RTS, UN GROS POINT NOIR
Couverture médiatique de la campagne du référendum du 20 mars - Babacar Touré, le président du CNRA, dénonce : "La religion du roi est celle des sujets" - Le SYNPICS s'inquiète - Le privé pas si irréprochable que ça - Un "Cas d'école" pour le CORED ?
Malgré les alertes du Conseil national de régulation de l’audiovisuel, la RTS persiste à faire la part belle au camp du "Oui" pour le référendum du 20 mars. Babacar Touré, le président de l’Autorité de régulation, s’en désole en déclarant qu’"après deux alternances, le Sénégal mérite mieux".
Dans son propos on sent certes une détermination à mettre les points sur les i, mais aussi une volonté de ne pas braquer le contrevenant. Pris entre l’obligation "de faire respecter les règles de pluralisme" médiatique et la nécessité d’avoir "une approche pédagogique", le président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), Babacar Touré, joue à l’équilibriste habile pour dénoncer la façon dont la RTS couvre la campagne pour le référendum du 20 mars. "Nous constatons que la Radiodiffusion Télévision sénégalaise (RTS) évoque quasi exclusivement le camp du "Oui". Elle se livre par ailleurs à de la propagande déguisée, par exemple en faisant la promotion du "Oui" au référendum sous des prétextes détournés", a-t-il pointé dans un entretien paru sur le site de Jeune Afrique.
Cette "propagande déguisée", le président du CNRA dit l'avoir relevée lors du Conseil national de l’APR, le 7 mars, et lors de la célébration de la journée de la femme, le 8, manifestations au cours desquelles, souligne-t-il, il était davantage question d’appeler pour le "Oui" qu’autre chose. Ce qui constitue, de l’avis de Babacar Touré, une violation de l’article L61 du Code électoral qui dispose que "durant les trente jours précédant l’ouverture de la campagne officielle électorale, est interdite toute propagande déguisée ayant pour support les médias nationaux publics et privés".
"La religion du roi est celle des sujets"
Moins de deux semaines avant l’ouverture officielle de la campagne pour la consultation du 20 mars, le CNRA avait mis en garde contre de tels écarts. Dans un communiqué sorti le 29 février, il invitait les médias à "respecter scrupuleusement les principes d’équité et d’équilibre dans le traitement de toute information relative au référendum". Quatre jours plus tard, le 4 mars, les services de Babacar Touré saluaient la "nette amélioration dans la recherche de l’équité et de l’équilibre qui a été notée dans la plupart des médias", mais ils condamnaient "la persistance de la RTS dans la violation des dispositions légales et réglementaires qui prévoient un traitement équitable et équilibré des activités des 'Courants du "Oui" et du "Non"'".
Le CNRA avait exhorté le directeur général de la RTS, Racine Talla, de "prendre les dispositions idoines pour mettre fin à de telles violations". Sans succès. "Nous avons le sentiment de prêcher dans le désert, souffle Babacar Touré. Quand une chaîne a la puissance publique derrière elle, le sentiment d’impunité l’emporte. Le service public audiovisuel n’en fait qu’à sa tête- et à la tête du client-, ignorant superbement les principes inscrits dans les textes. ‘La religion du roi est celle des sujets’, semble-t-on penser."
Visiblement remonté contre la RTS, le président du CNRA poursuit son réquisitoire en rappelant : "La République, qui est d’abord l’affaire des citoyens, s’accommode mal des pratiques d’accaparement et d’exclusion. D’ailleurs, je doute que de telles pratiques rendent service au pouvoir en place, aujourd’hui comme hier. Après deux alternances, le Sénégal mérite mieux que ce qui lui est imposé à l’heure actuelle."
Quid des sanctions prévues par la loi ? Babacar Touré affirme ne pas croire en cette voie coercitive. Il dit : "Le CNRA préfère s’en tenir à une approche pédagogique, en procédant à des interpellations correctives argumentées. Si l’on devait sanctionner à tout bout de champ, cela affecterait le système médiatique et l’opinion de manière importante et pourrait même déboucher sur des troubles à l’ordre public. Il s’agit plutôt de repenser le système de fond en comble, afin d’améliorer les pratiques professionnelles et l’offre programmatique."
Des privés pas si irréprochables
Nous avons tenté, en vain, de joindre le directeur général de la RTS, Racine Talla. Nos messages envoyés sur son portable sont restés sans suite. Même chose pour le président du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (CORED), Bakary Domingo Mané. Pour sa part Ibrahima Khaliloulah Ndiaye, le secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (SYNPICS), confie à SenePlus que le bureau de l'organisation qu'il dirige se penche ce jeudi sur "les écarts de la télévision nationale". Mais, tient-il à préciser, il ne sera pas question que de la RTS : "certains médias privés sont également à la solde d’un camp ou de l’autre, et il faut le dénoncer", signale-t-il.
En effet, certains médias privés ne sont pas exempts de reproches. "Globalement, ils assurent une représentation plus équitable des deux courants, même s’il arrive que la composition des plateaux, lors de certains débats, soit discutable et contribue de manière déguisée à privilégier le courant du "Non", relève Babacar Touré. Il y a aussi parfois des questions orientées qui traduisent un certain parti-pris du journaliste."
Une sorte de "tous pourris !" qui devrait peut-être pousser le CORED à faire du traitement médiatique de la campagne pour le référendum du 20 mars le sujet de sa prochaine séance de "Cas d'école".