MACKY SERRE À GAUCHE
Le chef de l’Etat a clairement avoué son appartenance au libéralisme. Mais, les actes qu’il pose l’en éloignent de plus en plus pour le rapprocher des idées de gauche.
Que reste-t-il du libéralisme de Macky Sall ? Voilà une interrogation devenue subitement légitime. Elle se pose avec beaucoup plus d’acuité et d’anxiété dans le Parti démocratique sénégalais (Pds) où l’on ne cessait de claironner que Macky Sall est des leurs. L’objectif est de briser cette sorte de « carcan » formé autour du chef de l’Etat par des partis portés vers la Gauche. Le Ps, l’Afp, la Ld, le Pit sont les plus en vue.
On les accuse de fermenter la volonté de Macky Sall d’en découdre avec les dignitaires de l’ancien régime. Pour ces libéraux, la traque des biens mal acquis est une vision de gauche. Il faut alors casser la coque pour libérer « l’otage » Macky. De sa retraite à Versailles, Wade avait même demandé que la famille libérale se retrouve. L’effet escompté fut nul. Le patron de l’Apr avait juste agité l’idée de consensus sans peut-être trop y croire.
Car, même si le président Macky Sall s’est rendu à Abidjan, en octobre 2012, où se tenait le 58è congrès de l’Internationale libérale, rien ne semble le lier à cette famille politique. Il s’en démarque chaque jour que Dieu fait. Ce jour du congrès d’Abidjan, le président ivoirien, hôte de la rencontre, avait pourtant lancé du haut de la tribune : « Nous sommes des libéraux et nous assumons sans complexe notre appartenance à ce projet économique, politique et social ».
Il voulait, sans doute, resserrer les rangs, s’assurer que le caillage du lait libéral est parfait. Mieux, Ouattara, à l’apparence agréablement surpris du déplacement du chef de l’Etat sénégalais, s’est même félicité de sa présence à Abidjan, confirmation pour lui des « excellentes relations qui existent entre nos deux pays et nos deux peuples mais aussi de votre attachement aux principes de la démocratie et du libéralisme ».
Alassane Ouattara sait bien que le chef de l’Etat sénégalais doit, en partie, son accession à la magistrature suprême à la bénédiction des partis dits de gauche ou socio-démocrates. Malgré tout, Macky Sall est revenu du lac Ebrié, hélas, sans plus faire référence à cette messe et l’esprit plutôt tourné vers la gauche. Très à gauche même !
Politique fortement sociale
En moins de deux ans à la tête du Sénégal, le président de l’Alliance pour la République (Apr), un parti qui mouille sans équivoque dans le libéralisme, multiplie les actes à portée hautement sociale. Le dernier exemple de cette tendance vers les couches défavorisées est la baisse du loyer.
Non seulement Macky Sall s’était engagé lors de la campagne électorale de la Présidentielle de 2012 à réduire le coût du loyer, mais une enquête de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) avait, en décembre 2012, mis le doigt sur la plaie. Il est, en effet, ressorti de cette enquête que 50,9% des chefs de ménage sont en location. Pire, 35 % des revenus des ménages sont engloutis par les frais de location.
Ça y est ! Le chef de l’Etat a reçu le rapport de la Commission dirigée par le député Iba Der Thiam. Un rapport qui « opère des coupes » sur le coût du loyer allant de 29%, 14% à 4%, selon les types de logement. M. Thiam a rappelé l’engagement de Macky Sall, durant la campagne électorale de 2012, de faire baisser les prix des loyers à Dakar. « Les réductions de 29%, 14% et 4%, c’est assez considérable.
Cela est à la fois important, acceptable et significatif », a déclaré à la Rts Macky Sall, fustigeant les normes de construction et l’anarchie notée dans le secteur du bâtiment. Il va jusqu’à citer en exemple la « voracité » des courtiers qui exigent sans pitié, parfois, des avances de trois mois. « Il y a une anarchie qu’il faut réguler avec des textes », tranche-t-il net. Justement, sitôt arrivé aux affaires, Macky s’occupe du net à percevoir des fonctionnaires.
Là, il opère une baisse des impôts sur les salaires. Qu’importe si la mesure fait « perdre » au trésor public près de 40 milliards de FCFA. Le sacrifice est si important que le président de la République montre des signes d’agacement face à la faiblesse de la communication gouvernementale sur cette décision.
La mesure fait faire des bonds importants au pouvoir d’achat des Sénégalais. Les syndicats qui avaient toujours exigé la baisse de la fiscalité sur les salaires s’en réjouissent. Des travailleurs interrogés par les médias avancent qu’ils vont investir ce gain dans l’habitat, un autre casse-tête des chefs de famille.
A Taïba-Ndiaye, dans le département de Tivaouane, Macky Sall, met en marche son combat contre les inégalités. Les premières « Cartes Yaakaar » des bourses sociales sont remises aux bénéficiaires dans cette localité. «Dès mon accession à la magistrature suprême, je me suis engagé dans la voie d’une politique de protection sociale et de promotion des groupes vulnérables», a déclaré le président Sall au cours de la manifestation. Le programme démarre avec 5 milliards de FCFA et va toucher 50.000 familles.
En 2014, le cap des 100.000 familles sera atteint avec un budget porté à 10 milliards de FCFA. « Mon ambition, c’est d’atteindre les 250.000 familles, soit à peu près 2 millions 500 Sénégalais d’ici à 2017 », a lancé le président de la République. Auparavant, Macky lance un autre programme social : la Couverture maladie universelle (Cmu). La mesure, effective, ouvre la gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans.
