COMMEMORATION DE MAI 68, 50 ANS APRÈS, DES ACTEURS SE SOUVIENNENT DES ÉVÉNEMENTS
"A la Médina, les populations sont sorties pour prendre fait et cause pour les étudiants avant que les syndicalistes ne décrètent le lendemain une grève générale"
Les 29 et 30 mai prochains, le comité de commémoration de «mai 68» va organiser des activités dans le cadre des 50 ans de cette grève. hier, lors du lancement de l’événement, des acteurs ayant pris part aux manifestations de «mai 68» sont revenus sur les causes de la grève, mais aussi les répercussions qui ont souvent été violentes.
Pour l’ancien ministre de la Culture Abdoulaye Elimane Kane, la grève du mois de «Mai 1968» a débuté deux ans auparavant. Le départ de l’ancien Président du Ghana Kwamé Nkrumah est le début des manifestations qu’a connues l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il y a 50 ans. «Les étudiants avaient décidé de marcher vers le Palais, mais à hauteur de la Médina, les forces de l’ordre nous ont barré la route», se rappelle Ousmane Ndiaye, le co-président du comité de commémoration de «Mai 68». Malgré leur âge assez avancé, Abdoulaye Makhtar Diop, Birahim Moussa Guèye, Abdoulaye Elimane Kane, Alpha Dieng, Thierno Diop, Ousmane Ndiaye ou encore le professeur Bouba Diop n’ont rien oublié de cette agitation qui avait des répercussions, politiques, sociales et académiques. A l’origine de la tension qui s’était emparée du milieu estudiantin, figurent les mêmes revendications que celles des étudiants d’aujourd’hui.
Selon Ousmane Ndiaye, «l’Etat avait décidé de supprimer la première partie du baccalauréat. La conséquence a été que les étudiants qui venaient à l’université sans la première partie étaient beaucoup plus nombreux. Cette hausse du nombre d’étudiants avait poussé les autorités à fractionner les bourses des bénéficiaires». La réduction de la somme qui était allouée aux étudiants constitue la première cause de la grève de «Mai 68». Prenant ses racines dans le campus social de l’Ucad, le mouvement s’est propagé à l’extérieur. Car, les étudiants avaient le soutien des syndicalistes affiliés à l’époque à différentes centrales. Les opérateurs économiques aussi se sont ralliés à la cause du mouvement estudiantin ainsi que les élèves et différents corps de métier.
TRANSFERT
Ousmane Ndiaye se rappelle du jour où les étudiants arrêtés et gardés au camp Margin devaient être transférés au camp Harchinard. «A la Médina, les populations sont sorties pour prendre fait et cause pour les étudiants avant que les syndicalistes ne décrètent le lendemain une grève générale. Beaucoup d’entre eux étaient arrêtés et conduits au camp de Dodji », se souvient Ousmane Ndiaye. En réponse à cette grève, l’ancien président de la République, Léopold Sédar Senghor, disait que les étudiants sénégalais étaient en train de singer leurs camarades de la France. «C’est vrai qu’il y avait une vague de contestations venant de plusieurs universités du monde comme en France, en Allemagne, aux Etats-Unis et en Chine. Mais, les causes ne sont pas identiques», explique M. Ndiaye. Désigné à la tête du Comité de commémoration, Abdoulaye Makhtar Diop se souvient du dispositif mis en place à l’époque par les forces de l’ordre. Selon l’ancien ministre des Sports, la police avait ceinturé tout l’espace universitaire ainsi que les environs tels que le terrain vague sur lequel est bâti l’hôpital de Fann. «Ils nous ont assiégés pendant cinq jours. Du coup, les étudiants avaient du mal à sortir du campus. Le ravitaillement aussi commençait à s’épuiser à l’intérieur de l’université», se rappelle Abdoulaye Makhtar Diop. Membre de l’Union des Etudiants de Dakar, le grand Serigne de Dakar et certains de ces camarades des quartiers de la Médina et du Plateau s’organisaient afin de ravitailler leurs camarades de l’intérieur. Le 27 mai, la police décide de passer à l’attaque.
ARMÉE
Abdoulaye Makhtar Diop se rappelle, comme si c’était hier, la réaction des étudiants qui a été vite réprimée. «Il s’en est suivi une chasse à l’homme à l’inté- rieur de l’université de Dakar. Les étudiants arrêtés lors de cette première rafle ont été conduits dans différents camps de la ville», se souvient le député. Abdoulaye Makhtar Diop ajoute que la situation a dégénéré le jour où les populations ont décidé de soutenir les étudiants. «C’est ce jour-là qu’il y a eu un couvre-feu. En plus de réprimer cette grève, l’Etat avait aussi fermé l’Ucad poussant des étudiants à quitter le Sénégal pour la France de manière volontaire. Pour le professeur Birahim Moussa Guèye, la punition des autorités de l’époque était d’envoyer certains étudiants dans l’Armée. «J’ai été arrêté et conduit en prison où j’ai séjourné six mois. C’est à ma sortie que j’ai rejoint les autres et j’ai effectué le service militaire. Ces évènements ont par moment pris une tournure violente», affirme M. Guèye qui enseigne aujourd’hui au Cesti. Selon Abdoulaye Makhtar Diop, c’est dans l’Armée que son camarade et voisin de chambre Al Oussouseynou Cissé a été décapité .