ABDOULAYE DOUTA SECK, UN ARISTOCRATE DU THEATRE
Douta Seck, à vrai dire, fait partie de cette génération d’acteurs dont le talent inouï non mesurable, échappe à l’appellation générique et réductible de « Comédien »
Le comédien Abdoulaye Douta Seck a admirablement joué sa partition. Cet artiste polyvalent qui fut instituteur puis architecte, chanteur, poète et comédien, a survolé de son talent son époque. Celui que l’on a fini par confondre avec son personnage mythique du Roi Christophe continue encore de faire des émules. Pour certains, il reste et demeure à ce jour le plus grand artiste du Sénégal.
Abdoulaye Douta Seck est né le 4 août 1919 à Saint-Louis du Sénégal. Sorti de l’Ecole Nationale William Ponty, il débarque plus tard en France poursuivre des cours d’architecture. De l’architecture en passant par le chant, il bifurque au théâtre. Ainsi, il se verra propulsé peu à peu sur la scène mondiale.
Douta Seck, à vrai dire, fait partie de cette génération d’acteurs dont le talent inouï non mesurable, échappe à l’appellation générique et réductible de « Comédien ». Le foisonnement de ses créations, au théâtre comme au cinéma, atteste de sa fulgurante ascension. A l’homme polyvalent que fut Douta Seck, il faudrait explorer de nombreux espaces pour évoquer toute son œuvre et le patrimoine immense et riche qu’il nous a laissés. Son père a été instituteur puis Directeur d’école à Saint-Louis. Ibrahima Douta Seck fut un grand combattant et défenseur de la France durant les longues années de guerre. La mère de Douta se prénommait Virginie Seck et elle descendait d’une longue et noble dynastie d’origine Peulh.
Pour marcher sur les traces de son père, Douta Seck devient lui aussi instituteur à Ziguinchor, puis se rend à Dakar. En 1946, Il décroche une bourse d’études de la Municipalité de Dakar. Ce qui lui permet de continuer ses études d’architecture aux Beaux- Arts de Paris. Durant sept longues années, il poursuit ses études d’architecture à Paris. Malgré cette longue période studieuse, la fibre artistique ne l’a jamais quitté. C’est ainsi qu’il décroche au beau milieu de son cursus scolaire un rôle du sorcier dans la pièce : «L’empereur Jones», mise en scène par Sylvain D’homme de Maison de la Pensée Française de Paris. Véritable touche à tout, Douta ne se contente pas de jouer de la comédie et de faire de l’architecture, il s’adonne aussi à d’autres formes d’expressions artistiques.
Finalement, le virus de l’art lyrique et de l’art dramatique l’ont emporté sur celui de l’architecture. Il devient l’interprète et le compagnon de vie de Marie-Louise Vidal de Fonseca, dans ses œuvres et productions radiophoniques et télévisées. Il fait de nombreux concerts, chantant les negro-spirituals écrits par l’auteur dont : «Les Piroguiers Noirs». Il incarne ainsi de nombreux rôles, écrits pour lui par Marie-Louise à la radio et TV, (l’O.R.T.F.) durant ces années.
Au milieu des années cinquante, il poursuit au théâtre avec le rôle du coolie, dans la pièce de Berthold Brecht : «L’exception et la règle», mise en scène de Jean Marie Serreau, au théâtre de Babylone – Paris. Ses partenaires sont alors: Laurent Terzieff, Albert Médina et Jacques Mauclair. Peu de temps après, il obtient le rôle du gardien de la grotte des bandits, dans le film «Les aventures de Gil Bas de Santillane» (Vascos Film Producciones Benito Perojo).
En 1956, Douta termine ses études musicales à l’École Normale Supérieure de Musique de Paris-classe de Marcelle Gérarsection art lyrique. Il devient alors, «Basse Noble» de la Radio Diffusion Française. Il sort glorieux avec le Diplôme d’exécution vocale de l’École Normale Supérieure de Musique de Paris. En 1955, toujours à Paris, il obtient le Premier Prix «Léopold Bellan».
