NGONE NDOUR, LA BOSS DES PLATINES
La directrice de Prince Arts a compris très tôt que la réussite, la reconnaissance et surtout le respect dans son métier se conquièrent. Elle ne s’est jamais contentée d’être la sœur de Youssou Ndour, pour espérer mériter quoi que ce soit dans la vie
Drapée dans une jolie djellaba bleue de nuit, la tête entièrement couverte d’un foulard noir, Ngoné Ndour attire par sa simplicité. Ce mercredi 4 mars, à notre arrivée à Prince Arts, c’est elle en personne qui nous ouvre la porte avec un sourire qui nous met à l’aise. Salamalecs chaleureux, comme de vieilles connaissances. La voix un peu grave et dans un français parfait, l’ingénieure du son nous entretient de son riche parcours, son amour pour les enfants, son attachement à la religion.
La directrice de Prince Arts a compris très tôt que la réussite, la reconnaissance et surtout le respect dans son métier se conquièrent. Elle ne s’est jamais contentée d’être la sœur de Youssou Ndour, pour espérer mériter quoi que ce soit dans la vie. À l’image de son frère, devenu star planétaire à force d’exceller et persévérer dans son métier, Ngoné est une bosseuse qui croit fermement à l’adage qui dit que la réussite est au bout de l’effort. Le féminisme et les privilèges dues à la femme la laissent de marbre. ‘’Je ne suis pas féministe pour beaucoup de raisons. Je me dis que la femme a sa place dans la société comme l’homme. Je pense que si on considère le côté professionnel, on ne doit pas parler de genre. Ce n’est pas parce qu’on est femme qu’on doit être privilégiée. On doit parler de l’individu et se baser sur la compétence de la personne pour lui donner un poste. Je crois plus au mérite. Je ne suis pas féministe, mais je défends l’intérêt de la femme. Pour moi, défendre l’intérêt de la femme n’est pas pareil au féminisme. Je ne veux pas qu’on violente les femmes, mais je ne suis pas obnubilée par cela’’, tranche-t-elle.
Convaincue que c’est par l’effort et le travail bien fait que l’on gagne le respect, Ngoné a fait du mérite son credo. Ses anciens collègues ainsi que tous ceux qui ont eu à travailler avec elle sont unanimes. Ngoné est une bosseuse et maitrise bien son domaine. ‘’Je n’ai jamais vu une bosseuse comme Ngoné. Elle aime travailler et fait tout pour avoir de bons rapports avec tout le monde. Elle est ouverte et demande conseil à tout le monde. Elle est correcte, polie et très pieuse. C’est une travailleuse hors pair’’, témoigne une de ses collaboratrices à la Sodav.
Née et grandie à Dakar, Mme Ndour a aussi fait ses humanités dans la capitale sénégalaise. Après une première partie de son cursus à Dakar, elle prend la destination de Londres pour poursuivre ses études. Influencée par son frère de chanteur, elle choisit d’évoluer dans le domaine de la culture, mais loin des micros et des scènes. A la place, elle travaille et manie le son en faisant des études en ingénierie de son. Un domaine qui était, jusqu’à-là, réservé aux hommes. ‘’C’est une influence que j’ai reçue de mon frère. J’ai toujours été passionnée par la musique et quand je grandissais, j’ai vu que sa carrière se développait un peu et j’ai eu une très grande influence venant de lui. Comme je ne savais pas chanter, quand je suis partie en Angleterre, j’ai eu à faire une connaissance qui m’a informée de l’école de formation d’ingénierie de son. J’aimais beaucoup les métiers d’homme et je n’avais jamais entendu parler d’un ingénieur de son femme en Afrique. J’ai décidé de suivre cette formation pour intégrer le secteur de la musique’’, se rappelle-t-elle.
Ses diplômes en poche, elle retourne au bercail pour exercer son métier. Faute de studio de production musicale à Dakar, à l’époque, elle se voit obliger de délaisser son métier d’ingénieur de son pour intégrer l’entreprise de son frère évoluant toujours dans le domaine de la musique. De simple secrétaire, puis chef de projet, en passant par la direction de l’usine de fabrication de cassettes, ensuite de Jololi, elle a su gravir les échelons pour arriver, grâce à sa hargne et à son savoir-faire, au sommet et devenir la directrice générale de Prince Arts.
