A LA RENCONTRE DES OUVRIÈRES AGRICOLES DU SITE MARAÎCHER DE LENDENG
Les ouvrières agricoles, une main-d’œuvre bon marché, font la particularité du secteur maraicher des Niayes dont elles sont devenues indispensables au bon fonctionnement, à l’image des femmes de l’arrêt ‘’Goorgorlou Arrêt Chérif’’ de Rufisque-Est.
Lendeng (Rufisque), 11 oct (APS) - Les ouvrières agricoles, une main-d’œuvre bon marché, font la particularité du secteur maraicher des Niayes dont elles sont devenues indispensables au bon fonctionnement, à l’image des femmes de l’arrêt ‘’Goorgorlou Arrêt Chérif’’ de Rufisque-Est.
Les ouvrières se font appeler ainsi en référence au point de ralliement d’où elles partent pour le périmètre maraîcher de Lendeng, une bande de terre coincée entre l’autoroute à péage et la cimenterie séparant Bargny Kippeu de la commune de Rufisque-Est.
Pour la plupart veuves ou divorcées, mais toutes chefs de famille, ces femmes dont l’âge varie entre 30 et 60 ans travaillent dans ces périmètres depuis 1996 ou le début des années 2000 pour certaines d’elles.
Tous les matins, en petites équipes, elles quittent Colobane, Gouye Mouride, Shérif et Arafat, quartiers populaires de Rufisque, pour monnayer leur force chez les exploitants de ce périmètre contre des rémunérations quotidiennes comprises entre 1.500 et 2.750 francs CFA.
Des revenus modiques certes, mais qui permettent à ces femmes éprouvées par la vie, de joindre tant bien que mal les deux bouts, pour ne surtout pas tendre la main.
Leur travail, rendu particulièrement difficile par les journées ensoleillées de septembre, consiste à désherber les parcelles essentiellement de salade.
Un couteau usagé à la main, comme seul outil de travail, elles s’appliquent à accomplir leur tâche avec minutie, une précaution requise pour ne pas endommager les plants.
Le site de Lendeng est réputé être un périmètre privilégié de production de produits horticoles et de légumes, de la salade, des choux, de la carotte, du persil chinois, du navet et de l’aubergine principalement, sur près de 56 hectares.
Avec la fin de la saison des pluies, la salade et le persil chinois sont les légumes les plus disponibles sur ce site employant une centaine d’ouvrières, explique l’une d’entre elles, Khady Diallo, assise sur un seau, au bord de la route qui longe le périmètre.
Elles se retrouvent tôt le matin, à ‘’Arrêt Shérif’’, près de l’hôpital Youssou Mbargane Diop, pour de là se rendre dans les champs de Lendeng.
En fonction des besoins des producteurs, elles sont réparties en équipes de 5 à 8 sur les parcelles. La journée de travail démarre à 9 heures et finit à 14 heures.
Rétribuées 1.500 francs CFA pour chaque journée de travail, certaines plus jeunes que les autres, reprennent le travail l’après-midi entre 16 heures et 18 heures, pour des heures supplémentaires leur permettant d’engranger 1.250 francs de plus, pour arrondir à 2.750 francs CFA leur gain quotidien.
Celles d’entre elles qui peuvent se permettre le luxe d’engager des heures supplémentaires ne sont la plupart du temps soumises à certaines contraintes comme aller s’occuper du déjeuner ou d’autres tâches ménagères.
Des revenus peu significatifs dans le contexte de cherté de la vie, mais contre mauvaise fortune bon gré, ces ouvrières ne peuvent se passer de ce minimum de ressources garanti par jour, qui ‘’garantit au moins un repas pour la journée’’, confie Khady Diallo, une jeune maman d’une trentaine d’années.
‘’Ce que nous gagnons ici ne représente pas grand-chose, mais c’est mieux que rien’’, explique une ouvrière vêtue d’une marinière en tissu wax, sur un polo longues manches, pour se protéger des piqûres d’insectes.
Avec l’argent gagné, elles parviennent à entretenir leur famille, prenant en charge les frais de scolarisation de leurs enfants.
Pour mieux s’en sortir, les ouvrières mettent sur pied des tontines journalières appelées ‘’calebasses’’, afin d’épargner pour les fêtes religieuses, les baptêmes, la rentrée des classes, etc.
Une trouvaille permettant à chacune d’entre elles d’épargner de l’argent au quotidien, à sa convenance et selon sa bourse.
‘’Parfois, on fait tout pour au moins mettre dans la calebasse 500 francs par jour, pour avoir, au bout de quelques mois, une somme assez consistante’’, explique Collé Guèye, une veuve habituée des champs de Lendeng depuis le décès de son mari.
La cotisation versée est marquée sur une page de cahier dédiée à chaque ouvrière agricole, le montant et le jour précisés.
‘’Ce n’est pas une tontine où on gagne à tour de rôle, mais une épargne confiée au secrétaire général des maraichers. De ce fait, on peut à tout moment récupérer ce qu’on a gardé’’, explique Collé, heureuse de pouvoir délier cette petite bourse en cas de besoin.
A 14 heures sonne la fin de la journée de travail pour certaines d’entre elles, comme Fary, divorcée après quelques années de mariage et obligée de rentrer à pied à quelques deux kilomètres de là pour s’occuper du repas de ses deux enfants en bas âge.
‘’Quelquefois, je reviens vers 17 heures pour prendre à crédit salades, tomates, poivrons et ensuite les proposer aux automobilistes qui s’arrêtent à la sortie 10 de l’autoroute à péage pour s’approvisionner en légumes frais’’, dit-elle.
