PASSE D’ARMES ENTRE LE MINISTRE ET LE PRESIDENT DE L’UMS
Débat autour des reformes de la justice
L’atelier de sensibilisation sur les propositions de réformes, organisé hier, par l’union des magistrats du Sénégal (Ums) a été un moment de passe d’armes entre la chancellerie et le président de l’Ums, Souleymane Téliko. en effet, lors de cette rencontre, le garde des sceaux, ministre de la justice, Ismaïlia Madior Fall a estimé qu’il est bien pour l’Ums de poser le problème de l’indépendance de la justice, mais il serait mieux si elle s’intéressait aux conditions de vie de certains magistrats affectés dans certaines localités éloignées.
«Au-delà des réflexions, des colloques que nous faisons, je pense qu’il y a la nécessité de se pencher sur les vrais problèmes qui interpellent aujourd’hui la Justice. continuer à colloquer sur le conseil supérieur de la magistrature est bien, mais il est important, aussi parfois de se pencher sur les problèmes très concrets qui intéressent la vie, la condition du magistrat, sur des questions qui intéressent aussi les citoyens dans leurs rapports avec la justice», fait remarquer le ministre de la Justice. «A Saraya, lorsqu’on a installé le nouveau magistrat, je n’avais pas envie de le laisser là bas. J’ai trouvé que c’était difficile. A Salémata, le magistrat en service est seul, il n’avait même pas de greffier», rappelle pour s'en désoler le ministre de la Justice. La réplique du président de l’Ums ne s’est pas fait attendre. Pour Souleymane Téliko, c’est la chancellerie qui doit s’occuper de certaines questions. «Les recrutements, les problèmes de véhicules, etc., c’est au département de les gérer», tacle le magistrat. Pour autant, il rappelle que l’Ums s’intéresse à toutes les problématiques. «Nous avons organisé un colloque sur l’indépendance de la Justice et cela ne veut pas dire qu’on ne s’occupe pas d’autre chose. On s’occupe de toutes les questions qui concernent la vie, les conditions matérielles et de travail des magistrats. Néanmoins, on a fait un focus sur une problématique essentielle qui, pour nous, est fondamentale», précise M.Téliko qui révèle, dans cette logique, que l’Ums a signé un protocole avec l’Usaid et l’Ong 3 D qui permettra à cette structure de venir en aide aux juridictions sur le plan logistique.
«LES PRESSIONS SUR LA JUSTICE NE PROVIENNENT PAS DE L’EXECUTIF, MAIS DES LOBBIES»
«On ne peut pas prendre un ou deux procès d’hommes politiques pour dire que la Justice est instrumentalisée. On ne peut pas, à partir de deux affaires juger la Justice. Les pressions sur la Justice ne proviennent pas du pouvoir exécutif ou du gouvernement. ce sont des pressions qui proviennent des lobbies économiques et des lobbies sociaux. Donc, quand on est dans la Justice, il faut développer une capacité de résistance et de résilience par rapport à ces pressions qui proviennent des lobbies», se défend le garde des Sceaux qui relève que 99,99% des affaires jugées par la Justice n’intéressent pas l’Etat. Cependant de l’avis du président de l’Ums, si la Justice est bien organisée et les réformes émises mises en œuvre, il n’y aura pas de place à l’immixtion d’autres forces, ni de lobbies dans le fonctionnement de la Justice. «Nous voulons qu’il n’y ait pas de place au subjectivisme, aux considérations politiques et à des appartenances religieuses dans le fonctionnement de la Justice, et dans les stratégies de nomination. Que chaque magistrat sache qu’il doit sa nomination, non pas à son appartenance à telle ou telle autre confrérie, non pas à sa proximité à telle ou telle autre autorité politique, mais à son travail et à son intégrité et c’est ça qui le fera avancer», indique le patron de l’Ums.
L’EXECUTIF GERE SEUL LA CARRIERE DES MAGISTRATS
Par ailleurs, Souleymane Téliko est revenu sur le fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature (csm). «il n’est pas normal du point de vue de la perception qu’un organe aussi central que le csm soit dirigé par les membres de l’Exécutif», assène Souleymane Teliko. A l’en croire, même s’il y a 15 magistrats qui siègent au csm, les deux seules personnes de l’Exécutif concentrent en elles tous les pouvoirs. «c’est elles qui dirigent même si les autres sont au nombre de cent. ce n’est pas le nombre qui compte, mais l’étendue des prérogatives. Les deux prérogatives qui existent au sein du conseil à savoir le pouvoir de proposition et le pouvoir de nomination sont exercées respectivement par le président de la République et le ministre. Les magistrats n’ont aucun pouvoir d’émettre des avis, c’est juste un pouvoir symbolique. C’est-à dire que dans les faits, seul l’Exécutif gère la carrière des magistrats. Et c’est un moyen de pression», fulmine-t-il. En effet, même si cette pression de l’Exécutif pèse sur 1% des décisions, l’Ums trouve que c’est grave car, ajoute le magistrat, «la liberté n’a pas de prix et tout ce qui est une atteinte ou une menace pour les libertés doit être banni dans le système judiciaire», martèle le président Téliko.