Aux commandes de cette société de production de musique et d’organisation de spectacles, depuis sa création en 2007, cette belle dame, élancée au teint d’ébène et à la mine rayonnante, fait vibrer beaucoup d’amateurs de la belle musique. ‘’Le grand bal’’, les éditions du ‘’Grand bégué’’, les somptueuses soirées de spectacle de Youssou Ndour au King Fahd Palace sont ses œuvres. La ravissante petite sœur assure la direction artistique de la plupart des albums de son frère, Roi du mbalax. Elle manage également les spectacles de promotion et dirige la distribution des cassettes.
L’expérience ‘’Sen Petit Gallé’’ et ‘’Sen Petit Génie’’
Très ambitieuse et créative, elle ne se limite pas à la promotion des albums de Youssou Ndour. Cultivée et passionnée de culture, Ngoné Ndour est aussi dans la production de contenus pour le Groupe Futurs Médias. A l’ère du copier-coller des médias, elle innove et fournit à la TFM des émissions créatives. C’est l’exemple de ‘’Sen Petit Gallé’’ ou encore de ‘’Sen Petit Génie’’, deux émissions culturelles destinées essentiellement aux enfants.
En effet, très attachée aux chérubins, cette mère d’un unique fils a voulu, à travers son métier, faire sourire autant que faire se peut les petits bouts de chou. Ainsi, partie du constat que le paysage médiatique sénégalais manque de contenus pour ces mômes, elle crée deux émissions qui ont pour but de montrer le talent des enfants. ‘’Il y a une émission que je suivais sur la chaine Africable qui s’appelait «Mini-star» que j’adorais vraiment et je prenais tout mon temps pour la regarder. J’avais aussi constaté qu’au niveau du paysage culturel, il n’existait pas d’émissions du genre ou de projets pendant les vacances, pour montrer le talent des enfants. C’est pour cela qu’on a monté «Sen Petit Gallé», en nous inspirant certes de «Mini-star», mais en apportant des modifications pour y mettre notre touche personnelle. Ainsi, on a intégré beaucoup de choses que «Mini-star» n’avait pas’’, indique-t-elle.
Créé en 2013, ce concours est devenu le rendez-vous des grandes vacances à ne pas manquer. Et il n’est pas suivi que par les enfants. Bien d’adultes ne ratent pas les diffusions à la télé. Toutefois, il y a des gens qui n’ont pas adhéré au concept. En effet, des Sénégalais reprochent à l’émission de promouvoir le divertissement à la place de l’éducation pour les enfants. Mais pour l’initiatrice, loin de la décourager, ces critiques lui permettent plutôt d’améliorer la production. Consciente que la perfection n’est pas de ce monde, elle prend les critiques positivement pour pouvoir évoluer. ‘’Je vis positivement les critiques, parce que je me dis que nous sommes tous différents par rapport à notre perception du monde. J’aime les enfants et le milieu de la culture me passionne et j’ai pensé que, de par mon métier, je peux développer un volet enfant. Je pense que la culture peut beaucoup contribuer et contribue beaucoup à l’éducation’’, estime-t-elle. Encore que, disons que ceux qui ne se retrouvent pas dans ‘’Sen Petit Gallé’’ le seront forcément dans ‘’Sen Petit Génie’’.
En effet, toujours dans le souci de participer à l’épanouissement des enfants, la directrice de Prince Arts a mis en place, en collaboration avec la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l'éducation publique (Cosydep) ‘’Sen Petit Génie’’. Une émission éducative. Un concours pour génies en herbe destiné aux élèves des classes de CM1. Outre la culture générale des enfants, l’émission permet d’équiper les écoles en salle informatique. En effet, pour chaque édition, l’école championne a droit à une salle informatique entièrement équipée. Et depuis sa création, sept écoles en ont bénéficié.
