DJ ARAFAT ET LA LUMPEN-GENERATION !
Une jeunesse enfermée dans cette gigantesque prison qu’est l'Afrique se livre au songe du nihilisme et mime sa propre destruction, rassemblée autour de la dépouille d’un homme devenu le symbole de notre auto-dévoration
Je dois être l’un des très rares Africains à n’avoir jamais entendu parler de DJ ARAFAT.
L’Histoire - avec H majuscule - se serait-elle gaillardement déroulée sous mes yeux sans que je m’en apercoive?
Pour moi, le nom d’Arafat a toujours été associé à la cause palestinienne. À la libération d’un des peuples les plus martyrisés de la Terre. Pas aux ‘Chinois’. À moins que ‘Chinois’ et ‘Palestiniens’ ne signifient la même chose - la foule des destitués vivant sous occupation, mais laquelle, précisément?
Les seules funérailles d’Arafat qui m’ont marqué furent celles du leader palestinien à Ramallah, mort empoisonné par qui vous savez. Scènes déchirantes d’une foule incrédule elle aussi, face à la faux, le “Great Reaper” ammasseuse de têtes, les grandes vendanges.
J’etais pourtant à Abidjan l’autre semaine ou l’autre année. C’est vrai, c’etait a la Banque africaine de développement. Pas à Yopougon, l’autre monde, ce terme qu’affectionnait le regretté Sony Labou Tansi, cet autre Arafat de la langue.
Celestin MONGA, mon frère, avait pris soin de me faire visiter bien des coins. Il m’a traîné des nuits de suite dans des clubs et restaurants, et pas des plus huppés je vous assure. Musique congolaise, coupe-décale, je ne sais pas comment j’ai pu éviter le “Zeus africain”.
Mais voilà, il s’en est allé comme il est venu. Certains se noient en Méditerranée. D’autres sont achetés en Lybie. D’autres encore sont enfouis dans les sables du Sahara. Lui a préféré la moto. En Afrique, chacun meurt comme il peut.
Quoique l’on pense, il est tout de même significatif que des millions d’entre nous cherchent à répondre d’abord au nom de l’Arafat ivoirien, mais pas à celui du Palestinien. Cela en dit long sur l’heure qu’il est, celle du matérialisme radical et de la jouissance a l’encan.
J’ai finalement écouté DJ Arafat. La verdeur et la truculence. Le principe génital. Le virilisme et la dépense corporelle. Cette espèce de frénésie reptilienne et ce désordre des sens dont parlait Frantz Fanon dans ses commentaires sur les rites de possession en situation coloniale.
Les possédés d’aujourd’hui sont prêts à aller plus loin. Ils refusent la mort et sa réalité. Non en s’attaquant à ses causes profondes, mais en l’habitant dans un tragique geste d’ingestion.
Arafat est certes mort à 33 ans. Mais pas sur la Croix. De résurrection au troisième jour, il ne pouvait guère y en avoir. Déçus, ses disciples ont tenté de le réveiller de force de son sommeil, dans un geste à la fois eucharistique et cannibalique.
Voilà les héros africains d’aujourd’hui, ceux-la que l’on a transformé en modèles - les musiciens, les pasteurs, les hommes armés, les tyrans et leurs sicaires, comme à l’epoque de la Traite des esclaves, et la fête de l’homme riche racontee autrefois par le regretté Memel Fote, anthropologue ivoirien.
De ce point de vue, DJ ARAFAT n’etait peut-être pas si singulier que cela. Peut-être était-il semblable à Koffi OLOMIDE, Fally IPUPA, et tant d’autres, ces footballeurs épris de quincaillerie, ces hanches qui n’arrêtent pas de déhancher, ces fesses que l’on trémousse à longueur de journées, ces bêtises que l’on prend plaisir à dévider, le spectacle de la lobotomisation des foules.
Une société profondément malade s’étripe aux yeux d’un monde lui même devenu ivre. Le culte de la jouissance a remplacé celui des fétiches. Une jeunesse sonnée et enfermée dans cette gigantesque prison qu’est le Continent se livre, les yeux ouverts, au songe empoisonné du nihilisme et mime sa propre destruction, rassemblée autour de la dépouille d’un homme devenu le symbole de notre auto-dévoration !