LE CORPS DES FEMMES SERT D’ARENE DE LUTTE
Pour être violente, la société sénégalaise l’est. Les meurtres de femmes s’ajoutent au spectacle triste de ces très jeunes enfants livrés à la rue. La face hideuse d’une société qui n’assume pas ses tares
Pour être violente, la société sénégalaise l’est. Les meurtres de femmes s’ajoutent au spectacle triste de ces très jeunes enfants livrés à la rue. La face hideuse d’une société qui n’assume pas ses tares.
La société sénégalaise est violente. Et cette violence est surtout dirigée contre les femmes et les enfants. Comme le répète souvent la chercheure sénégalaise, Maram Guèye, c’est une société qui a «glamourisé» la souffrance des femmes.
Et selon Adama Sow, les germes de cette violence sont profondément implantés dans notre déterminisme culturel. «La conception que nous avons, c’est que brimer ou battre la femme, c’est accepté. Il est coutumier de battre sa femme, mais les voisins ne réagissent même pas. La violence est en nous», s’indigne Adama Sow. «On sait qu’on vit dans des sociétés violentes, et ça ne date pas d’aujourd’hui. Faire mal, tuer sont devenus des actes banals, mais ce n’est pas normal. Et ce qui est énervant, c’est de vouloir en faire une question de féministes. Dès qu’on tue une femme, les gens demandent où sont les féministes ! Mais tout le monde, hommes et femmes, doit se lever pour dénoncer quand une femme est tuée. Religieux, politiciens, artistes, tous doivent dénoncer. Une femme tuée, c’est beaucoup de gens autour dont la vie est bouleversée, sa famille, ses enfants, etc.», dénonce Coumba Touré.
Le même constat est fait aussi par Dr Rama Salla Dieng, maîtresse de conférences à l’Université d’Edimbourg au Royaume-Uni. «Je me rends compte à chaque fois qu’il y a une sorte de schizophrénie. La société est tellement dans le masla, dans les apparences, alors qu’elle est profondément violente, patriarcale et que le corps des femmes sert d’arène de lutte, de domination d’un sexe sur l’autre. Et le féminicide est le paroxysme de cette violence-là. Que chaque jour, notre corps soit mutilé, que nous soyons tuées juste du fait de notre genre ou de notre sexe, n’est pas acceptable», indique-t-elle.
Avant d’en arriver là, les meurtriers sont pourtant passés par différents stades. Le plus souvent, l’on parle de violences conjugales répétées, de confrontations physiques dans lesquelles la femme est toujours sermonnée. A elle, revient le rôle de la «mougnkat», celle qui doit supporter. Et le silence de la famille vient renforcer ce carcan d’insécurité tissé par la société tout entière. «Beaucoup de victimes sont allées à la police maintes fois sans résultats, parce qu’on leur dit d’arranger les choses en complicité avec la famille. C’est un problème d’hommes, pas un problème de femmes», indique Ndèye Debbo Seck, éducatrice et féministe. Que faire ? Comme dans d’autres pays, propose Adama Sow, il faut mettre en place des dispositifs de prévention. «Il faut prévenir les féminicides et en parler. Les médias doivent jouer un rôle important. L’année dernière, quand il y a eu près de 250 féminicides en France, ils en ont parlé, ils ont mis en place des numéros courts avec les commissariats et les gendarmeries, et même des bracelets. Il y a un certain nombre de dispositifs qui existent dans beaucoup de pays et l’Etat pouvait s’en inspirer. Mais ne rien faire, ça me gêne», souligne Adama Sow.