VIDEOMANDELA, BABA MAAL ET LE GRAND BOUBOU BASIN
PREMIÈRE RENCONTRE ENTRE L’ARTISTE ET L’ANCIEN PRÉSIDENT SUD-AFRICAIN
Après la cérémonie officielle de lancement de la huitième édition du festival ‘’les blues du fleuve’’ Baaba Maal a fait face à la presse. EnQuête a saisi l’occasion pour revenir avec l’artiste sur les moments privilégiés qu’il a partagés avec le défunt Nelson Mandela.
Vous avez décidé de rendre hommage à Mandela, lors de cette huitième édition du festival ‘’les blues du fleuve’’. Entreteniez- vous des rapports particuliers avec Madiba ?
Aujourd’hui, nous sommes tristes. (Il se répète deux fois). Nous sommes tristes parce que nous venons de perdre quelqu’un qui nous est très cher. Nelson Mandela, que nous avons perdu hier (ndlr jeudi, l’entretien est réalisé vendredi), a été et restera à jamais une icône pour Baaba Maal. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Je l’ai rencontré plus de quatre fois dans ma vie et à chaque fois, j’ai été impressionné par la grandeur de cet homme. Et cela ne vient pas de lui. Cela vient du Bon Dieu. La première fois, on m’avait remis une lettre pour que je la lui remette. Il m’a reçu dans ses locaux à Pretoria. Le sourire visible sur le visage de cet homme à 2h du matin m’a donné l’espoir de continuer à chanter.
J’avais un cadeau pour lui. C’était un ensemble trois-pièces de couleur verte très bien cousus et venant du Sénégal que je voulais lui offrir à titre personnel. Nelson Mandela a demandé à porter ce basin dans l’immédiat. Il m’a demandé d’ouvrir le paquet. Je l’ai aidé à porter le boubou, il a souri encore et dansé devant moi. Il m’a demandé des nouvelles du Sénégal. Et cela peut témoigner du respect que cet homme avait pour notre pays qu’est le Sénégal qui avait tant prié pour sa libération. Mes amis, les Anglais, étaient là, avec beaucoup d’artistes internationaux. Nous avons donné un concert à Londres, en l’honneur de Mandela, dans les locaux des bureaux de l’ANC et après, il nous a demandé de le rejoindre.
J’étais avec mon neveu Amadou et ma nièce Aïda, il nous a donné un conseil que je n’oublierai jamais. Il nous a dit : ''Vous les artistes Baaba Maal, Mel B des Spices girls et tant d’autres, vous devez être conscients du fait que partout où vous allez, votre message peut aller beaucoup plus loin que ceux des politiciens. Et cela vous ne devez jamais l’oublier''. Plus tard, j’ai été membre de sa fondation pour lutter contre la corruption, contre les maladies, contre l’injustice, etc. On a organisé beaucoup d’anniversaires pour Nelson Mandela à New-York, à Freetown où j’ai chanté ‘’bayo’’ (ndlr un titre acoustique qui rend hommage aux enfants orphelins et victimes de guerre). Nous sommes tristes et espérons que Dieu l’accueille dans son Paradis.
Comment devrait être géré le legs de Nelson Mandela, à votre avis ?
Nous devons d’abord être conscients qu’il nous a laissé un legs. Il nous a laissé un héritage que nous n’oublierons jamais. Il faut que toute la jeunesse africaine s’empare de cet héritage. Ainsi, elle pourra connaître son chemin. Elle pourra revisiter cet héritage pendant des années pour lutter contre la pauvreté. Ça, c’est pour sauvegarder la mémoire de Nelson Mandela. Il a toujours eu un rêve : voir l’être humain retrouver sa dignité. Pour cela, il va falloir appliquer beaucoup de choses. On ne connaît pas les dernières volontés de Mandela. Mais je me rappelle bien, Bono, lors de la célébration des 50 ans de Highland records, m’a dit : ‘’Baaba, c’est vraiment triste. Mandela commence à être très très malade, si seulement on pouvait avoir la chance d’entendre une dernière fois sa voix afin qu’il nous dise ses dernières volontés, ce serait vraiment bien. Depuis, lors, personne d’entre nous n’a eu cette chance. C’est à nous de deviner que Mandela souhaite que la dignité humaine soit magnifiée.
Pour vous l’apartheid signifie quoi ?