Premier Prix «Artiste de Paris-Wurmser
Dans la même année, il reçoit le Premier Prix «Artiste de Paris-Wurmser» et obtient la Médaille d’or de l’Association de l’Étoile du Bien et du Mérite à Paris en 1954. C’est ainsi qu’il effectue une tournée de concerts de chants classiques, de mélodies modernes, negro-spirituals et mélodies africaines à travers l’A.O.F. Celle – ci était subventionnée par le Haut-Commissariat de l’A.O.F. Dans la même période, il hérite du rôle du sorcier dans le film «Tamango» de John Berry en campant le personnage du Papa noir dans le film «Les Tripes au Soleil» de ClaudeBernard Aubert. Il passe l’examen de l’Union Professionnelle des Maîtres de Chant Français et obtient la Mention «très bien» à l’unanimité… Le 4 août 1964, le grand auteur Martiniquais, Aimé Césaire, écrit un rôle à sa mesure et ainsi naît la création de «La Tragédie du Roi Christophe» avec la mise en scène de Jean-Marie Serreau, produite par Europa Studio de la maison de production Allemande.
La tragédie du Roi Christophe
La première représentation se déroule à Landestheater de Salzburg pendant le Festival Mozart. Dans la même année, une grande tournée de la «Tragédie du Roi Christophe» est organisée dans toute l’Europe, à Vienne, à Berlin, à Venise (La Fenice), à Bruxelles etc. Paris reçoit cette création en mai et septembre 1965. Cette représentation est initiée par «Les amis du Roi Christophe, Compagnie du Toucan». Ce sera dans une mise en scène de Jean-Marie Serreau au théâtre de l’Odéon. Dans le cadre du premier Festival des Arts Nègres, Douta Seck fait étalage de son talent au Théâtre National Daniel Sorano et au Stade Demba Diop. Cependant, il faut noter que cette représentation restait une création française. C’est ainsi que le grand peintre Pablo Picasso devient son ami et membre du Club de Fans de Douta Seck.
En 1967, est créée la pièce d’Aimé Césaire : «Une Saison au Congo» au Théâtre de l’Est Parisien et Douta tient le rôle du peuple). Il s’occupe aussi de la composition des trois-quarts de la musique de scène accompagnée par Eddie Louis et Jean -Pierre Drouet. La même année, il joue dans «Les Comédiens» de Peter Glennville, d’après une œuvre de Graham Greene. Il a le rôle du serviteur et du sorcier vaudou Ohn Gan avec Richard Burton, Liz Taylor Alec Guiness, Peter Ustinov, etc. Au début de la décennie 70, Douta assure un rôle dans le film «Soleil Noir» sur la vie de Lumumba réalisé par Alexef Spechniev en Biélorussie, Il joue le rôle du président de l’Assemblée nationale.
A l’entame des années 70 on assiste à la Création de la pièce «Béatrice au Congo» de Bernard Dadié au Festival d’Avignon, mise en scène de Jean-Marie Serreau (rôle du Roi). Quelques temps après, c’est le retour à Dakar à la demande du Président Léopold Sédar Senghor. Il devient sociétaire du Théâtre Daniel Sorano. Aussitôt après, une nouvelle création de « La Tragédie du Roi Christophe » est assurée avec une nouvelle mise en scène de Raymond Hermentier. Ce fut à l’occasion de la visite officielle du Président de la République ivoirienne, Félix Houphouët Boigny au Sénégal.
En 1974, il obtient un rôle dans le film «Xala» d’Ousmane Sembène dans lequel, il incarne le personnage de l’aveugle. On le revoit dans une autre création cinématographique avec «Amok» de S. Ben Barka dans lequel il assure le rôle du pasteur Mathieu). L’année suivante, en 1983, Douta est unique et immense dans le film «Rues Cases Nègres» d’Euzhan Palcy (personnage du grand-père Médouze). Le film obtient le Lion d’Argent du Festival de Venise. Un an après, il est de la partie dans le film «L’aventure ambiguë» de Jacques Champreux où il assure de façon admirable le rôle de Thierno. Un film tiré de l’œuvre magistrale de l’écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane.
