C’EST LE RATIO DE PARTAGE DE LA RENTE QUI EST IMPORTANT ET NON LE NIVEAU DE PARTICIPATION DANS L’ACTIONNARIAT
Les ressources minières du Sénégal font rêver, mais qu'en est-il vraiment ? Moussa Sylla, géologue et ancien patron des Mines, dresse l'inventaire réel du sous-sol sénégalais dans cet entretien accordé à Sud Quotidien
Les spéculations sur le potentiel du Sénégal en ressources extractives se multiplient. L’Amicale des ingénieurs diplômés de l’École Nationale Supérieure des Mines et de la Géologie – Ex IST (ADEMIC), est sortie de sa réserve pour apporter des éclairages. Dans cet entretien exclusif accordé à Sud Quotidien, son Président d’honneur, l’ingénieur géologue, minier et minérallurgiste, ancien Directeur des Mines et de la Géologie, le Dr Moussa Sylla, fait un diagnostic sans complaisance de la situation nationale. L’affaire GCO, les renégociations des contrats, les impacts du pétrole et du gaz sur la pêche, ADEMIC partage son point de vue.
On constate beaucoup de spéculations sur le potentiel du Sénégal en ressources extractives. Qu’en est-il exactement ?
Le Sénégal a un important potentiel en ressources extractives, mais pas au point d’être considéré comme un « scandale géologique », expression réservée à des pays tels que la RDC, l’Afrique du Sud ou la Guinée, etc. Les ressources minières du soussol sénégalais se répartissent entre le bassin sédimentaire qui occupe les 4/5e du territoire et le socle ancien qui occupe le 1/5e restant et qui est situé essentiellement dans la région naturelle du Sénégal Oriental (régions de Tambacounda et de Kédougou)
Les ressources minières du bassin sédimentaire sont le phosphate, le calcaire, les marnes, les argiles (attapulgites et argiles céramiques), le zircon, les minéraux du titane (ilménite, rutile, leucoxène) tandis que le socle recèle des ressources en or, fer, manganèse, uranium et marbres auxquelles s’ajoutent des indices de lithium, cuivre, chrome, étain, tantale, tungstène ainsi que des anomalies géochimiques et/ou géophysiques, reflétant la présence de sulfures de plomb, zinc, nickel et platine etc. Selon les données du Rapport 2023 de l’USGS Mineral Commodity Summary, le Sénégal est 13e producteur mondial de phosphate (devant le Togo et derrière la Tunisie), 6e producteur de zircon et 8e producteur d’ilménite.
Le bassin sédimentaire abrite également, dans son prolongement sous-marin, d’importantes ressources gazières et pétrolières découvertes à partir de 2014, constituées par le gisement de gaz de classe mondiale dénommé Grand Tortue/Ahmeyim (GTA) en partage avec la Mauritanie dont l’exploitation vient de démarrer, le gisement de pétrole de Sangomar exploité depuis juin 2024 avec une capacité nominale de production de 100.000 barils par jour et les gisements de gaz de Yakaar et Téranga situés au large de Kayar, également de classe mondiale. Comme vous pouvez donc le constater, le Sénégal dispose de ressources extractives diversifiées, minières, pétrolières et gazières dont l’exploitation intégrée, devrait permettre dans le cadre de la Vision Sénégal 2050, de jeter les bases d’une véritable économie industrielle capable de générer plus de valeur ajoutée, de richesses et d’emplois.
Le Sénégal maîtrise-t-il son sous-sol pour mieux négocier les contrats ?
Cette question est très pertinente car, dans la Vision Minière Africaine adoptée par l’Union Africaine en février 2009, la connaissance par les États du potentiel de ressources de leurs soussols a été identifiée comme une nécessité pour avoir une meilleure posture dans les négociations contractuelles.
En effet, les exigences des investisseurs pour un régime fiscal favorable et une quote-part élevée sur les rentes minières futures, sont d’autant plus fortes que le risque est élevé c’est-à-dire que le potentiel et la valeur de la ressource sont moins connus. A contrario, l’Etat est d’autant plus fondé à limiter les exonérations fiscales et à relever sa quotepart sur les rentes que le risque est amoindri par l’existence d’une connaissance préalable sur le potentiel de ressources. D’où l’important pour l’Etat d’investir dans les travaux d’infrastructure géologique et de recherches préliminaires. Le Sénégal dispose d’une infrastructure géologique de base constituée par des cartes géologiques et géophysiques thématiques, mais celle-ci reste incomplète et ne lui permet pas de prétendre avoir une maîtrise totale de son sous-sol.
