C’EST CHOQUANT ET INADMISSIBLE
DEMBA KANDJI A PROPOS DE LA DÉLOCALISATION DE SANDAGA A LAT DIOR
Il est très remonté contre les autorités administratives de Dakar qui ont décidé de recaser les commerçants de Sandaga devant le Palais de justice de Dakar. A travers les vitres de son bureau niché au troisième étage du Palais de justice Lat Dior, Demba Kandji observe l’installation des tentes qui serviront de cantines. Impuissant ! Mais, le premier président de la Cour d’appel de Dakar a décidé de sortir de sa réserve pour dénoncer cette décision et le fait accompli devant lequel les autorités judiciaires ont été mises. Il est préoccupé par la sécurité des juges et des travailleurs de la justice. C’est pour cette raison qu’il a brisé le silence. Dans cet entretien, Demba Kandji étale ses préoccupations, dénonce cette décision saugrenue et plaide pour l’annulation de cette mesure préfectorale qui aboutit à la cohabitation marché-tribunal.
Le site de recasement des commerçants de Sandaga est en passe d’être installé devant le Palais de justice Lat Dior. En tant que premier président de la Cour d’appel de Dakar, comment avez-vous accueilli cette décision administrative du préfet de Dakar ?
Nous l’avons accueillie avec beaucoup de regrets et de désolation. Les magistrats et tous les travailleurs du Palais de justice Lat Dior ont appris la décision en même temps que tout le monde, à travers les ondes des radios. Vous voyez que des ouvriers sont actuellement à pied d’œuvre pour l’installation des tentes, sous lesquelles devront s’installer les marchands (il jette un coup d’œil à travers les vitres de son bureau). Ce qui veut dire que le recasement des commerçants déguerpis de Sandaga dans ce site est une décision effective. Les autorités ont discuté sur les modalités de recasement sans au préalable prendre l’avis des magistrats et les autres auxiliaires judiciaires. Nous déplorons le fait accompli. Nous sommes tous d’accord sur l’opportunité de la fermeture du marché Sandaga, pour des raisons liées à son état de dégradation et à des problèmes d’ordre sécuritaire. Nous sommes tous des Sénégalais. Mais les commerçants ne peuvent pas être recasés ici. Non, c’est inadmissible. Incroyable. C’est même regrettable. Un marché qui fait face à un Palais de justice, cela n’existe nulle part au monde. Le marché et un Palais de justice ne peuvent pas se côtoyer. Ce n’est pas possible. Un Palais de justice ne peut pas côtoyer un marché (il insiste).
Est-ce que vous avez porté ces revendications à l’endroit des autorités étatiques ?
Bien sûr ! Quand nous avons appris la décision, nous ne sommes pas restés les bras croisés. Nous sommes allés à la rencontre des autorités étatiques et administratives, qui ont fait preuve de compréhension. Nous leur avons exprimé le désarroi et l’inquiétude de toute la communauté judiciaire, quant à la volonté du préfet de recaser les commerçants déguerpis de Sandaga en face du Palais de justice Lat Dior. Nous ne sommes pas une corporation qui jette des cailloux ou qui sort dans les rues pour manifester. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de déplorer cette situation qui est inacceptable.
La justice a toujours eu une architecture qui lui est propre. La justice a toujours eu son espace, à travers lequel se dégage une sérénité. Je pense que c’est pour cette raison que les autorités ont construit ce Palais de justice avec un budget estimé à hauteur de 15 milliards. Aujourd’hui, on veut nous imposer la cohabitation avec un marché. Ce n’est pas possible. En tant que premier président de la Cour d’appel de Dakar, je suis le premier responsable de ce site. On ne peut pas exiger à la justice de notre pays de se hisser au rang des standards internationaux et en même temps lui mettre en califourchon un marché dans son espace. La justice est un pouvoir, comme l’Exécutif, comme le pouvoir législatif. Donc il lui faut un espace propre.
Quelles seraient, selon vous, les conséquences de cette mesure administrative ?
Déjà, il y a une nécessité de revoir les mesures de sécurité au sein du Tribunal. Avec ce site de recasement des commerçants déguerpis de Sandaga, le Palais (de justice) sera sans doute envahi. Avec le marché, il sera impossible de travailler dans la quiétude sans être dérangé par les bruits qui proviendront de ce site de recasement. Nous connaissons tous le caractère tentaculaire des marchés africains. C’est dans l’intérêt de tous les magistrats, qui interviennent dans les procédures judiciaires, de travailler dans le calme et la sérénité. Nous avons besoin d’un maximum de quiétude et de sécurité pour travailler convenablement. Avec un marché en face du Palais de justice, nous serons les plus exposés. Je pense qu’il y va de la vie du Palais de justice. Demain, les investisseurs qui visiteront le Palais de justice vont avoir une idée fausse de la politique de nos autorités de vouloir hisser la justice sénégalaise au rang des standards internationaux.
Pourtant, le préfet a annoncé un certain nombre de dispositifs sécuritaires : Il a dit que le marché va connaître des heures d’ouverture et de fermeture. Il sera aussi interdit, selon toujours le Préfet, de mettre de la musique et des chants religieux dans cet espace...
Quoiqu’il en soit, cet espace ne peut pas accueillir un marché. Je n’ai rien contre les commerçants mais, entre le site de recasement des commerçants déguerpis de Sandaga et le Palais de justice Lat-Dior de Dakar, la cohabitation est impossible. Le préfet pouvait trouver, en dialoguant, la meilleure solution. Les commerçants de Sandaga devaient être recasés ailleurs. Je vous informe que l’actuel Premier ministre et ancien ministre de la Justice, en l’occurrence Madame Aminata Touré, s’était opposée à l’idée de recaser les marchands ambulants dans ce même site. Et aujourd’hui, franchement je ne comprends rien. Je me souviens, il y a quelques décennies, sous le régime de Abdou Diouf, les autorités judiciaires ont voulu offrir aux magistrats les salles du Cices pour la tenue des audiences du Tribunal. L’idée avait été émise, parce qu’il y avait une insuffisance de salles d’audience dans l’ancien Palais de justice. Les magistrats dans leur ensemble s’étaient réunis, à l’époque, à la salle de la Cour de cassation, pour rejeter l’idée parce que symboliquement c’était choquant. La Justice et une zone commerciale ne sont pas assimilables.
Aujourd’hui, qu’attendez-vous des autorités étatiques ?
Les autorités doivent veiller à l’amélioration des conditions matérielles d’exercice d’une bonne justice. C’est le cas dans tous les pays du monde. Nous devons être dans cette même logique. Nous devons être dans un cadre où les conditions décentes de travail sont offertes. Pour cela, l’objectif principal du gouvernement dans le secteur de la justice devrait être le renforcement de la sécurisation du Palais de justice qui a reçu, pour sa réalisation, un investissement estimé à 15 milliards. Il faut que nos autorités accordent une attention bien particulière à bien sécuriser le Palais de justice. C’est pourquoi, nous plaidons pour que cette mesure administrative tendant à recaser les commerçants déguerpis de Sandaga sur ce site soit levée. C’est dans l’intérêt de tout le monde. L’idée d’installer un marché devant le Palais de justice est choquante. Le Premier ministre a bien fait de réagir et je pense que le président de la République ne manquera pas d’en faire autant.