L’ACTE III, «UN ECHEC PATENT »
D’après le secrétaire général du Conseil départemental de Thiès, l’Acte III a rendu une copie médiocre
Avec la mise en œuvre de la politique de l’Acte III de la décentralisation, les uns et les autres s’attendaient au décollage des collectivités territoriales. A l’heure de l’évaluation, des élus locaux exposent toutes les limites de cette politique qui ont pour noms: incohérence territoriale, Fonction publique locale, absence de moyens financiers, territorialisation des politiques publiques…
L’ Acte III de la décentralisation a été mis en œuvre dans la plus grande précipitation et sans évaluation aucune, selon des élus locaux qui participaient au comité régional de développement (Crd) spécial consacré à l’évaluation de l’acte III dans la région de Thiès. Cette phase III mise en application par le président Macky Sall n’a pas donné grand-chose dans la capitale régionale du Rail.
D’après le secrétaire général du Conseil départemental de Thiès, l’Acte III a rendu une copie médiocre. “L’acte III est un échec patent. Je prends tout simplement deux exemples. Il s’agit de la cohérence territoriale qui était un des objectifs majeurs et de la politique de territorialisation des politiques publiques. Pour la cohérence territoriale, des Crd ont été organisés dans chaque région et des propositions concrètes faites. Mais jusqu’ici non appliquées.
En ce qui concerne la territorialisation des politiques publiques, aujourd’hui, l’ensemble des collectivités territoriales étouffent, parce qu’elles ne parviennent pas à exécuter correctement leur budget, faute de ressources. Idem pour la Fonction publique locale. Parce que, depuis 2012, la loi est là, les décrets d’application sont là, mais il n’y a pas une mise en œuvre effective de la Fonction publique locale. Je le dis et le réitère, l’Acte III de la décentralisation est un échec patent’’, se désole Bassirou Ndiaye. Poursuivant son propos, le représentant du président du Conseil départemental de Thiès, Idrissa Seck, soutient que, pendant longtemps, les uns et les autres n’ont cessé de chanter les avantages de cet acte III. Mais, pour lui, rien de concret n’a été constaté sur le terrain. A part, dit-il, quelques “petites réalisations’’ réussies par “quelques maires privilégiés’’ du régime en place. “La décentralisation, ce sont des actions sur le terrain.
Par contre, ce que nous voyons, c’est un maillon faible. Ce sont quelques maires qui sont au cœur de l’appareil gouvernemental qui ont réussi à faire quelque chose dans leurs communes. Sinon, les autres communes ont de sérieux problèmes’’, se lamente M. Ndiaye. Avec l’arrivée de l’Acte III de la décentralisation, la région a disparu pour laisser la place au département. Les appellations et les organigrammes changent. De même que leur mode de fonctionnement. On parle désormais de conseils départementaux et non régionaux. Toutefois, le secrétaire général du Conseil départemental de Thiès pense que l’Acte III de la décentralisation a été mis en œuvre dans la plus grande précipitation. Et sans évaluation aucune. “Avec l’Acte III de la décentralisation, on a supprimé la région, sans faire une évaluation correcte. On crée le département avec les mêmes objectifs et le même mode de fonctionnement. Pendant ce temps, les ressources, qui étaient destinées aux 14 régions du pays, sont réparties entre les 43 départements. Il y a beaucoup de problèmes.
Des problèmes réels pour faire fonctionner les départements. Ce que nous vivons à Thiès, les autres le vivent également dans leurs départements. On ne parvient même pas à payer correctement les salaires’’, évalue le collaborateur d’Idrissa Seck. Aussi, Bassirou Ndiaye précise-t-il que le Sénégal a besoin de “régions fortes’’, à l’image de ce qui se fait dans le monde. Pour y arriver, il demande que des politiques cohérentes (réformes nécessaires) soient mises en œuvre, surtout en matière de coopération décentralisée, en lieu et place de l’acte III qui, selon lui, est un “échec patent’’.