En effet, seules les régions de Dakar et de Thiès sont aujourd’hui couvertes par une cartographie géologique et géotechnique détaillée à l’échelle du 1/50 000. Les autres régions à fort potentiel minier comme le Sénégal Oriental (Tambacounda et Kédougou) et la région du Fleuve (Matam) ne sont couvertes qu’à 1/200 000 et le reste du pays à 1/500.000. Il faut signaler que les travaux ayant permis de constituer les données actuelles ont été réalisés principalement grâce à des financements extérieurs (PNUD, France, Union Européenne, etc.) et aux activités d’exploration des sociétés privées
Cependant, depuis quelques années, les politiques gouvernementales sont orientées vers le renforcement des capacités de l’Etat à acquérir des données par ses propres moyens et à développer et exploiter, seul ou en association avec des investisseurs privés, les richesses de notre sous-sol. C’est ce qui a justifié la création d’une part, de la Société des Mines du Sénégal (SOMISEN), chargée de la gestion de la participation de l’Etat ainsi qu’à la recherche et à l’exploitation de mines au Sénégal au nom et pour le compte de la puissance publique et, d’autre part, du Service Géologique National du Sénégal (SGNS) qui a pour vocation la réalisation de travaux d’infrastructures géologiques et de recherches pour l’amélioration des connaissances du sous-sol.
Le concept de zones promotionnelles introduit par le Code minier de 2016 donne à l’Etat la possibilité de définir des zones à potentiel et d’engager le SGNS à y mener des travaux préliminaires de recherche aux termes desquels pourraient être lancés des appels à concurrence pouvant aboutir à des contrats plus avantageux. Il convient également de signaler que ces trois dernières années, le ministère chargé des Mines, à travers la Direction de la Géologie, a lancé d’ambitieux projets d’inventaires de matériaux de construction et de cartographie géologique couvrant plusieurs régions du Sénégal. A terme, les résultats de ces projets renforceront la connaissance du sous-sol.
L’existence de diamant au Sénégal est souvent agitée par certains observateurs. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire par rapport à ces assertions ?
La recherche de diamants a été menée au Sénégal Oriental, depuis les années 1950 avec des campagnes systématiques initiées d’abord par le BUMIFOM, puis à partir de l’indépendance et sur financement du PNUD, par le BRGM puis par les Soviétiques. Ces travaux ont permis de trouver quelques petits diamants dans les alluvions du secteur de Wansangara et près du cours supérieur de la Gambie. Toutefois, les résultats de ces recherches ont été médiocres puisque moins de 10 petites pierres totalisant moins de 2 carats (0,4 gramme) ont été trouvées au cours de 20 ans de prospection. Par ailleurs, ces travaux ont conclu que ces diamants, en raison de leur morphologie très roulée due à un long transport, proviendraient de la Guinée.
D’autres minéraux marqueurs de kimberlites (roches primaires à l’origine des diamants) tels que les ilménites magnésiennes et les spinelles chromifères ont été identifiés dans les bassins du Koila Kabé, du Boboti et de la Daléma. Toutefois, vu la faible résistance de ces minéraux à un transport long, leur présence suggère l’existence possible de structures kimberlitiques. Ces structures pourraient être une extension du champ kimberlitique mis en évidence dans le Kéniéba, au Mali. Cependant, aucune intrusion kimberlitique n’a été directement confirmée sur le territoire sénégalais. Il reste entendu que, par nature, toutes les kimberlites ne sont pas nécessairement diamantifères. En conclusion, les résultats des recherches de diamant ont été jusqu’ici décevants et, en tout cas, n’ont pas été assez encourageants pour attirer les compagnies minières internationales.
Les premiers contrats négociés pour l’exploitation des ressources ont-ils été avantageux pour le Sénégal, au regard de la faible participation de l’Etat dans les sociétés extractives ?
Les avis sont partagés voire divergents, selon que l’on est du côté de l’Etat ou de la société civile ou des compagnies extractives, ou selon que l’on est bien imprégné des réalités du secteur ou non. Pour mieux apprécier les choses, il faut d’abord prendre en considération le fait que ce sont les investisseurs privés qui prennent seuls le risque de financer l’exploration minière ou pétrolière avec aucune certitude d’aboutir à une découverte économique. Ensuite, en cas de mise en exploitation d’une découverte, ils sont seuls à financer les investissements qui sont très lourds.
