21 CAS DE FÉMINICIDES AU SÉNÉGAL ENTRE 2019 ET 2022
La société civile Féminine se prononce sur la recrudescence des violences faites aux Femmes. Entre 2019 et 2022, plus de 20 femmes ont été tuées, d’après la féministe Maïmouna Yade
De la gifle au coup de poing en passant par l’accrochage et l’empoignade, les femmes sont aujourd’hui battues à mort pour un oui ou un non et jusque dans leur foyer souvent par leurs propres conjoints. Les chiffres émeuvent. Entre 2019 et 2022, plus de 20 femmes ont été tuées, d’après la féministe Maïmouna Yade.
Rien que dans l’imaginaire, on a l’impression d’avoir une arête de poisson au travers de la gorge. Des femmes enceintes battues par leurs propres époux pour des histoires banales mais qui finissent souvent dans la tragédie. En 2020, le gynécologue Dr Abdoulaye Diop avait écrit un texte pour s’indigner des violences conjugales sur des femmes en gestation. Des brutalités infligées par leurs conjoints. Une épreuve très difficile à supporter. A l’en croire, « il ne se passe plus une semaine sans qu’on reçoive une patiente qui saigne en début ou en fin de grossesse à cause de coups portés par un conjoint ivre ou simplement contrarié. Battre une femme enceinte. Il s’agit là de la pire attitude possible en termes de bassesse, de sadisme ou de lâcheté. De plus, ces coups sont portés à ces êtres sans défense pour des raisons le plus souvent fallacieuses. Les causes de ces violences sont plus révoltantes que l’acte luimême. (...) C’est vraiment révoltant ! Nous constatons des blessures physiques souvent graves et aboutissant à un avortement ou un accouchement prématuré parfois ! Nous sommes tenus au secret médical mais désormais, personnellement, je dénoncerai aux autorités compétentes toute violence physique constatée sur une patiente pour le motif justifié de mise en danger de la vie de la mère et de l’enfant qu’elle porte. Vous, femmes, prenez aussi vos responsabilités et n’acceptez plus de subir ces violences d’un autre âge malgré la pression de votre famille de rester coûte que coûte dans votre foyer infernal et de risquer de mourir sous les coups d’un type qui ne vous mérite pas et de laisser orphelins des enfants qui continueront à subir la tyrannie de leur indigne père ». Dans ce texte, le médecin a d’abord choisi d’alerter, puis de s’indigner pour ensuite sensibiliser sur un phénomène qui tend à se répandre dans notre pays. Au-delà des coups portés sur des femmes en gestation, le phénomène des violences conjugales, et des violences faites aux femmes en général, a d’ailleurs pris une allure plus qu’inquiétante.
Deux années après cette publication du Dr Abdoulaye Diop, le phénomène des violences sur les femmes ne faiblit pas. Au contraire, il devient de plus en plus traumatisant. Au Sénégal, presque chaque jour, un cas d’agression ou d’abus sexuel, de viol ou de violence physique suivi de meurtres est ébruité. Cette année, octobre n’est pas si «rose» que ça! Au cours du seul mois en cours, cinq femmes ont été tuées. Des féminicides dont la plupart sont commis par des époux.
Octobre 2022, un mois sombre
Octobre 2022 aura été un mois sombre pour les femmes. Ce, dès le premier jour. Le 01er octobre, la dame Nafissatou Diedhiou a été retrouvée pendue dans sa chambre à Grand Yoff. Son époux a été arrêté pour meurtre. Deux jours après cet acte ignoble, un maçon a été accusé d’avoir asséné une dizaine de coups de couteau à son épouse. Le 15 octobre, une autre dame de 26 ans, qui demandait le divorce, a été froidement tuée par balle à Matam par son époux. Le 19 octobre, une fille de 16 ans, Fatou Samb a été décapitée et abandonnée dans la brousse à Kaolack entre Ndiockel Peulh et Diomkhèle. Aïssatou Cissé demande le divorce, son époux Oumar Sano la poignarde à mort. La scène s’est passée à Madina Wandifa, département de Bounkiling dans la région de Sédhiou. Sans compter le cas d’une directrice d’école qui a été tuée et abandonnée dans les buissons à Thiès. « Entre 2019 et le premier trimestre de 2022, plus de 21 cas de féminicides ont été enregistrés. Durant le premier trimestre de l’année en cours, 5 femmes ont été tuées. L’année 2019 a été la plus meurtrière pour les femmes. Entre janvier et novembre 2019, on a répertorié 14 cas de meurtres de femmes. Le taux de prévalence des violences faites aux femmes et aux filles avoisine les 60 % et varie d’une région à une autre». Ce sont les estimations de Maïmouna Yade du Collectif des féministes du Sénégal. Féminicide, un mot qui choque !
La présidente du comité de lutte contre les violences sur les femmes et les enfants se dit effectivement choquée. Elle alerte sur la recrudescence des violences faites aux femmes. « Nous sommes plus que choquées dans la mesure où, depuis que nous sommes dans la lutte contre les violences faites aux femmes, c’est la première fois que nous vivons ce que nous sommes en train de vivre au Sénégal. Ça dépasse l’entendement. Des femmes étaient violentées mais à des temps très espacés qui permettaient aux organisations de la société civile de faire le travail, de sensibiliser, d’aller vers les populations, les familles pour parler avec elles ou même dénoncer et prendre en charge les victimes. Mais actuellement, on ne peut pas rester un jour sans pour autant entendre un cas de viol suivi de meurtre, ou carrément de meurtre ou d’autres types de violence », s’est indignée la présidente du comité de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, Ndèye Fatou Sarr. Ce qui, à son avis, nécessite une meilleure protection des femmes. « Les nouvelles formes de violences, nous ne les connaissions pas avant. Elles méritent une attention particulière de la part des organisations de la société civile, mais également de la part de l’Etat. Nous sommes en train de voir comment partir ensemble, comment voir pour développer des stratégies conjointes de lutte pour nous faire entendre et développer des actions fortes pour non seulement informer les populations, mais également sensibiliser les jeunes et les hommes. Nous préparons la deuxième conférence des chefs d’Etat sur une masculinité positive. Là, nous allons lancer le plaidoyer qui nous permettra d’aller ensemble. La loi s’applique mais nous ne comprenons pas cette recrudescence des violences. Ça mérite d’être documenté et de mener une étude sur les causes de cette recrudescence de ces violences », a-t-elle expliqué.
La féministe Maïmouna Yade dit « constater avec regret le silence de nos autorités face à une si tragique situation ». Se disant plus que déterminée à combattre le phénomène, elle dénonce le mutisme des autorités particulièrement celui du ministre en charge de la Femme. « Le ministère de tutelle est restée aphone », a-t-elle déploré au cours de la conférence sur le féminicide au Sénégal.
Sa camarade Coumba Touré, un autre membre du collectif des féministes du Sénégal, dénonce, elle aussi, ce mutisme des autorités et interpelle le chef de l’Etat. « On ne peut pas continuer à tuer, à violer, on n’a entendu aucune autorité. On ne peut plus le supporter. On a décidé de déranger tous les jours pour être entendu. Quelque chose doit être fait. L’interpellation va à l’endroit de toutes les autorités du pays à commencer par le chef de l’Etat. Nous voulons une mobilisation générale pour stopper net le phénomène » crie Coumba Touré.