Malgré son âge et son allure de grande dame, Ngoné Ndour dit pourtant se sentir toujours gamine. Cela, parce que toujours passionnée et très attachée aux enfants avec qui elle entretient des relations très particulières. ‘’Je me suis dit que je suis restée enfant dans ma tête, car je suis beaucoup plus sensible et en sécurité avec les enfants qu’avec les adultes. J’ai toujours été comme ça. Pour moi, il n’y a pas plus génial que d’avoir des enfants. Ils sont purs. Avec eux, il n’y a pas de mensonge, ni de trahison. Je me sens plus à l’aise quand je suis avec eux qu’avec les adultes, parce que dans le monde des adultes, il y a beaucoup de rivalité, de jalousie, d’hypocrisie et de problèmes’’, considère-t-elle. Sa meilleure amie n’a pas 10 ans, dit-on.
Le respect des droits d’auteur, son autre combat
En plus d’être directrice de Prince Arts, Ngoné Ndour est aussi la présidente du Conseil d’administration de la Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav). Une société des artistes née d’une longue lutte des acteurs culturels pour le respect des droits d’auteur et des droits voisins. Faisant partie du comité de pilotage de la loi 2008 sur les droits d’auteur et droits voisins, après la mise en place de la Sodav, elle a postulé pour la présidence du conseil d’administration. Mais elle a perdu, lors de l’élection, contre Angèle Diabang. Deux ans après son élection, la réalisatrice a jeté l’éponge. Ngoné Ndour a, cette fois-ci, été élue en assemblée générale, en 2016, pour conduire les destinées de la première société civile des acteurs culturels sénégalais.
Très au fait de ce qui se passe dans le milieu culturel, elle fait tout pour contribuer au développement du secteur. Elle fait du combat pour le respect des droits d’auteur au Sénégal une affaire personnelle. Son objectif, aujourd’hui, est de faire en sorte que l’artiste se nourrisse de son art et que la Sodav assure sa mission de protection de leurs droits à tous les égards. En remplaçant le BSDA, la Sodav a étendu ses compétences aux droits voisins, incluant les interprètes. Cela va donc du musicien au danseur, en passant par le comédien ou encore le producteur audiovisuel et phonographique.
Un autre combat qui tient à cœur l’actuelle PCA, est le respect de la copie privée. Il s’agit des supports importés qui sont assujettis à la redevance appelée rémunération de propriété privée. ‘’La copie privée est l’un des plus importants droits économiques pour les sociétés de gestion collective. Cette redevance est reversée au niveau de la Sodav pour les partager aux ayants droit, à savoir les auteurs, les artistes interprètes et les producteurs. C’est une manne financière importante, parce qu’il s’agit des supports comme les téléphones portables, les clés USB, les disques durs, c’est-à-dire tout ce qui peut enregistrer une image ou un son et qui est importé. Il y a une redevance fixée dessus et que la Sodav pourrait récupérer pour reverser aux ayants droit. Cette copie privée est tellement importante pour la survie de la Sodav’’, explique-t-elle.
Femme de culture et de religion
Les évènements malheureux peuvent parfois nous ouvrir les yeux pour peser davantage sur le sens de notre vie. C’est ce qui est arrivé à Ngoné Ndour. La perte de son mari, il y a 4 ans, fut un évènement qui l’a assez marquée et l’a rapprochée davantage de la religion. Restée veuve depuis lors, elle a complètement changé de style vestimentaire. Le voile, les habits décents sont devenus de rigueur chez elle. Cet épisode douloureux de sa vie a renforcé sa foi.
‘’Depuis 4 ans, je porte le voile pour des raisons que tout le monde sait. J’avais perdu mon mari et durant mon veuvage, j’ai eu à beaucoup lire et à apprendre la religion, parce que j’avais beaucoup plus de temps pour me concentrer. Depuis, je porte le voile, parce que Dieu nous a dit ça. C’est ce que j’ai lu, compris et c’est ce que je fais. Ce n’est pas pour la mode. Qui me connait, sait que je ne badine pas avec ma religion. Je porte le voile, parce que c’est une recommandation divine. Avant, je portais tout, mais j’étais attachée à la religion. Pour moi, en matière de religion, il ne doit pas y avoir de «thiakhaane». Perdre un mari est très difficile et cela m’a permis de me ressaisir’’, laisse-t-elle entendre sur un ton assez ferme.