VIVACITÉ, TECHNICITÉ ET INTELLIGENCE D’UN MATHÉMATICIEN-FOOTBALLEUR
La fabuleuse trajectoire de la légende du football sénégalais, Alpha Touré, racontée par Laye Diaw et sa nièce Mimi Touré
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C’est à croire que la presse sportive de ce pays ignore tout du passé glorieux de ceux qui ont écrit les plus belles pages du football sénégalais. Le décès de la grande légende des années soixante –dix, Alpha Touré, est passé presque inaperçu. Même pas un entrefilet. Juste des avis de décès et quelques témoignages de ses camarades du monde sportif. Fort heureusement, le doyen Laye Diaw a dépoussiéré ses archives et a eu la séduisante idée de nous faire vivre dans son émission hebdomadaire, «NittuDemb » à la TFM, un entretien que ce racé footballeur lui avait accordé et dans lequel, il retraçait sa fabuleuse trajectoire. Un homme d’une grande élégance qui séduisait par sa classe et son talent sur les terrains de football. Un professeur de mathématique qui savait faire des arabesques sur la pelouse. Pour son magazine du week– end, « Le Témoin » a rencontré le grand reporter Laye Diaw et la nièce de l’illustre disparu, Mimi Touré, l’ancien Premier ministre de MackySall. Trajectoire fabuleuse d’un talent pur du football sénégalais.
S’il y’a un homme qui a marqué la pointe de l’attaque sénégalaise à travers des buts explosifs et une vivacité à la Usain Bolt tout en distillant à travers ses exploits une dose d’intelligence, c’est bien le footballeur Alpha Touré, arraché à l’affection du monde sportif le samedi 7 juillet 2018. Et s’il avait la précision du géomètre pour mettre des buts, c’est parce que l’homme a enseigné les mathématiques durant 35 ans après des études à l’université de Dakar devenue Cheikh Anta Diop. Né vers les années 40 à Kaolack, Alpha Touré s’est d’abord fait connaitre dansl’ancienne capitale arachidière à la fin des années 60 où il jouait dans une équipe de division régionale du nom de « Jeunesse amicale de Kaolack ». Il y était en compagnie d’un certain Lala Soumah, un originaire de la Guinée Conakry, qui deviendra aussi un de ses futurs coéquipiers dans l’équipe nationale du Sénégal. Le doyen Abdoulaye Diaw raconte : « En 1968, Alpha Touré obtient son ticket d’entrée à l’université de Dakar. Profitant de son séjour dans ce temple du savoir, il signe à la Jeanne d’Arc où il va s’imposer. » Deux ans plus tard, Alpha devint, grâce à un travail colossal, le leader d’attaque de la Jeanne d’Arc de Dakar par ailleurs leader naturel du football sénégalais. Mieux, le capitaine de cette équipe dakaroise jouera la finale de la Coupe du Sénégal en 72, 73 et 74. A l’époque, raconte la bibliothèque sportive, Abdoulaye Diaw, l’attaque de la Jeanne d’Arc, composée de Alpha Touré, Mamadou Diop avec qui il a aussi joué à la « Jeunesse amicale de Kaolack », Fara Gomis et Kofi Koné, deviendra plus tard celle de l’équipe nationale. Le journaliste sportif se souvient que pendant la rivalité entre le Sénégal et la Guinée autour de cette zone, l’équipe du Sénégal a réussi à marquer grâce à cette ligne d’attaque trois buts à Conakry et rater un pénalty. Cette ligne d’attaque de l’équipe nationale du Sénégal a fait parler d’elle avec Boubacar Sarr « Locotte », Bamba Diarra et Séga Sakho. Le doyen se rappelle de ce fabuleux match de Lomé au cours duquel, Alpha Touré et sa bande réussirent l’exploit en rentrant victorieux sur le score de 3 buts à 1. En 1969, le défunt footballeur réussit un doublé avec l’équipe de la Jeanne d’Arc en remportant la Coupe du Sénégal et le Championnat. « Ils avaient battu l’Espoir de Saint-Louis après deux éditions. La première édition, c’était le 6 juillet 1969. Et la deuxième édition le 20 juillet 1969 », se souvient le doyen Abdoulaye Diaw. Sa vivacité, sa technicité et son intelligence faisaient de l’homme un joueur extraordinaire. Abdoulaye Diaw de marteler : « Quand je regarde les attaquants d’aujourd’hui, par exemple ce que fait l’international Français Mbappé, c’est-à-dire être capable de prendre une balle dans la ligne médiane, de ne dribler personne et par des accélérations arriver dans la surface de réparation adverse, c’était ça la qualité de Alpha Touré. Il était un footballeur qui savait porter le ballon, qui savait aller très vite avec le ballon. Il accélérait dans les espaces. Alpha était vraiment le prototype de l’attaquant de rupture. Quand le collectif est grippé, il était capable à lui seul de prendre le ballon et de l’amener à l’entrée de la surface de réparation adverse. »
MIMI TOURE : « Sa mère ne voulait pas qu’il aille en France parce que son grand frère parti auparavant y a épousé une Blanche et y est resté »