Entre 1984 et 1986, ce sont des représentations du «Mahabharata» de Peter Brooks et Jean-Claude Carrière à Paris, au Théâtre des Bouffes du Nord et au Festival d’Avignon. Pour honorer le talent de ce comédien au talent immense, un hommage de sept jours lui est rendu en juillet 1991 par le gouvernement sénégalais et français. C’était sous l’égide du Président Abdou Diouf et de l’Unesco, représentée par Dominique Wallon qui viendra lui remettre les honneurs de la France en le faisant « Chevalier des Arts et Lettres ». Cet évènement a lieu au Théâtre Daniel Sorano.
Plus de deux décennies après sa disparition, son ombre continue de planer sur le théâtre africain. Le quotidien Le Soleil, dans son édition du 7 novembre 1991 sous la plume de Djib Diédhiou lui rendait un vibrant hommage. « Ce grand comédien avait incarné au théâtre le rôle du Roi Christophe avec beaucoup de vérité et de sensibilité. Avec lui disparait le dernier de nos géants du 4ème art. Il aura donné jusqu’au bout la réplique à ce personnage tapi au cœur de son être – l’emphysème – et qui se réveillait de temps à autre, et de manière soudaine, pour l’accabler ». « Car ‘Christophe’ comme on peut appeler Douta depuis ce 4 août 1964 où fut à Salzbourg créée par Jean Marie Serreau, ‘La Tragédie du Roi Christophe’ d’Aimé Césaire, n’avait plus à faire face aux vicissitudes de l’histoire ni à la versatilité d’un peuple, mais il devait composer sur la scène de la vie », écrivait M. Diédhiou. Pour l’immortaliser, l’ancienne résidence de Médina est baptisée en son nom en 1992 lors de la journée mondiale du théâtre.
Témoignages
MOUSTAPHA MBAYE, COMEDIEN, AMI ET DISCIPLE DE DOUTA SECK : « De tous les comédiens qui ont marqué notre époque, il est de loin celui qui s’est placé au centre du théâtre sénégalais »
« Douta Seck, c’est aussi une voix extraordinaire, une voix de basse au timbre envoûtant. Sa voix caverneuse qui semble réveiller on ne sait quel esprit d’outre-tombe et qui accule toute sensibilité dramatique, avec comme point d’appui une diction soutenue méticuleuse. Le débit apprivoisé comme pour emprunter allègrement le mouvement oscillatoire de la violence au plus haut point et du lyrisme originel qui caractérise la poésie de Césaire. Ses phrasés limpides et d’une fluidité prodigieuse submergent son public. Le Doyen, comme on aimait l’appeler chez nous, est un véritable mythe. De tous les comédiens qui ont marqué notre époque, il est de loin celui qui s’est placé au centre du théâtre sénégalais voire africain et fait figure de symbole. Voilà un Noir au regard inquiétant, au rire qui glace, aux colères effrayantes et qui acquiert soudain une vraie majesté, une autorité incontestable quand il endosse le manteau royal bordé d’hermine et qu’il revêt l’habit brodé d’or », disait-on de lui. A le voir se promener certains soirs sur la Corniche Ouest, non loin de son domicile, déambulant comme lui seul savait le faire, on dirait un démiurge au sortir du Sanctuaire. »
PAPE FAYE, ARTISTE COMEDIEN : « Faire du théâtre pour faire aimer le théâtre »
« Il avait un réel élan de perfection, une telle rigueur dansle travail, la profondeur de l’émotion, la puissance de la voix, la pureté de la diction, la symphonie gestuelle, combinées à une sensibilité humaine hors du commun. L’homme savait faire du théâtre pour faire aimer le théâtre, pour être au théâtre, pour être dans le théâtre et faire s’épanouir la vie dans et avec le théâtre. Aussi, le plus grand hommage que l’on puisse lui rendre, l’ultime hommage, c’est de nous évertuer à promouvoir le théâtre. C’est pour l’avoir bien compris que j’avais initié la cérémonie des « Douta d’or »