LE SENEGAL OBTIENT 1 200 MILLIARDS POUR 30 ANS
L’opération Eurobond lancée hier par le Sénégal dans les locaux de la Banque Rothschild à Paris a été couronnée de succès
Il fallait faire preuve d’audace pour un pays comme le Sénégal, en entrant dans les marchés financiers internationaux avec l’objectif de lever plus de 2 milliards de dollars américains d’emprunt, notamment sur une durée de 30 ans et à un taux d’intérêt le plus faible du continent africain. Ce coup d’essai a été transformé en coup de maître hier à Paris.
On peut dire que la magie a fonctionné sur les marchés financiers. L’opération Eurobond lancée hier par le Sénégal dans les locaux de la Banque Rothschild à Paris a été couronnée d’un franc succès. Le Sénégal a suscité l’engouement des marchés internationaux. La signature du pays a été si crédible que le Sénégal a pu procéder à un emprunt sur une période de 30 ans. Les seuls pays africains qui ont eu une telle audace ont été l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Kenya et le Nigeria dans une moindre mesure. Mais là où le Sénégal a bénéficié d’une confiance sans limite des marchés est que le pays est sorti avec un taux d’intérêt de 6,75% sur un milliard de dollars pour 30 ans et à un taux de 4,75% pour un milliard d’euros emprunté pour 10 ans.
4,75% sur 10 ans en euros ! C’est, faudrait-il le rappeler, le taux auquel empruntait un pays comme la France en euros, avant la crise financière de 2008. En d’autres termes, les marchés financiers internationaux ont affiché une confiance durable pour le Sénégal avec des taux préférentiels que le Sénégal n’est pas encore arrivé à atteindre même sur son propre marché intérieur. La décision d’allouer 200 millions de dollars américains au rachat de l’Eurobond émis par le Sénégal en 2011 à des conditions relativement avantageuses fut particulièrement saluée par les investisseurs internationaux, y voyant un signe de gestion vertueuse de la dette publique.
Le Nigeria a emprunté 1,250 milliard de dollars américains lors de sa dernière opération en février 2018 sur 20 ans à un taux de 7,695%, le Kenya a emprunté 1 milliard de dollars en février 2018 sur 30 ans à 8,25%, l’Egypte a emprunté la somme d’un milliard de dollars sur 30 ans pour 7,90%. Comparaison n’est peut-être pas raison, mais un pays comme la Côte d’ivoire qui partage le même espace économique que le Sénégal et qui peut se prévaloir d’une économie plus grande a emprunté sur une durée de 15 ans en dollars à un taux d’intérêt de plus de 6,125% et sur 8 ans, en euros, à un taux de 5,125%.
Le Sénégal a donc fait beaucoup mieux dans sa cotation de cette année que celle de l’année dernière à l’occasion de laquelle les équipes de Amadou Ba avaient levé la somme de 1,1 milliard de dollars sur une durée de 15 ans avec un taux d’intérêt de 6,25%. L’économie sénégalaise s’est montré d’une année à une autre plus dynamique et la confiance des investisseurs s’est renforcée considérablement. Le marché a proposé au Sénégal un livre d’ordres de quelque 10,6 milliards de dollars. Le ministre des Finances Amadou Ba et son équipe avaient été obligés de procéder à des arbitrages pour resserrer les taux d’intérêt. A cet instant, les marchés ont eu à réagir de manière encore plus surprenante en confirmant leurs différentes offres et en s’alignant sur les taux exigés par le Sénégal.
Sanction positive d’une gouvernance publique.
Les atouts du Sénégal ont été notamment sa stabilité politique et économique et les politiques d’amélioration de la gouvernance publique.
Le Sénégal a présenté aux investisseurs des arguments économiques et politiques en choisissant de faire abstraction des perspectives de recettes nouvelles tirées de l’exploitation du gaz et du pétrole.