‘’C’est normalement la fin de la journée, mais là c’est une pause observée par ces femmes généreuses dans l’effort’’, explique un producteur qui exploite près de deux hectares.
A l’ombre d’un grand manguier, au milieu du champ, en compagnie d’autres propriétaires de champs, elles profitent de ce moment pour se désaltérer et manger un bout en attendant de reprendre le travail à 16 heures.
Des heures supplémentaires leurs sont proposées, quelquefois.
Mais pour toutes, ‘’surtout celles habituées des champs’’, le rêve ultime est de pouvoir accéder à la terre et aux financements, afin de travailler à leur propre compte.
‘’Ce sont des femmes braves à souhait, qui ne se plaignent pas trop de leurs conditions de travail, mais qui veulent améliorer leur existence. Et pour cela, elles souhaiteraient pouvoir compter sur l’aide des autorités’’, relève Ndèye Dieng, venue du quartier Champ des courses, à Rufisque.
‘’Si on pouvait nous aider à avoir des fermes communautaires et travailler à notre propre compte, on s’en sortirait à coup sûr, puisque à force de travailler sur ces terres depuis des années, on sait comment produire de bons rendements’’, explique-t-elle.
Ouvrières agricoles la journée, plusieurs d’entre elles se retrouvent vendeuses de légumes en fin d’après-midi, le long de cette route ou dans les quartiers, où elles tiennent des étals, à défaut de ne pouvoir aller au marché.
A Lendeng, l’écoulement de la production maraichère est assuré par les commerçantes qui, tous les soirs, viennent s’approvisionner en légumes qu’elles vont ensuite revendre dans les marchés de la région de Dakar.
Elles partagent leur quotidien entre le marché, le matin, et les bordures du périmètre de Lendeng, l’après-midi.
Avares quand il s’agit de leurs chiffres, les commerçantes gagnent leur vie mieux que les ouvrières agricoles, du fait de leurs capacités à s’approvisionner en gros directement auprès des producteurs.
Leurs revenus quotidiens peuvent varier entre 10.000 et 15.000 francs CFA en haute saison. Un gain qui peut baisser pour se situer entre 5.000 et 10.000 francs pendant la saison morte.
Certaines commerçantes arrivent à acheter la totalité de la production d’un champ pour l’écouler à Thiaroye où d’autres revendeurs viennent s’approvisionner en détail.
A Lendeng et tout autour de ce périmètre, les femmes ‘’tiennent un rôle essentiel dans la distribution, mais aussi en tant qu’ouvrières agricoles’’, explique un des producteurs, Mamadou Kâ, qui en emploie une dizaine d’entre elles.
‘’Sans elles, une grande partie de notre production serait perdue’’, ajoute ce producteur, selon qui les femmes sont au début et à la fin de la chaîne, du champ à la cuisine.
Les producteurs de Lendeng se sont constitués en groupement d’intérêt économique de 125 membres, dont une trentaine de femmes travaillant dans les champs et participant à la distribution des produits maraichers. Elles font également travailler d’autres personnes dont des jeunes.
Mais en cette période marquée par l’hivernage et la fin de la saison des pluies, les ouvrières agricoles tiennent les premiers rôles dans la surveillance des jeunes pousses de salades.
‘’Avant, renseigne le producteur Mamadou Kâ, il était rare de voir les femmes venir monnayer leur force de travail, si ce n’était les périodes de récolte. Aujourd’hui, elles participent au désherbage et au repiquage avant d’acheter des légumes pour aller les revendre au marché ou dans les quartiers.’’
Elles assurent ainsi la distribution des produits dans les marchés de Dakar, Rufisque, Thiaroye, Touba, Castors ou Mbour. Une partie de la production de légumes est destinée à l’export, vers les pays de la sous-région comme la Gambie, la Mauritanie ou la Guinée-Bissau.
Il n’existe pas de statistiques connues de la production maraichère de Lendeng, mais ‘’on s’en sort très bien, la terre ne ment pas, elle restitue tout ce qu’on lui donne en le démultipliant’’, assure le président du regroupement des producteurs de ce site.
‘’Personne parmi ceux qui travaillent ici n’a jamais pensé à l’aventure ou à l’émigration’’, souligne Mamadou Kâ.
Selon une enquête réalisée par le Cicodev, une organisation de défense des consommateurs qui a travaillé sur l’approvisionnement en eau dans la zone de Lendeng, le chiffre d’affaires des producteurs peut atteindre 1 milliard de francs CFA.
Les résultats de l’étude du Cicodev sont confirmés par une autre, réalisée celle-là par l’Institut africain de gestion urbaine en 2018.
Sur cette aire de production qui s’étend sur près de 56 hectares, il ne manque pas de difficultés, on peut citer le difficile accès à la terre et à l’eau.
Les champs sont menacés par la forte urbanisation. Des maisons grignotent petit à petit la superficie destinée au maraîchage, au risque de voir cette activité disparaître, selon les maraichers.
Leur voix semble avoir été entendue, relayée par leurs partenaires de la société civile, dont le Groupe de réflexion pour le développement.
D’où le décret présidentiel de 2019 qui fait de cette bande de terre une zone non aedificandi, réservée à l’activité agricole.
Les difficultés d’approvisionnement du site en eau sont surtout causes par la discontinuité de la disponibilité du liquide précieux, la zone étant placée sous le régime du rationnement, pour éviter les pénuries d’eau destinée à la consommation domestique.