Malgré tout son talent, Alpha Touré n’a jamais opté pour le professionnalisme en France, destination privilégiée des sportifs de l’époque. Pour Laye Diaw, par ailleurs parent de la maman de Alpha Touré (sa maman Khady Diaw est sœur à son père, ndlr), il n’a pas joué à l’étranger parce que justement Alpha avait sa profession. Alpha était, fait-il savoir, déjà enseignant quand il a commencé à émerger. Alors, explique le doyen Abdoulaye Diaw, un intellectuel de cette trempe, qui était professeur de mathématique, ne migre pas. Mais sa nièce Mimi Touré (Alpha est le frère de son père, ndlr) donne de plus amples explications sur son oncle paternel et professeur de mathématique qui a exercé pendant 35 ans à Bargny et à la Zone A. « Sa mère n’a pas voulu qu’il soit professionnel de football malgré les offres alléchantes des clubs français. Elle ne voulait pas qu’il aille en France parce que son grand frère parti auparavant y a épousé une Blanche et y est resté. Alpha a poursuivi ses études à la Fac en mathématiques et sciences physiques tout en continuant à jouer au football. C’est un message pour les sportifs on peut être sportif de haut niveau et intellectuel », révèle l’ancien Premier ministre et actuelle Envoyée Spéciale du président de la République. Se rappelant d’une anecdote qu’il a de Alpha Touré, le journaliste sportif au Groupe Futurs Médias, confie qu’au début des années 70, plus précisément en 76, l’équipe nationale est allée en grève. L’animateur vedette de « Nittu Demb » sur la TFM explique que le Président Senghor, pour motiver ses joueurs, leur avait alloué une prime mensuelle. Ceci, qu’ils jouent ou pas. A l’époque, se rappelle-t-il, la Fédération avait une liste de joueurs susceptibles de jouer en équipe nationale à qui on versait chaque fin du mois une somme d’argent. Mais, on ne leur a versé cette prime que deux fois. Au troisième mois et au quatrième mois, cette prime n’est pas, confie le doyen Laye Diaw, « tombée ». Et quand on a eu besoin de l’équipe pour un match, raconte toujours le journaliste sportif, ces derniers ont tous refusé de jouer. « On leur devait de l’argent. On les a alors convoqués en réunion à minuit à la Fédération. Et quand ils sont arrivés, les dirigeants de l’époque leur diront que voilà : nous vous donnons la parole. Alpha Touré de leur dire (aux dirigeants, ndlr) mais non, nous n’avons pas demandé la parole. C’est vous qui nous avez convoqués. Nous vous écoutons. Vous nous convoquez en réunion et vous voulez nous faire parler, nous vous écoutons. Les dirigeants leur répondirent que vous êtes allés en grève, c’est pourquoi nous vous donnons la parole pour que vous vous expliquiez. Alpha Touré de rétorquer que nous sommes en grève parce que notre revendication est légitime. Vous deviez nous verser chaque mois de l’argent mais après deux mois rien. Nous sommes venus vous écouter pourquoi cet argent ne nous parvient plus. La réunion n’est pas allée loin. Et pour essayer de les récupérer, la Fédération leur propose d’écrire une lettre d’excuse. Alpha Touré dit niet : Nous n’écrivons rien. Nous sommes dans nos droits. Mais, finalement, ils ont trouvé la parade pour éponger cette affaire. Voilà un tout petit peu pour vous montrer la forte personnalité de Alpha », explique M. Laye Diaw.
LAYE DIAW, JOURNALISTE SPORTIF : « J’ai eu des frissons quand Mimi Touré m’a envoyé un message pour me présenter ses condoléances »
A la fin de sa carrière, Alpha Touré s’est doté d’une école de football qu’il a baptisé Domingo Mendy pour sans doute le remercier de son geste. Domingo Mendy, c’est celui qui était, confie le doyen Laye, allé le chercher à l’université de Dakar quand il est arrivé dans la capitale pour l’amener à l’entrainement de la Jeanne d’Arc. Domingo était aussi, vers les années 50, révèle le doyen, ce que Alpha Touré deviendra avec la Jeanne d’Arc des années 70. Et le commentateur sportif de marteler : « Vingt ans plutôt, ce Domingo- là était le capitaine de la Jeanne d’Arc pour le voir, le voir progresser et devenir le capitaine de la Jeanne d’arc. Il faut également noter que Domingo a été nommé meilleur joueur du cinquantenaire au Sénégal. » Mort la semaine dernière, l’ancien attaquant vedette du Sénégal et de la Jeanne d’Arc de Dakar mérite certainement un hommage mérité de la part de toute la nation. « J’ai eu des frissons quand, à l’annonce de son décès, Mimi Touré m’a envoyé un message, puisque nous sommes de la même famille – Mimi Touré côté père et moi côté mère – pour me présenter ses condoléances. J’ai eu chaud au cœur. Et cela me faisait plaisir de voir Mimi Touré avec son statut faire un tel geste », confie en conclusion le doyen Abdoulaye Diaw.