Pourtant, le Sénégal prévoit d’engranger dès l’année 2021 de nouvelles recettes sur les hydrocarbures. Il n’en demeure pas moins que le Sénégal qui se prévaut déjà d’un taux de croissance de 7,2% pour l’année 2017 s’inscrit dans une perspective d’accroissement de sa production économique et une diversification encore plus accrue de ses exportations et le renforcement des performances dans des secteurs d’activités comme l’agriculture. Ainsi, les nouveaux investissements privés dans les domaines des industries extractives (phosphates et or) dont les productions pourraient être doublées dans le court terme et qui devront pousser cette croissance. L’accroissement des recettes tirées de la fiscalité intérieure est aussi attendu.
On peut dire que les tendances du marché avaient déjà été préfigurées par Mme Cemile Sancak, nouvelle représentante résidente du Fmi au Sénégal. Dans un entretien publié par le journal Sud Quotidien dans son édition du lundi 5 mars 2018, elle donnait des indications rassurantes sur l’endettement du Sénégal. Elle précisait notamment que «le Fmi, de même que le gouvernement, procède à une analyse de la viabilité de la dette à long terme. Dans le cadre de cet exercice, plusieurs indicateurs sont utilisés de manière à pouvoir déterminer le risque d’endettement. Les derniers résultats de l’analyse de viabilité de la dette montrent un risque d’endettement faible».
Aussi, avait-elle poursuivi : «Jusqu’à ce jour, le risque d’endettement du Sénégal reste faible. Tout de même, il est important que le gouvernement continue à gérer sa dette avec prudence. Pour que le Sénégal conserve son faible risque de surendettement, il faudra traiter des problèmes structurels liés au besoin de financement global du secteur public, lequel n’est pas entièrement reflété par le déficit budgétaire global. Cela passera par des réformes de la Poste et de la Caisse de retraite de la fonction publique ainsi que par la limitation de l’utilisation des comptes de dépôt en dehors des affectations de l’exercice budgétaire en cours.»
Nécessité de réformes
Les discussions avec les marchés ont permis de mesurer certaines inquiétudes exprimées notamment sur la gestion d’entreprises publiques comme la Poste ainsi que le Fonds national de retraite (Fnr) et les comptes de dépôts au Trésor. La question du déficit budgétaire qui est à un niveau de 3,7% reste conforme au cadrage budgétaire convenu avec le Fonds monétaire international et les partenaires techniques et financiers. Mieux, avec l’opération de «re-basing» du Pib qui va entrer en vigueur à la fin du mois de mars 2018, le déficit budgétaire sera de 2,7%, qui constitue un paramètre qui rassure davantage les investisseurs étrangers d’autant qu’il sera en-dessous de la norme communautaire fixée par l’Uemoa.
La question sur les dettes contingentes, c’est-à-dire celles contractées par des agences et autres entreprises du secteur parapublic, a suscité quelques questionnements des marchés.
Historique des emprunts du Sénégal
Il importe de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour mieux mesurer la qualité et le poids de la confiance exprimée par les marchés à l’endroit de la situation économique et politique du Sénégal. Ainsi, on relèvera qu’en 2011, le Sénégal avait emprunté la somme de 500 millions de dollars sur une durée de 10 ans à un taux de 8,75%. En 2014, le même montant avait été emprunté sur 10 ans à un taux de 6,25%. En 2017, la somme de 1,1 milliard de dollars a été empruntée sur 15 ans au taux de 6,25%. Et cette année, tous les records ont été battus avec un emprunt total de plus de 2 milliards de dollars, dont 1 milliard d’euros sur 10 ans à un taux de 4,75% et un autre milliard sur le segment en dollars américains à un taux de 6,75% sur 30 ans.
L’opération d’Eurobond de cette d’année a été l’occasion pour le Sénégal de racheter des titres Eurobond onéreux émis en 2011, permettant une gestion prudente de la dette.