi composer avec les blessés. Naturellement le plus difficile aura été sans nul doute la blessure du gardien de but, Edouard Mendy, intervenue au moment de l’échauffement contre le
Kenya.
Justement, comment avez-vous vécu cette situation imprévue ?
Voilà ! Tout à l’heure, quand vous m’avez demandé si la défaite contre l’Algérie a été difficile j’ai dit non. Disons que c’est surtout la blessure de Edouard Mendy avant le Kenya qui a été difficile pour moi. Imaginez vous, un match de qualification, vous perdez votre gardien numéro un pendant l’échauffement. Ilse casse le doigt. Il faut tout de suite trouver des solutions, en l’espace de cinq minutes. Du coup, tout ce que vous avez mis en place, il va falloir tout remettre en question. Les coups de pied arrêtés, il faut les revoir parce que ce qu’un gardien veut, l’autre ne le veut pas. Mais je crois là aussi, on a montré notre calme, notre sérénité pour pouvoir vraiment ramener tout le monde à la
raison et gérer au mieux cette situation. Ce fut une première pour moi d’être à quelques minutes d’un coup d’envoi et de devoir prendre une décision. C’est une situation que je n’ai jamais connue dans ma carrière d’entraîneur. Mais comme je dis, c’est aussi cela notre métier. Mais je pense que notre maturité et celle de notre équipe ont pu faire en sorte qu’on a bien su maitriser ce match là avec au bout cette qualification.
Après cette qualification, vous aviez eu à gérer un autre dossier, celui des tireurs de penalties avec les deux ratés par Sadio Mané. Avez-vous finalement tranché la question ?
Je n’ai jamais eu de problèmes sur les tireurs de penalties. Vous savez, un joueur de football rate des penalties. Comme un arbitre peut se tromper, comme une entraineur peut aussi se tromper. Sadio Mané a raté le premier pénalty contre le Kenya, mais il ne faut pas oublier qu’il a marqué le deuxième. A partir de ce match là, il est parti sur une note assez positive. Après fort de cette confiance, on a un pénalty contre l’Ouganda et c’est lui qui est désigné. Malheureusement pour l’équipe et pour lui aussi, il le loupe. Mais moi, ce que je retiens, c’est surtout que c’est lui qui met le but qui nous qualifie. Donc, j’ai envie de dire qu’il n’y a pas de soucis là-dessus. Mais c’est une histoire qu’on a gérée tranquillement, sereinement parce que quand même, Sadio, c’est un garçon très intelligent, très posé et il œuvre pour l’intérêt de l’Equipe nationale du Sénégal.
Qu’est-ce que vous avez finalement décidé ?
Lui-même a décidé de ne plus tirer les penalties, on prend acte. A partir de là, je pense que les choses sont claires, nettes et précises. Donc on avance…
Parlons du match contre le Bénin. Avez-vous suffisamment d’éléments sur cette équipe ?
En réalité, on n’a pas attendu de jouer le Bénin pour avoir des informations sur cette équipe. Même si on doit s’occuper de nos adversaires en poule, quand on rentre à l’hôtel, on regarde aussi les autres poules parce que ce sont de futurs adversaires. Donc nous suivons le Bénin depuis le début du tournoi. C’est une équipe très solide, très sérieuse, très bien organisée qui a aujourd’hui un capital-confiance. Ils sont entrain d’écrire une grosse page de l’histoire de leur pays sur le plan footballistique. Ils ont un entraineur très organisé que je connais et qui connait bien la mentalité africaine. Nous respectons cette équipe-là. Mais comme je dis, nous allons aller vers une confrontation très intéressante avec deux styles de football différents. En tous cas, on est optimistes. Ce n’est pas un match qu’il faut prendre à légère ou sous-estimer le Bénin, capable de jouer avec cinq défenseurs, mais aussi capable de jouer avec quatre défenseurs.
Oui mais c’est aussi une équipe qui n’a pas enregistré de victoire. Est-ce que cela peut être un avantage pour vous ?
L’essentiel dans le football, c’est d’avoir des résultats positifs. Les choses ont fait que, malgré qu’ils n’aient pas gagné de match, ils sont quand même qualifiés en huitièmes et en quarts de finale. Donc, sur les 24équipes africaines, il y a une équipe comme le Bénin, alors qu’on voit les grands d’Afrique qui sont éliminés, ce n’est pas un hasard. C’est une équipe qu’il faut prendre très au sérieux. Comme nous l’avons fait pour nos derniers adversaires, nous les observons. Nous savons comment ils jouent. Mais ce qui va être important, c’est de mettre en marche notre plan et notre stratégie pour pouvoir passer ce cap-là.
On aborde les quarts de finale avec la Var qui sera présente. Est-ce que les joueurs sont préparés à ce changement ?
C’est important. Effectivement, la Var peut être quelque chose de positif comme de négatif. On est bien placé pour le savoir. Je ne veux pas trop me prononcer sur ça. Concentrons-nous sur le terrain et faisons le travail du mieux qu’on peut pour passer.