Espagne: les paris et matches truqués qui empoisonnent le football
La dénonciation de Cheikh Saad, un modeste attaquant mauritanien, a mis l'Espagne en alerte sur les réseaux internationaux de paris illégaux et les trucages de matches de football, un juteux business qui ternit l'image de ce sport, surtout dans les divisions inférieures.
"Le grand problème du sport n'est pas le dopage mais les matches arrangés liés aux paris illégaux", assure José Luis Pérez Triviño, juriste et président de l'Association espagnole pour la qualité éthique dans le sport.
La dernière affaire a éclaté le 1er avril, quand l'équipe réserve du FC Barcelone a écrasé 12-0 le club Eldense en troisième division, la "Segunda B".
Ce jour-là le footballeur Cheikh Saad a assisté non sans incrédulité depuis le banc de touche, à l'effondrement de son club, qui encaissait les buts, l'un après l'autre. A la fin de cette rencontre, qui signait sa relégation, il a découvert qu'elle avait été truquée.
"C'était très dur car des joueurs ont beaucoup souffert, et après, on apprend que c'était nos propres coéquipiers qui se moquaient de nous", s'indigne ce Mauritanien de 26 ans qui a porté plainte aux côtés du président du club.
Cinq personnes ont été arrêtées: l'entraîneur et un adjoint, deux joueurs, et un responsable d'un fonds d'investissement italien qui contrôle le club et dont le nom n'a pas été révélé.
Selon la presse espagnole, il serait lié à la mafia calabraise.
La justice les soupçonne d'avoir perdu volontairement en échange de sommes d'argent provenant de paris illégaux.
- Activité lucrative -
"Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg", se lamente auprès de l'AFP le directeur pour l'intégrité de la Liga espagnole, Alfredo Lorenzo. "D'autres affaires de même ampleur, que nous avons déjà dénoncées, émergeront", prévient-il.
Toutes ces rencontres sont des matches de troisième et quatrième divisions, la "Segunda B" et la "Tercera", catégories semi-professionnelles où les contrôles sont moins stricts qu'en Liga.
"Ce n'est pas que ces footballeurs soient moins honnêtes, mais ils gagnent peu", et sont donc plus fragiles, avec des salaires moyens de 1.000 euros pas toujours versés en temps et en heure", explique Javier Edo, responsable de l'intégrité pour le syndicat de footballeurs AFE.
L'activité, lucrative, attire "des mafias concentrées en Asie du Sud-Est, dans les Balkans, en Russie ou en Italie qui étendent leurs tentacules dans les différentes ligues et sports", affirme aussi José Luis Pérez Triviño.
"Ils contactent le joueur, conviennent d'un résultat et s'il se produit, ils lui donnent la somme promise", explique Jesus Alberto Fuentes, inspecteur chef de la section de contrôle des jeux de hasard de la police espagnole.
Selon une étude de 2014 de l'université parisienne de la Sorbonne et du Centre international pour la sécurité dans le sport (ICSS), les paris sportifs brassent chaque année entre 200 et 500 milliards d'euros, dont 80% illégalement.
Le marché noir prolifère surtout en Asie, mais aussi dans des territoires à la fiscalité avantageuse, comme Malte, les territoires britanniques de Gibraltar ou l'île de Man, ou néerlandais comme Curaçao.
Cette semaine, la Liga a signé un accord avec l'association de jeux en ligne JDigital pour mieux détecter les fraudes.
Enquêter est difficile car "le marché asiatique (...) est très informel et on ne peut pas tracer le parcours de l'argent", explique l'inspecteur.
Les institutions sportives mettent l'accent sur la prévention en avertissant les joueurs "que même le geste le plus anodin, comme provoquer un corner, est déjà grave, parce qu'ils vous tiennent entre leurs mains", affirme Javier Edo.
- 15 corners en 45 minutes -
C'est ce qui est arrivé à l'Acero CF, petit club quasi-centenaire de la région de Valence. L'équipe était lanterne rouge de quatrième division et n'a pu éviter la relégation.
"J'avais vu des choses bizarres, mais je pensais qu'on était sur une mauvaise série. Jusqu'à ce que le gardien me dise qu'on l'avait appelé pour lui proposer 1.000 euros pour encaisser un but", raconte à l'AFP son président José Manuel Gil.
"Pendant un match, on a provoqué 15 corners en une mi-temps", dit-il.
"Ca a été l'un des moments les plus sombres de presque 100 ans d'histoire", se désole-t-il.