KHALIFA SALL, MORALE D'UNE CONDAMNATION
Son procès et les détails quelque peu gênants que l’opinion en a appris ne sont pas sans dommage sur l’image de probité qu’il incarnait, indépendamment de l’opinion qu’on peut se faire de cette affaire
La condamnation vendredi à 5 ans de prison du maire de Dakar Khalifa Sall pour "escroquerie sur deniers publics" pourrait – si elle est confirmée – entacher son crédit moral et impacter négativement la suite de sa carrière politique.
Khalifa Ababacar Sall renvoyait jusque-là à l’opinion une réputation de "Monsieur propre", depuis qu’il a déclaré son patrimoine en accédant à la mairie de Dakar.
Son procès et les détails quelque peu gênants que l’opinion en a appris ne sont pas sans dommage sur l’image de probité qu’il incarnait, indépendamment de l’opinion qu’on peut se faire de cette affaire, cabale politique selon les partisans du maire, une simple affaire de droit commun, réplique le camp du pouvoir.
L’accusation qui vaut à Khalifa Sall et Cie un procès devant le tribunal correctionnel de Dakar est parti d’un rapport d’audit conduit en 2015 par l’inspection générale de d’Etat (IGE).
S’intéressant particulièrement à la "caisse d’avance" de la mairie, les enquêteurs avaient fait le constat qu’elle était approvisionnée à hauteur de 30 millions de francs CFA par mois de 2011 à 2015 pour l’achat de mil et de riz à un groupement d’intérêt économique (GIE) dénommé Tabbar.
Le rapport a fait ressortir des factures fournies par Mbaye Touré, directeur administratif et financier de la mairie de Dakar et gestionnaire de la caisse d’avance ainsi que des procès-verbaux de réception de ces denrées.
Aux enquêteurs, le président du GIE Tabbar a déclaré que son entreprise n’existait plus depuis plusieurs années et qu’il s’était depuis reconverti dans la vente de café Touba.
Sur la base du dossier constitué, Khalifa Sall et ses inculpés ont été placés sous mandat depuis le 7 mars 2017 par le doyen des juges pour notamment "association de malfaiteurs, détournement de deniers publics escroquerie portant sur les deniers publics, faux et usage de faux dans des documents administratifs, complicité de faux et usage de faux".
Mais ses partisans et sa défense ont toujours mis cette procédure dans le compte de l’adversité politique, Khalifa Sall étant vu comme un adversaire potentiellement sérieux pour la réélection de Macky Sall.
Une posture qui avait amené un de ses avocats à conclure sa plaidoirie en ces termes : "L’on rencontre souvent son destin, sur le chemin que l’on avait emprunté pour l’éviter… Le maire Khalifa Sall a malheureusement rencontré son destin carcéral sur le chemin de la droiture et de l’honnêteté qu’il avait emprunté pour l’éviter…"
"Dans ce Sénégal, où repose le premier président de la République à laquelle j’appartiens, et donc que je peux considérer comme ma patrie, Je m’aperçois qu’il ne suffit pas d’être honnête pour éviter la prison… Et cela m’attriste…", avait dit l’avocat camerounais Jean Kamga.
Khalifa Sall n’a été finalement condamné que pour le seul délit d’"escroquerie sur deniers publics", le tribunal le relaxant pour les autres délits et déboutant l’Etat de sa demande de réparation, invoquant le fait que "ni le principe de l’unicité des caisses, ni le discrédit" sur l’Etat ne saurait justifier une telle demande.
Les débuts du militantisme politique de Khalifa Sall
Peut-être au fond un lot de consolation pour le maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall à l’état civil, né à Louga, une commune du nord du Sénégal il y a 62 ans mais qui a grandi à Dakar, à Grand-Yoff précisément.
Des débuts de son militantisme politique, correspondant un peu à son passage à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), à la faculté des Lettres et Sciences humaines de l’université publique dakaroise, après son Bac obtenu vers la fin des années 70 au lycée Blaise Diagne, Khalifa Sall garde un souvenir très précis.
"J’avais été très marqué par les manifestations de mai 1968. Quand j’ai su pourquoi les gens s’en prenaient à Senghor, j’ai été révolté et j’ai voulu le soutenir", se souvient l’édile, qui rallie alors l’Union progressiste sénégalaise (UPS) devenu Parti socialiste (PS).
Au lycée déjà, "en des périodes où très peu" de jeunes de sa génération osaient affirmer leur appartenance au mouvement des jeunes de l’UPS, Khalifa Sall défendait ses choix politiques "loin des lambris du pouvoir, dans nos foyers à travers des débats houleux, durs mais démocratiques avec des cellules communistes, marxistes léninistes qui avaient les faveurs de la majorité des jeunes de ma génération".
"Ce même combat, je l’ai poursuivi à l’université de Dakar dans un environnement encore plus révolutionnaire et plus conflictuel. Jamais je ne me suis dérobé", assure-t-il.
Instituteur de formation, Khalifa Sall est titulaire de deux maîtrises d´histoire et de droit constitutionnel.
De sa carrière politique, l’on retiendra qu’il a été secrétaire national des jeunesses socialistes, adjoint au maire de Dakar (1984 à 2001), député en 1983, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des relations avec les assemblées (1995), ministre du Commerce et de l’Artisanat du dernier gouvernement du président Abdou Diouf dirigé par Mamadou Lamine Loum (98-2000).
