«AU SENEGAL, IL Y A BEAUCOUP DE PRODUCTIONS, MAIS LE PROBLEME C’EST LA LANGUE WOLOF»
Awoua Keïta, responsable des acquisitions à Côte ouest audiovisuel
«Wiiri wiiri», «Pod et Marichou», «Mbettel», «Dikoone», «Idole», «Dinama nekh»… Aujourd’hui, les séries sénégalaises crèvent le petit écran. Il y en a pour tous les goûts et les histoires. Contrairement aux séries mexicaines, américaines, brésiliennes, angolaises, nigérianes, elles sont difficilement exportables et peinent à conquérir le marché africain. Même chez nous, elles sont concurrencées par des télénovelas comme «Ruby», «Le prix du pardon», «L’ivresse de l’amour», «Amour à Manhattan», des séries distribuées pour la plupart par Côte ouest audiovisuel, une des sociétés de distribution de films en Afrique, basée à Abidjan. Responsable des acquisitions à Côte ouest audiovisuel, Awoua Keïta explique le problème du contenu des productions africaines et en particulier sénégalaises.
En tant responsable des acquisitions à Côte ouest, quelle sont les missions et politiques de votre structure pour le contenu africain ?
Côte ouest est une société de distribution. Nous sommes basés à Abidjan, avons des bureaux à l’Ile Maurice, et des représentants en Afrique du Sud et au Nigeria. Je m’occupe des achats parce que nous achetons du contenu à travers toute l’Afrique, nous en vendons aussi. Ce que nous souhaitons, c’est d’avoir dans nos catalogues 80% de programmes africains. Quand on va dans les marchés internationaux, on ne va pas vendre du Disney. On nous demande du contenu africain, mais c’est un gros problème pour avoir du bon. Je précise du bon contenu africain. Depuis que toutes les chaînes se sont mises au numérique, les normes ont changé, le contenu africain existant et de qualité a du mal même à passer sur nôs chaînes africaines, encore moins occidentales.
Où est-ce que se situe le blocage ? Est-ce les diffuseurs qui n’achètent pas du contenu africain ou la demande des consommateurs qui y oblige ?
Ce n’est pas que les diffuseurs qui refusent. Ils veulent bien avoir du contenu africain, mais là où se pose le problème, c’est au niveau de la population, de l’audience. Quand vous avez une chaîne de télévision, vous avez besoin qu’elle soit suivie. Qu’est-ce que le consommateur demande ? C’est cela le problème.
Qu’en est-il du Sénégal ?
Au Sénégal, il y a beaucoup de productions sénégalaises. Je suis ce qui se fait sur les différentes chaînes même si c’est en wolof. Sur Tfm par exemple, vous avez beaucoup de programmes de bonne qualité, même si c’est en wolof et que je ne comprends pas. je suis ce qui s’y passe. Au-delà de cela, il y a les télénovelas. Si vous comptez le nombre d’heures de séries américaines, brésiliennes, mexicaines ou autres, c’est toujours supérieur à la production locale. C’est ce que le consommateur veut.
Doit-on suivre le consommateur dans ce qu’il veut ou l’amener à aimer le contenu africain ?
Il faut quand même noter que les consommateurs sont aussi friands du bon contenu africain. Une série sud-africaine comme Jacob Cross par exemple, on l’a vendue partout. Elle était demandée parce que c’est une série très novatrice, qui montre un autre visage de l’Afrique. Dans cette série, on ne voit nulle part une Afrique en guerre, une Afrique de misère. On y montre plutôt que les Africains ont réussi, qu’ils sont modernes. Cette série dont une partie a été tournée au Nigeria montre la culture de ce pays avec des tenues très belles à voir. Les séries angolaises marchent également et arrivent à voyager parce qu’elles sont de bonne qualité. C’est tout.
C’est donc la qualité qui fait la différence ?
C’est la qualité et la longueur (c’est-à-dire le nombre d’épisodes) qui font la différence. Les diffuseurs préfèrent de loin acheter des séries non africaines avec plusieurs épisodes pour fidéliser leurs téléspectateurs qu’une série africaine qui fait 3 à 4 épisodes. C’est fini en une semaine alors qu’une série qui fait 3 à 4 mois, il y a une certaine fidélisation du téléspectateur. Chaque 16h 30, la femme au foyer, la jeune fille qui vient de l’école, celle qui est dans son salon de coiffure sait qu’elle a un rendez-vous avec son feuilleton.
Quels conseils donnez-vous aux producteurs et réalisateurs africains pour être distribués par Côte ouest ?
C’est l’éditorial d’abord. L’histoire racontée doit être bien structurée. Il y a la qualité technique, le jeu des acteurs, tout ça rentre dans la qualité technique. Il y a aussi le genre qui est soit une comédie ou un drame. Les films nigérians, dans le Nollywood, il y a beaucoup de drame, mais ça marche. Parce que c’est très bien raconté, très bien ficelé. Tant que la qualité y est, ça marche.
Vous avez cité tout à l’heure l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigeria. Ce sont ces pays qui se positionnent le mieux en matière de distribution de leurs productions audiovisuelles en Afrique ?
Le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Kenya ont beaucoup de productions. Le Burkina et le Cameroun produisent également beaucoup, mais la qualité laisse à désirer. Nous pouvons recevoir par exemple une dizaine de programmes qui viennent du Cameroun, mais côté qualité, vous n’allez pouvoir en prendre que 3 à 4. Sinon ils produisent beaucoup, mais c’est la qualité qui fait défaut.
Vous ne vendez pas de productions sénégalaises. Où se situe le problème ?
Au Sénégal, il y a beaucoup de productions, mais le problème c’est la langue. Ils font tout en wolof, alors que le wolof ne voyage pas. On est obligé de doubler.
Vous avez mentionné le problème du wolof. Côte ouest a aussi des studios de doublage. Qu’est-ce qui l’empêche de doubler les séries sénégalaises ?
Nous faisons le doublage de l’anglais au français. Et là maintenant, on est en train de partir du français vers le haoussa pour que ça puisse voyager. Mais nous n’avons pas encore fait de doublage de séries sénégalaises partant du wolof au français. S’ils tournent en français, c’est plus rapide. Parce que le wolof, à part le Sénégal et la diaspora, on est obligé de le doubler.
Y a-t-il déjà des productions sénégalaises ciblées par Côte ouest pour une distribution ?
Mon collègue est partie le mois dernier en mission au Sénégal. Il est en contact avec pas mal de producteurs. On espère que ça va aboutir. Nous sommes déjà en contact avec Oumar Sall (Cinekap) qui représente Alain Gomis. On a Tey, Félicité, ou Dakar trottoir (Hubert Laba Ndao). On aimerait aller loin avec les producteurs sénégalais.
Vous n’avez cité que des films. Qu’en est-il des séries ?
Pour le moment, on est en négociation avec pas mal (de producteurs) pour doubler et distribuer. Mais comme ça n’a pas encore abouti, je ne vais pas me prononcer dessus. Ce sont des discussions qui vont traîner pour souvent aboutir ou ne pas aboutir
aly@lequotidien.sn (Envoyée spéciale à Abidjan)