Cette gratuité concerne les tickets de consultation dans les cases, postes et centres de santé, mais aussi le ticket d’hospitalisation (séjour) dans les centres de santé (sept jours au maximum), le ticket de consultation à l’hôpital (urgences) et le ticket de consultation des patients référés.
«Nous sommes sur la bonne voie », s’est félicitée Mme Awa Marie Coll Seck, ministre de la Santé et de la Protection sociale. Là, c’est une cagnotte de 1,8 milliard de FCFA mobilisé pour l’achat des tickets de consultation. Lors du conseil des ministres du 16 novembre 2012, le gouvernement du Sénégal adopte le projet de loi autorisant la création du fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis) dont les principales orientations ont été définies par le président Macky Sall.
C’est un nouvel instrument au service de sa politique économique et sociale. Objectif ? Relancer l’économie nationale et les PME. C’est clair, ce qui est visé ici c’est la création massive d’emplois et de richesses pour les générations actuelles et futures.
L’emploi : ce secteur qui résiste encore aux différents régimes qui se sont succédé à la tête du pouvoir. Encore Premier ministre, Abdoul Mbaye lançait : « En 2012, malgré un très mauvais départ au premier trimestre, la croissance du Sénégal devrait s’établir à 3,7%.
Elle sera de 4,3% en 2013. C’est cela qui explique le lien recréé avec l’ensemble de nos partenaires, bilatéraux et multilatéraux, avec encore plus de vigueur que par le passé… Cette confiance retrouvée nous vaut l’augmentation du volume des financements destinés entre autres à la création d’emplois pour les jeunes, les femmes et à la lutte contre la pauvreté. Ces financements aident aussi à la restauration des grands équilibres macroéconomiques ».
Libéralisme humanisé ?
Qui sait, Sall veut-il, à l’image du président Ouattara, faire du libéralisme une affaire d’humanisme ? « La famille libérale nous a appris qu’être libéral, c’est être humaniste, c’est veiller à ce que la production économique, la création de richesses, servent d’abord et surtout aux citoyens, à la prospérité de la société et du plus grand nombre ; c’est aussi réduire la pauvreté et créer des emplois, notamment pour les jeunes. C’est ce que nous appelons le libéralisme à visage humain », a plaidé le chef de l’Etat ivoirien. Un cocktail qui donne de la matière et le sourire aux théoriciens. Car, personne ne veut endosser et assumer l’image que le libéralisme a toujours reflétée dans les consciences, sa connotation négative.
Comme on le sait, cette option politique charrie perte d’emplois, protection du capital et promotion des capitaines d’industrie sans pitié face aux intérêts des travailleurs. Cette orientation qui fait fi des subventions et sacralise les équilibres de l’économie se préoccupe peu du social. Dès son accession au pouvoir, Macky a plutôt cherché à défaire les populations de l’étau de la flambée des prix. Il n’y est pas tout à fait arrivé, mais sa volonté est sans équivoque.
Le service du contrôle des prix, perdu de vue depuis des lustres, est réactivé pour traquer les commerçants voraces. Au nom du social. Hélas, chez nous, ce social a un parti. C’est la demande sociale. Elle a ruiné le socialisme de Diouf, « taliban » des options du FMI et de la Banque mondiale, balayé le libéralisme fortement « corruptogène » de Wade. Macky, averti, a lâché devant les intellectuels qu’il recevait au palais : « J’ai une forte sensibilité sociale ». Belle manière de clignoter à droite pour tourner à gauche !
L’argent, les avantages, ces bannis de la gauche
Même si les libéraux s’acharnent à dire que Macky Sall est assis sur 8 milliards de FCFA, le chef de l’Etat cultive une sorte de pudeur pour l’argent. La rupture annoncée dès son accession aux affaires se manifeste par la modération qu’il affiche à distribuer de l’argent. Contrairement à son prédécesseur, libéral déclaré. Wade en était arrivé au point que la chronique avait baptisé le palais de la République «Gab», distributeur automatique de billets.
Une petite adhésion au Pds se rétribuait à hauteur parfois de 50 millions de FCFA. Conséquence ? Les scènes de pugilat au sein même du palais étaient rapportées par la presse. L’argent, encore l’argent, toujours l’argent est en cause. « Mon adversaire, c’est la finance », avait dit le candidat socialiste, François Hollande. Lui en a eu par la suite une acide déconvenue avec l’affaire Cahuzac. Macky continue à résister.
Pire, il a établi une sorte de pudeur entre l’argent et ses collaborateurs. Parce que son combat contre l’argent sous sa forme avilie (corruption, magouilles, détournements) est encore au cœur des tiraillements politiques. Dans cette foulée, il opère une sorte de nettoyage à sec : les logements conventionnés, les agences budgétivores, les privilèges à bord des avions, etc.
Résultat, Macky « totémise » la transparence avec ces instruments comme l’Ofnac, le ministère de la Promotion de Bonne gouvernance, la déclaration de patrimoine quasi généralisée. Rien que combattre l’agent dont François Mitterrand disait, en 1971, au congrès d’Epinay qu’il «pourrit jusqu’à la conscience des hommes». Reste, Monsieur le président, le bastion des «Sage» et ces «Dage» dont la plupart sont au petit soin des fournisseurs.