Après l’alternance de mars 2000, Khalifa Sall se lance dans des activités de consultance auprès de la Banque mondiale et du système des Nations unies.
Réélu député en mai 2001, il quitte l’Assemblée en 2007 au lendemain des élections législatives de cette année marquées par le boycott d’une frange importante de l’opposition.
L’accession à la mairie de Dakar et la déclaration de patrimoine
Aux locales du 22 mars 2009, il dirige la coalition Benno Siggil Sénégal et est élu maire de la capitale sénégalaise, succédant à une longue liste de maires qui ont dirigé Dakar depuis 1887.
Le nouveau maire place son mandat sous le principe de la bonne gouvernance et rend public ses biens en énumérant devant la presse une liste de son patrimoine remise auparavant à un jury d’honneur, lors d’une cérémonie tenue dans la salle de conseil de l’institution municipale.
Le jury d’honneur était composé des anciens ministres Amadou Mahtar Mbow, Cheikh Hamidou Kane et Mamoudou Touré, de Diatou Cissé, alors secrétaire général du syndicat des journalistes, de l’abbé Jacques Seck, ancien vicaire général et de l’islamologue Abdou Aziz Kébé.
Un symbole marquant dans un contexte où la gouvernance est mise à mal par une série de scandales impliquant les tenants du régime d’alors.
La déclaration de patrimoine faite par Khalifa Sall n’avait pas rencontré l’assentiment de tous, y compris dans son propre camp. La responsable socialiste Aminata Mbengue Ndiaye avait fait part de son opposition à cette démarche. Elle s’était par ailleurs insurgée contre le fait que Khalifa Sall prenne l’initiative d’une telle démarche sans avoir préalablement informé le PS, son parti politique.
L’édile est réélu maire en 2014, sans qu’on puisse savoir si cette confiance renouvelée est une conséquence ou non des engagements de M. Sall pour la bonne gouvernance et la reddition des comptes.
Il reste que le PS, son parti, connait des remous dans le cadre de la désignation de son secrétaire général. Khalifa Sall prend position en faveur d’Ousmane Tanor Dieng contre l’avocate et ancienne ministre Aïssata Tall Sall.
Khalifa Sall va pourtant voter "Non" au référendum de 2016, manifestant de plus en plus des velléités de se soustraire de l’autorité de son parti et par ricochet de son secrétaire général.
Une "guerre froide" s’en est suivie, qui a fait le bonheur de la presse, avec notamment une tournure violente, le 5 mars 2016, quand des militants proches du maire de Dakar avaient pris d’assaut le siège du PS à Colobane où les responsables tenaient une réunion du bureau politique.
Ces partisans du "Non" aux réformes constitutionnelles proposées par le président Sall envahissent la salle de réunion et n’eût été l’intervention des forces de l’ordre pour sauver Ousmane Tanor Dieng et Cie de cette furie, le pire serait arrivé.
L’enquête ouverte après ces incidents va conduire à l’arrestation de plusieurs proches de Khalifa Sall dont le maire de la Médina Bamba Fall. Khalifa Sall proteste, estimant que c’est lui qui est visé par la plainte déposée par Ousmane Tanor Dieng.
Les péripéties de l’arrestation du maire de Dakar
Depuis, il ne cache plus ses ambitions de faire cavalier seul en direction de la présidentielle de 2019 et avait même entamé une tournée politique nationale dans le Sénégal des profondeurs. C’est en pleine tournée qu’il est convoqué par la police sur un rapport de l’Inspection générale d’Etat (GIE) sur sa gestion.
Il a dénoncé d’autant "une procédure politique" qui viserait à empêcher sa candidature pour la présidentielle de 2019, dit le maire, assurant de sa colère de voir son nom sali "dans une machination de distorsion et d’altération de la vérité".
"Toute ma vie, j’ai appris auprès de mes parents, la vertu du travail, de l’honneur et du mérite. Très jeune, je me suis astreint à leur donner corps par mon comportement. Jeune élève socialiste, j’ai appris à la dure à me faire respecter par la rectitude de mon comportement et la force de mes convictions", déclarait-il devant le tribunal.
"J’ai été député plusieurs fois, ministre, responsable politique de premier rang des années avant mon élection à la ville de Dakar. Durant toute cette période où j’ai eu à servir mon pays, notre pays, pas une seule fois je n’ai été pris en défaut, pas une seule fois, je n’ai failli à mes devoirs ou été mêlé à des problèmes de corruption, de détournement de deniers publics ou de blanchiment d’argent", ajoutait-il.
Et de poursuivre : "Durant ces périodes où toutes les protections étaient à ma disposition, j’ai toujours su, par devoir et par rectitude morale, garder une distance irréprochable avec le bien public".
"Ce que je me suis refusé de faire sous le président Abdou Diouf dont j’ai été le ministre et un des plus proches, sous le président Abdoulaye Wade avec un statut d’opposant affiché et assumé, pourquoi attendrai-je maintenant d’être à la ville de Dakar pour m’adonner à des pratiques qui sont en porte-à-faux avec mes valeurs d’homme et mon parcours d’homme public", s’était-il interrogé.
Jusqu’au bout, Khalifa Sall se voyait fidèle aux valeurs de droiture, de probité et d’honnêteté dans la gestion publique mais la condamnation qu’il vient d’écoper ne peut être considérée comme un détail et peut troubler ou interroger, en dépit de la révolte que peuvent vivre ses partisans, quelque chose humainement compréhensible du reste.