UNE DICTATURE SANS CHEF
Macky chérit les forces de l’ordre, bafoue les libertés des citoyens et abhorre la contestation - Mais Macky a beau être expéditif avec ses opposants, dans les rangs de l’APR, il est loin d’insuffler la discipline et d’incarner l’autorité du chef
« Les Sénégalais, habituellement, loquaces sont devenus silencieux. Sont-ils castrés, tétanisés ?». Ces mots de Me Francis Kamga ont fait trembler les murs du tribunal de Dakar, en plus d’avoir fait sortir le juge Malik Lamotte de ses gonds. Se disant étonné de la passivité des Sénégalais, l’avocat de Khalifa Sall, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun, a tapé fort au point de pousser l’ambassade de son pays au Sénégal à se fendre d’un communiqué pour se démarquer. Ressortissant d’un pays dirigé d’une main de fer depuis plus de trente ans par un homme, Me Kamga n’en juge pas moins que, avec l’arrestation du maire de Dakar, Macky Sall en est arrivé à poser des actes que même Paul Biya n’ose plus envisager dans son pays.
Exerçant le métier d’avocat dans un pays au régime autocratique, Me Kamga est bien placé pour déceler les symptômes d’une dictature. Et, il n’est pas le seul à être étonné de l’attitude des Dakarois qui ont observé leur maire être conduit à l’abattoir pour une affaire que la majorité des Sénégalais jugent politique. Seulement, comment juger passifs les Sénégalais qui, six ans plus tôt, ont bravé les forces de l’ordre pour faire face au régime de Me Wade qu’ils ont fini par faire reculer ? Les Sénégalais n’ont sans doute pas pu changer en si peu de temps. C’est le traitement infligé aux enseignants qui manifestaient à Ziguinchor donne la réponse.
De tous les présidents qui se sont succédé à la tête de l’Etat du Sénégal, Macky Sall est celui dont le régime a envoyé le plus d’opposants en prison. Devant lui, Léopold Sédar Senghor, qui a embastillé Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye et autres, passe pour un enfant de cœur. Au total, huit maires, cinq anciens ministres, des députés et une vingtaine de responsables politiques sont passés à Rebeuss sous son magistère qui n’est pas encore terminé. Et pendant que les responsables des formations politiques font la navette entre les tribunaux et les commissariats de police, Macky Sall multiplie les scandales après avoir fait partir en fumée beaucoup de ses engagements. Le quinquennat qu’il avait promis de faire s’est transformé en un emprisonnent de cinq ans pour Khalifa SALL dont les partisans ne peuvent rouspéter sans que la police ne leur tombe dessus. Car, le leader de l’APR, qui a inauguré son mandat par la création de l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité, a beau poser des actes aux antipodes de la bonne gouvernance et de la sobriété, personne n’est autorisé à le dénoncer dans les rues. Depuis 2012, les manifestations sont systématiquement interdites. Et tous ceux qui ont bravé les interdictions du préfet de Dakar ont été molestés. Avant la bastonnade des enseignants à Ziguinchor, cette semaine, le 31 octobre 2016, ce sont Abdoul Mbaye, Oumar Sarr, Cheikh Bamba Dieye, Malick Gakou, Me El Hadji Amadou Sall, tous d’anciens ministres, qui ont été gazés et matraqués sans ménagement.
Les 500 mille emplois qu’il avait promis aux jeunes tardent certes à se matérialiser, mais du côté des forces de l’ordre, Macky Sall ne rechigne pas au recrutement et à l’équipement. Le 15 février dernier, les nouveaux véhicules de patrouille et de transport de troupes qu’il a réceptionnés n’étaient que la partie visiblement de l’iceberg. Macky chérit les forces de l’ordre, bafoue les libertés des citoyens et abhorre la contestation. Dans ses deux derniers rapports annuels, la section sénégalaise d’Amnesty international donne une idée de la restriction des libertés avec Macky Sall qui a annoncé, le 3 avril dernier, l’installation de caméras de surveillance dans certaines rues de la capitale.
A juger le président Sall par les actes susmentionnés, on serait tenté de le qualifier d’autoritaire. Seulement, ce serait se focaliser sur ses relations avec ses contempteurs et perdre de vue celles avec son entourage. En effet, Macky Sall a beau être expéditif avec ses opposants, dans les rangs de l’APR, il est loin d’insuffler la discipline et d’incarner l’autorité du chef. Avant la bataille rangée de ce samedi entre les partisans d’Abdoulaye Daouda Diallo et ceux de Cheikh Oumar Anne, combien de fois la presse a titré : « Macky siffle la fin de la récréation » ? Malgré les nombreux coups qu’il a donnés à la cloche, la récréation bat toujours son plein, mettant en exergue un leader inaudible, dont personne n’a rien à faire de sa colère réelle ou feinte. Macky qui n’a pas été en mesure de calmer les ardeurs belliqueuses des sauvageons de la COJER, peut-il faire entendre raison aux responsables de son parti ?
Devant lui, au palais de la République, des responsables de l’APR, Farba Ngom et Abou Lo, se sont donnés en spectacle comme si le maitre des lieux était transparent ou invisible. Depuis les fracassantes révélations du ministre Mbagnick Ndiaye, l’autorité de Macky a été jaugée et évaluée comme moindre par de nombreux Sénégalais. « C’est madame qui décide », indiquaient certains avant qu’Aliou Sall, jeune frère du président, ne vienne tout confirmer lors de son fameux meeting de Guédiawaye d’avant les législatives. « Le président n’a pris aucune décision. Il m’a demandé si je voulais bien retirer (sa candidature aux législatives, Ndlr), j’avais retiré. Vous avez dit non et j’accepte ce que vous avez dit », avait lancé Aliou Sall qui mettait en cause l’entourage de son frère et qualifiait Benno Bok Yaakaar de coalition « à la tête complètement pourrie ». Quelques mois plus tard, Sall-junior atterrissait à la tête de la Caisse de dépôt et de consignation. Le même procédé a été utilisé par Moustapha Cissé Lo. Avant que le gâteau de Président du parlement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) ne touche ses lèvres, Moustapha Cissé Lo en a fait voir de toutes les couleurs à Macky Sall qu’il ne cessait de défier. « Si Macky fait le fou jusqu’à réduire son mandat…», déclarait-il avant de verser dans la menace.
Macky Sall, qui peine à faire régner l’ordre dans les rangs de son parti, n’est fort que derrière le procureur et les forces de l’ordre sur lesquelles il entend également s’appuyer pour modifier la Constitution et changer les règles du jeu électoral à moins d’un an de la prochaine présidentielle.