C’est compte tenu de ces paramètres que dans l’actionnariat de base l’Etat n’a que 10% sans contrepartie financière avec possibilité d’une participation additionnelle onéreuse qui peut aller jusqu’à 25%. L’Etat a donc la possibilité de porter sa participation dans les sociétés minières jusqu’à 35%, mais il s’est jusqu’ici abstenu de le faire, sans doute parce qu’il n’en voit pas l’opportunité car ce qui importe le plus, c’est de maximiser sa quote-part dans le partage de la rente extractive, après recouvrement par l’investisseur de ses investissement et coûts opératoires, à travers les redevances ou parts de production, les impôts et taxes et les dividendes.
C’est le ratio de partage de la rente qui est important et non pas le niveau de la participation dans l’actionnariat, car celle-ci ne garantit même pas les dividendes dont la distribution est laissée à l’appréciation de l’actionnaire majoritaire, en vertu du Droit OHADA.
En tout état de cause, les dispositions juridiques, fiscales et douanières des premiers contrats sont, en règle générale, alignées sur le Code minier de 2003 ou sur le Code pétrolier de 1998, sans aucune possibilité de dérogation, avec des clauses de stabilisation sur de longue période. Par conséquent, on ne peut pas dire que ces contrats ont été mal négociés, en prétextant qu’ils ne sont pas assez avantageux. On peut toutefois regretter que ces contrats de première génération n’aient pas contenu des clauses d’adaptation permettant par exemple à l’Etat de renégocier un partage plus avantageux des superprofits résultant de hausses substantielles des cours mondiaux
L’exploitation du zircon et des minéraux titanifères par la société Grande Côte Opération (GCO) est décriée par des activistes qui jugent qu’elle porte atteinte à l’environnement. L’entreprise se défend par ses réalisations dans le cadre de la RSE et l’instauration d’une oasis pour reloger les activités touristiques. Quel regard portez-vous sur cette question ?
Je ne pense pas que c’est pour se défendre que l’entreprise a fait des réalisations dans le cadre de la RSE ou ce relogement d’activités touristiques dans un oasis restauré car ces activités s’inscrivent dans un cadre normatif (RSE) ou réglementé (mesures compensatoires ou d’indemnisation, Fond d’Appui au Développement Local). Ceci n’a rien à voir avec les obligations environnementales. Cela dit, je voudrais d’abord rappeler que ce projet avait, dès le départ, suscité des inquiétudes et parfois même fait l’objet d’une forte opposition de la part de certaines parties prenantes de l’administration, de la société civile et même de la part de certains pays qui avait une coopération avec le Sénégal dans le domaine de l’environnement et de la foresterie. Ces inquiétudes portaient surtout sur l’impact de l’exploitation des minéraux lourds sur les programmes de reboisement pour la fixation des dunes, mais aussi et surtout son impact sur les activités maraîchères dans une région des Niayes considérée, à juste titre, comme le grenier horticole du Sénégal, à travers l’occupation du sol par l’emprise minière et les effets potentiels sur les ressources en eau des nappes phréatiques.
La décision d’autoriser le lancement du projet a été fondée sur le fait que, de par la nature des terrains exploités et la méthode d’exploitation utilisée, il a été démontré que les impacts sur les activités maraîchères ou horticoles sont localisés, temporaires et réversibles et que, par conséquent, les deux activités peuvent parfaitement cohabiter dans le temps et l’espace dans le cadre d’une planification concertée de l’avancement des opérations. En effet, il y a le fait que l’exploitation minière cible les dunes suffisamment minéralisées et notamment les plus grandes d’entre elles. Or ces dunes sont impropres aux cultures car elles sont couvertes de sols Dior très pauvres tandis que les activités agricoles sont pratiquées en contrebas des dunes, dans les zones de transition vers les bas-fonds qui abritent les tourbières qui sont également impropres aux cultures en raison de leur acidité. Ensuite, l’exploitation elle-même consiste à extraire par une drague suceuse seulement 2% en poids de minéraux et à rejeter immédiatement les 98% de sables restants à l’arrière de la drague et puis à reconstituer progressivement la dune par reprofilage. Une fois la dune reprofilée et stabilisée, elle est végétalisée pour la fixation des dunes puis remise aux communautés.