L’apartheid continue à exister en Afrique. L’apartheid ne fait que changer de boubou tous les jours. Il y a l’injustice. Si on voyage à travers l’Afrique et même le monde comme en Amérique Latine, on sent qu’il y a certains peuples qui sont dominés et qui n’arrivent pas à s’exprimer. Ils sont conscients de leurs acquis et de leurs atouts, mais n’arrivent pas à s’exprimer. On ne leur donne jamais l’occasion de parler. Pourtant ils ont une vision de ce que doit être le monde. L’apartheid, ce n’est pas simplement pour moi le fait de discriminer des Noirs. Il faut que les gens acceptent de s’asseoir autour d’une même table, d’échanger et de planifier des choses ensemble.
Pour ainsi donner la chance à tout un chacun. Les dominants, ce n’est plus les blancs. Ce sont même des Africains de père et de mère qui dominent d’autres Africains. Cela, à cause de la politique, des acquis sur le plan matériel qu’on ne veut pas céder. Tout cela, pour moi, peut être considéré comme de l’apartheid. D’où la nécessité d’atteindre les objectifs du millénaire pour le développement en instaurant par exemple dans le commerce l’échange équitable. Ainsi, que celui qui vend le coton puisse gagner plus que celui qui l’achète pour pouvoir réinvestir cela dans le social. Quelque part, on peut aussi dire que le monde est ainsi fait. Il faut se battre pour ses droits.
Beaucoup de gens ont prédit le retour de l’apartheid au lendemain du décès de Mandela. Vous, personnellement, pensez-vous que cela soit possible ?
Je pense que cela peut-être le cas parce que l’Afrique du Sud est un pays très riche. Les gens sont très cupides et avides de pouvoir. Tant qu’il y a ce symbole qui fait que chacun a honte de réagir, en pensant que quand Mandela verrait cela dans les médias, il se dirait : ce n’est pas de cette Afrique du Sud dont je rêvais. Mais on a vu que même avant la mort de Mandela, des gens ont commencé à s’entretuer pour son héritage. Que cela survienne à d’autres échelles, l’on peut penser que cela soit possible. Mais peut-être que le soutien de toute l’Afrique et de tous les sympathisants de l’Afrique du Sud qui viendront serviront peut-être de baume pour rappeler aux Sud-Africains que le monde a confiance en eux. Mais, qui sait ? C’est un pays qui n’est pas encore très solide.
Parlez-nous de votre projet de construire un centre culturel au Fouta et pour lequel la maire de Podor Aïssata Tall Sall vous a offert 5 millions...
L’espace culturel n’est pas un espace culturel pulaar. Je tenais à préciser cela. Il s’appelle le complexe culturel du Fouta. Ici, les Haal Pulaars ont toujours vécu avec les Wolofs, les Soninkés et les Maures. Il y a eu beaucoup d’échanges. Je peux dire qu’ici à Podor, 30% de la population sont des Maures et plus de 50% sont le fruit d’un métissage avec ces derniers. Quand je chante, il y a des intonations propres aux Maures. Ce qu’on attend des autorités, c’est qu’elles sachent qu’on est dans une époque de recherches. Mansour Seck et moi-même en avons beaucoup fait. On a voyagé et visité plus de 300 localités à travers l’Afrique. Nous avons recueilli beaucoup de choses. On a fait des enregistrements comme vous.
On a fait jouer des musiciens et des musicologues qui ne sont plus de ce monde. C’est le cas de Dembo Kanouté. Et Mbassou a aussi beaucoup de cassettes d’enregistrements sonores. Il est de notre devoir de sauvegarder tout cela. Cependant, il faut que les autorités accompagnent et encadrent le projet. Car à un certain niveau, cela n’appartient plus à Baaba Maal mais à toute la jeunesse africaine. Des gens peuvent venir de la Chine, de l’Allemagne ou de l’Angleterre, juste pour faire des recherches dans ce centre. Pour le sauvegarder, il y a des lois sinon tout cela risque d’être exposé. Pour le réussir donc, il faut que les autorités nous accompagnent. Je remercie madame le maire d’avoir compris cela. Des gens croient en ce projet et j’espère que d’ici l’année prochaine, une partie au moins sera visible.
Quand est ce que ’’les blues du fleuve’’ iront ailleurs que dans le nord du pays ?
Quand on parle du festival ‘’les blues du fleuve’’ c’est le fleuve Sénégal. J’espère qu’un jour, nous irons organiser ce festival en Casamance ou au bord du fleuve Gambie. Si les gens nous invitent, on viendra. Partout où il y aura un fleuve, on s’y rendra si on nous invite. Parce que moi, les fleuves représentent en Afrique les chemins qui ont été empruntés par les esclaves noirs qui sont partis en Amérique et dans les Caraïbes. Ils ont oublié leurs langues mais pas leurs cultures. Le blues est leur première forme de musique. Donc, c’est une musique qui réunit beaucoup de communautés.