«LE MIEUX POUR LE SÉNÉGAL, C’EST DE METTRE FIN À CE COUVRE-FEU»
Le directeur exécutif d’Amnesty Sénégal, Seydi Gassama, estime que l’Etat doit arrêter le couvre-feu instauré dans le cadre de la lutte contre le Covid-19
Le directeur exécutif d’Amnesty Sénégal, Seydi Gassama, estime que l’Etat doit arrêter le couvre-feu instauré dans le cadre de la lutte contre le Covid 19. Il soutient par ailleurs que les moyens doivent être concentrés sur l’achat de masques aux populations des zones rurales et la sensibilisation. Toujours selon Seydi Gassama, l’interdiction de la circulation interurbaine doit être revue et centrée sur les lieux les plus touchés par la pandémie.
Vous avez fait un post en soutenant que le couvre-feu doit être levé. Pourquoi une telle déclaration ?
Si on fait l’analyse de la situation actuelle de l’épidémie au Sénégal, toutes les mesures qui ont été prises par l’Etat récemment, notamment la réouverture prochaine des classes, la levée de l’interdiction d’ouverture des marchés, les lieux de culte et les allègements apportés dans la circulation des transports publics dans la région de Dakar, nous estimons que le couvre-feu, doit être levé.
Les principaux mouvements de population se font pendant le jour. C’est pendant le jour que les marchés sont ouverts. C’est pendant le jour que les populations se déplacent, c’est pendant le jour que les mosquées et les écoles vont être ouvertes. Il y’a très peu de mouvements de population pendant la nuit. Donc, maintenir ce couvre-feu, qui est coûteux du point de vue de sa mise en œuvre, est inopportun.
En plus, depuis sa proclamation, nous avons connu de graves violations aux droits humains. Des policiers et des gendarmes se sont mis en civil, sont allés dans des quartiers pour chasser des gens jusque dans les chambres à coucher. Des vieillards de 70, 80 ans, des femmes enceintes ont été violentés. Si on prend le contre coût du couvre-feu et sa mise en œuvre et toutes les violations des droits humains, je crois que le mieux pour le Sénégal, c’est de mettre fin à ce couvre-feu.
Des pays de la sous-région n’ont pas décrété le couvre-feu. C’est le cas de la Gambie, du Bénin et bien d’autres. Certains qui l’avaient décrété tels que le Mali et la Côte d’Ivoire, l’ont levé. Et le Sénégal ne fait pas mieux que la côte d’Ivoire en termes de lutte contre la pandémie. Nous pensons qu’il faut le lever et que les ressources qui sont consacrées à la prise en charge sur le terrain des forces de défense et de sécurité, soient utilisées dans la sensibilisation communautaire pour aussi, donner aux populations des masques. Malheureusement, quand on sort de Dakar pour aller en milieu rural, malgré le choix des hommes politiques qui distribuent des masques, ces gens n’en n’ont pas encore suffisamment.
Les ressources doivent être orientées vers la production de masques, la sensibilisation en faveur des gestes barrières. Ce sont ces gestes qui vont empêcher la pandémie de se répandre et non pas des mesures qui restreignent les mouvements de populations surtout la nuit où ils sont pratiquement nuls. Si on prend le cas des secteurs qui sont frappés par ce couvre-feu la, comme la restauration, beaucoup de restaurants sont fermés. Ils n’ont pas l’appui de l’Etat.
L’Etat ne parle que des hôtels. Mais, toutes les mamans qui ont des gargotes dans les quartiers, qui font manger des gens qui ont de petites bourses, sont toutes au chômage. Donc, il faut permettre à ces gens qui travaillaient de retrouver leur gagne-pain tout en respectant les mesures barrières. L’autre chose complétement absurde que je voudrai relever, c’est la question des motos Jakarta. On permet aux bus et aux taxis de circuler et on dit aux jeunes qui vivent de cette conduite de motos Jakarta, «vous ne travaillez pas» alors qu’ils n’embarquent qu’une seule personne. On doit leur exiger de porter un masque et que la personne transportée en fasse autant. On ne doit pas les empêcher de travailler et les ignorer en ce qui concerne le soutien apporté aux personnes impactées par cette pandémie. Nous ne disons pas qu’il faut lever le couvre-feu et ne pas permettre au sabar, aux soirées dansantes, les soirées religieuses et concerts nocturnes d’avoir lieu. Il faut lever le couvre-feu en mettant l’interdiction de tous ces évènements qui rassemble beaucoup de monde.
Pourquoi dites-vous que le couvre-feu est coûteux ?
Absolument, ça l’est ! Parce qu’il faut déployer tous ces centaines voire des milliers d’éléments sur le terrain, les faire travailler la nuit. Parfois, il y’a des heures supplémentaires à payer. Ça coute de l’argent de mettre autant d’hommes sur le terrain dans les villes et villages du pays pour assurer un couvre-feu. Ils travaillent la nuit, au-delà des heures réglementaires, même s’ils sont des militaires, ils ont droit au repos. Il faut mettre de l’essence dans les véhicules. Je ne sais pas combien ça coûte, mais la mise en œuvre du couvre-feu est coûteux.
Il y’a aussi l’interdiction de la circulation interurbaine qui est toujours en vigueur qu’est-ce-que vous en pensez ?
Il faut être vraiment être intelligent pour aborder cette question de façon très objective et d’éviter que les mesures qu’on est en train de poser, produisent l’effet inverse. Si on fait une interdiction générale de circuler entre les départements, évidemment, on arrive à une situation où les gens font du trafic. Les gens vont utiliser toute sorte de moyens pour pouvoir bouger. Ils vont parfois corrompre des membres des forces de sécurité pour bouger. Vu que 80% des cas sont entre Dakar, Thiès et Mbour, il faut interdire justement aux personnes de sortir de ces trois départements et dans le reste du pays, permettre aux gens d’aller et de revenir et de vaquer à leurs occupations. Mais, empêcher comme ça, aux gens de bouger dans tout le pays, je pense que c’est intenable.