En ce qui concerne les ressources en eaux de la nappe phréatique utilisée par les exploitants agricoles à partir des puits traditionnels ou «céanes», les pertes d’eau par évaporation au niveau du lac artificiel sur lequel flotte la drague sont compensées grâce à une réalimentation à partir de forages captant les eaux profondes du maestrichtien. Il convient de signaler que des opérations identiques d’extraction de minéraux lourds et de réhabilitation sont pratiquées à grande échelle dans des environnements dunaires similaires en Australie, en Afrique du Sud, au Mozambique, au Brésil et, plus près de chez nous, en Sierra Leone. Au Sénégal, ces opérations sont menées conformément aux meilleurs standards internationaux
Qu’est-ce que le protocole signé entre le Sénégal et la Mauritanie pourrait changer sur le revenu attendu de GTA notamment lié au contenu local ?
Partageant le même gisement, en l’occurrence GTA, le Sénégal et la Mauritanie ont signé le 09 février 2018 un Accord de Coopération portant sur le développement et l’exploitation des réservoirs du champ de GTA. Cet accord a établi une base de coopération sur plusieurs sujets tels que l’extraction et la liquéfaction du gaz, la quote-part de gaz pour le marché local des deux pays. Il comporte des diverses autres dispositions dont celles relatives au contenu local. En matière de contenu local, il est stipulé que les deux Etats veillent à ce que les contractants et sous-contractants accordent une préférence aux ressortissants des deux Etats et aux biens et services locaux ; ce qui s’inscrit dans la ligne de la loi 2019-04 relative au contenu local dans le secteur des hydrocarbures.
C’est dans la même ligne que s’inscrit le protocole signé le 13 janvier 2025 par les ministres sénégalais et mauritaniens en charge des hydrocarbures qui vise l’optimisation du contenu local à travers la création d’opportunités d’emploi, la valorisation des expertises locales, la formation d’une main-d’œuvre locale qualifiée et compétitive, le renforcement des capacités nationales par le transfert de technologie et de connaissances, l’accompagnement des entreprises nationales pour accroître leur compétitivité internationale. Ce protocole prévoit également la mise en place d’un mécanisme de suivi transparent des engagements pris en matière de contenu local.
Les rapports sur la production de Sangomar font état de chiffres supérieurs à ce qui était attendu. Comment évaluez-vous ces résultats ? Le Sénégal peut-il tirer profit de cette situation et comment ?
On ne qu’applaudir pour ce surplus de production car c’est à l’avantage du Sénégal. En effet, notre quote-part dans le partage de production augmente à mesure que l’on monte dans les tranches de production indiquées dans le contrat. En réalité, dans l’industrie pétrolière et dans les toutes industries de façon générale, la production, avec tous les aléas qui l’accompagnent, ne peut être stabilisée qu’au bout de 2 à 3 ans, étant donné qu’on a affaire à de nouveaux équipements qui démarrent pour la première fois, et que leur mise au point se poursuit durant cette première période. Le grand défi de la production est de réussir à faire l’équilibre entre le volume produit et l’efficacité opérationnelle de l’infrastructure.
Les pêcheurs à Saint-Louis se font beaucoup d’appréhensions sur le GTA. Pensez-vous que la pêche pourra cohabiter avec l’exploitation gazière des champs gaziers ?
Dans beaucoup de pays du monde comme la Norvège, qui est un pays de référence pour les bonnes pratiques, la pêche et l’exploitation pétro gazière cohabitent de façon harmonieuse. Pour cela, il faut qu’il y ait des mesures de sécurité adéquates, une formation et une sensibilisation des pêcheurs sur l’activité et les contraintes en termes de respect des distances de sécurité mais aussi des mesures pour la préservation de la biodiversité et le maintien des zones de pêche, sans compter l’implication du secteur de la pêche dans le développement du contenu local. La communication, la concertation et l’inclusion de toutes les parties prenantes dans les processus de prise de décision sont les gages d’une cohabitation apaisée de l’exploitation gazière et de la pêche.
Saint-Louis souffre aussi de l’avancée de la mer. La mise en service de GTA peut-elle avoir des conséquences ?
Il convient de rappeler que de manière générale, l’avancée de la mer résulte d’un phénomène plus global lié au réchauffement climatique de la planète et, subséquemment, à la fonte des glaciers et à l’augmentation du volume des eaux des océans qui sont interconnectés. Ce phénomène qui frappe quasiment tout le littoral du Sénégal, a été accentué par la brèche qui a été creusée dans la langue de barbarie. En ce qui concerne la mise en service de GTA, l’étude d’impact environnemental et social qui a envisagé l’ensemble des scénarii lié à l’environnement, n’a pas identifié une conséquence majeure qu’elle pourrait avoir en termes d’aggravation de l’avancée de la mer.