“Depuis 1960, rien ne bouge’’
De son côté, le maire de la commune de Thiès-Nord n’y va pas aussi par quatre chemins. Il évalue l’Acte III de la décentralisation à sa manière et suivant le processus de développement économique de la ville. “Au niveau de la ville de Thiès, c’est le statu quo. Avant l’acte III, la ville de Thiès avait des recettes de 2 milliards de francs Cfa, avec des communes d’arrondissement qui avaient chacune 200 millions. En revanche, avec l’Acte III de la décentralisation, cette même ville parvient difficile à atteindre la barre des 600 millions de francs Cfa. Les trois communes qui, il y a quelques années, ont vu leurs budgets doubler, s’écroulent aujourd’hui, sous le poids de la masse salariale. Et cela est dû au redéploiement du personnel de la ville’’, analyse Lamine Diallo.
Ainsi, le maire de Thiès-Nord précise tout de même qu’avant la réforme, la masse salariale de la commune qu’il a l’honneur de diriger avoisinait les 3 millions de francs Cfa par mois. Aujourd’hui, ajoute-t-il, elle atteint les 12 millions de francs Cfa. D’après lui, cette masse salariale qui a triplé plombe toutes les possibilités d’investissement. “La commune de Thiès-Nord n’a même pas de possibilité d’investissement de plus de 30 millions par an. On est passé de communes d’arrondissement à des communes de plein exercice, mais sans aucune ressource pouvant nous permettre de faire des investissements’’, poursuit le premier magistrat de la ville de Thiès-Nord. Contrairement au secrétaire général du Conseil départemental de Thiès qui disserte sur l’échec de cette politique de décentralisation, Lamine Diallo indique, pour sa part, que l’acte III a aussi ses avantages (possibilité pour les maires de recruter des ressources humaines de qualité, de nouvelles recettes avec les 9 ou 10 millions du marché central de Thiès…).
De l’avis de l’édile de ThièsNord, tout n’est pas mauvais dans l’acte III. Par contre, dit-il, ce qu’il faut, c’est d’avoir la grandeur de corriger certaines choses. “Au niveau des recettes, rien ne va plus comme avant. On constate également une rupture d’égalité. Ici, dans la ville de Thiès, les trois maires (Est, Ouest et Nord) ne peuvent pas initier des projets de lotissement. La compétence de lotissement est dévolue au maire de la ville, sous prétexte qu’il y a un rapport de l’Inspection générale d’État qui donne cette compétence à la ville. Ça, c’est une aberration. Dans ce cas, il faut qu’on enlève le groupe de mots ‘commune de plein exercice’ pour mettre quelque chose. Je pense qu’il faut corriger cela’’, préconise Lamine Diallo, indiquant que l’émergence du pays dont on parle doit passer par les collectivités territoriales. Cependant, il reste convaincu que l’acte III peut bel et bien être plus utile aux populations. Mais, dit-il, il faut accepter d’apporter toutes les corrections nécessaires. “Depuis 1960, on est là et rien ne bouge. On ne peut pas continuer à avoir des collectivités territoriales qui se limitent uniquement à payer les salaires et caser une clientèle politique. Pour assurer le développement du pays, il nous faut des collectivités territoriales capables d’enclencher des travaux d’assainissement, de voirie, de l’éclairage public…’’, suggère Lamine Diallo.
Acte III et les lobbyings
Le maire de la commune de Ndiéyène Sirakh, quant à lui, trouve juste l’idée de mettre en place l’acte III. Membre de la mouvance présidentielle, El Hadj Amadou Fallou Fall renseigne qu’avant l’arrivée de l’acte III, il y a eu “beaucoup d’inégalités sociales’’ dans ce pays qu’il fallait corriger. Mais, malheureusement, ajoute-t-il, les gens n’ont pu apporter les corrections nécessaires. “L’acte III était un projet du président Macky Sall. L’idée de la communalisation intégrale était bonne. Mais on constate que rien n’a changé. Le président a beaucoup fait. Mais ce sont les histoires de copinage qui plombent le développement des collectivités territoriales. En plus, il y a des lobbyings qui freinent tout. On ressent toujours l’incohérence territoriale et l’iniquité sociale’’, regrette El Hadj Fallou Fall. Par ailleurs, l’ambassadeur itinérant auprès du président Macky Sall précise que la démarche du patron de l’Alliance pour la République (Apr) est claire. Mais, dit-il, ce sont ceux qui sont chargés de l’exécution de l’acte III qui “ne sont pas à la hauteur’’.