UNE CRISE POLITIQUE QUI NE DIT PAS SON NOM
EXCLUSIF SENEPLUS - Plus de 30 prisonniers politiques ! - Macky Sall a hérité de l’intransigeance senghorienne - La sincérité des auteurs de la réforme électorale est sujette à caution
La démocratie sénégalaise n’est pas un long fleuve tranquille. Son histoire a été émaillée de violences politiques depuis l’indépendance, traduisant une lutte féroce pour la conquête et préservation du pouvoir. La 1ère crise majeure en 1963 calma les ardeurs des opposants et resta dans l’inconscient des sénégalais, souvent dénommés « polémistes-nés » mais peu ou prou enclins à battre le pavé pour manifester ! En 2011, la deuxième crise marque le déclin de la maxime de Me Abdoulaye Wade : « Je ne marcherai pas sur des cadavres… ».
Continuité senghorienne. La stabilité légendaire du Sénégal n’est qu’un trompe-œil qui ne saurait dissimuler certaines dérives. L’élimination politique et son corolaire l’amnistie politique en sont une démonstration éclatante : elles sont entrées dans les mœurs sénégalaises depuis l’embastillement de Mamadou Dia par Léopold Sédar Senghor. Ce phénomène bien rodé n’a connu aucun temps mort sous le magistère des 4 présidents ! Même Me Abdoulaye Wade, ancien prisonnier politique et chantre des libertés publiques, n’a pas su résister à cette tentation culturo-politique, envers son héritier putatif Idrissa Seck.
Avec l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, les arrestations et détentions à caractère politique, assimilées comme telles par ses adversaires, donnent le tournis : plus de 30 prisonniers politiques ! Macky Sall a hérité de l’intransigeance senghorienne. Ce qui a changé depuis 1963, ce sont les armes conventionnelles. Mieux que l’offense au chef de l’Etat ou le trouble à l’ordre public, voire la tentative du coup d’Etat, la lutte contre la corruption met tout le monde d’accord. Elle est populaire à juste titre et s’avère très efficace pour écarter ses opposants. Macky Sall a visé juste : aucune manifestation d’ampleur en soutien à Karim Wade et Khalifa Sall.
Crise « cumularde ». Malgré cela, la partie n’est pas gagnée ! Une 3ème crise politique se profile au Sénégal avec l’élimination anticipée de candidats à l’élection présidentielle de février 2019, soit du fait de leur inéligibilité avec un tripatouillage de dernière minute (« Tout électeur »), soit de l’insuffisance du parrainage citoyen. Disons-le sans ambages, les gros bonnets de l’opposition n’ont cure des candidats indépendants, le 1% de parrainage ne saurait être un obstacle pour eux. Ils y trouvent surtout une opportunité de se ragaillardir face au pouvoir. C’est la première erreur politique de Macky Sall alors qu’il avait un boulevard pour sa réélection, après ses éliminations bien menées judiciairement ! Allons-nous droit vers un 23ème juin bis ? Sans doute non, cette marque étant déposée, certains de la société civile y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux ! Et Y en a marre n’est plus en mesure de créer un effet de surprise.
Cette 3ème crise qui ne dit pas son nom, est pourtant à la croisée des deux précédentes. La 1ère crise a permis d’asseoir l’autorité de l’Etat sénégalais au détriment des libertés démocratiques. La stabilité qui en est issue fut montrée en exemple et éloigna le spectre de la prise du pouvoir par les militaires. La 2ème crise a rappelé les nouvelles exigences de l’électeur sénégalais nées de l’alternance de 2000, un pouvoir ne peut durer ad vitam aeternam. La 3ème crise est la jonction des deux précédentes. On y trouve pêle-mêle l’expression forte d’une autorité senghorienne et l’appétence de se maintenir au pouvoir après un premier mandat « prolongé » par la grâce des juges constitutionnels.
Pourtant, en dépit d’une région en proie à la déstabilisation djihadiste, la stabilité politique au Sénégal est un fait acquis. Brandir des conspirations par les voix de Ziad Takieddine et d’Ousmane Faye, c’est peine perdue. L’élimination politique senghorienne a perdu sa base légitime ! Par ailleurs, introduire une dose de modernisation dans la vie politique sénégalaise 10 mois avant une élection cruciale passe mal. La sincérité des auteurs de la réforme électorale et constitutionnelle est sujette à caution alors que cette initiative devrait recueillir l’adhésion de toute la classe politique sénégalaise.
Le replâtrage wadiste de la loi fondamentale, en période électorale, a fait son temps. Dans ce contexte de méfiance, comment s’enorgueillir à l’avance de 2 millions de parrainage (objectif fixé à Mimi Touré) et d’une réélection dès le 1er tour (sur 10 élections présidentielles au Sénégal, 8 l’ont été emportées au 1er tour) ? Simple erreur de communication politique ou vrai révélateur d’une culture historique (et raffermie sous Macky Sall) de l’élimination politique par tous moyens ?
Il est fort à parier qu’un dialogue de sourds entre Macky Sall et ses principaux opposants s’établira !
Quel que soit le succès ou non de la manifestation du 19 avril, cette crise d’une ampleur inconnue est appelée à durer. Nous sommes bien dans une troisième crise politique majeure de l’histoire politique sénégalaise qui ne dit pas son nom, mais qui assurément attend son heure (peut-être la loi sur le parrainage est-elle celle de trop !) pour être baptisée d’un nouveau nom ! Cette nouvelle crise n’a nullement besoin d’un homonyme « 23 juin bis » !