MACKY SALL ET SES COLLABORATEURS, LES CONTOURS D'UNE STRATÉGIE DÉROUTANTE
Sans état d’âme quand il s’agit de se débarrasser de ses collaborateurs même les plus proches, la stratégie du président est difficilement déchiffrable pour les analystes. Tous les actes semblent cependant résolument orientés vers 2024
La liste de ses victimes, de 2012 à nos jours, ne cesse de s’allonger. Depuis 2019, le locataire du palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor ne cesse de se dévoiler et de dérouter l’opinion, mais surtout ses proches qui lui ont toujours juré fidélité et loyauté.
D’abord, c’est l’ancien président du groupe parlementaire Moustapha Diakhaté, l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale Moustapha Cissé Lo, l’ancien directeur général de Dakar Dem Dikk Moussa Diop, l’ancien directeur des Sénégalais de l’extérieur Sory Kaba, entre autres. Ensuite, viennent les ministres Aly Ngouille Ndiaye, Omar Youm, Mouhamadou Makhtar Cissé, Amadou Ba… La liste est loin d’être exhaustive. Certains d’entre eux ont été accusés de lorgner le fauteuil présidentiel.
Ainsi, volontairement ou non, Macky lance la bataille de la Présidentielle 2024. Mais quel est son objectif dans ce combat qui, en principe, comme le disait son ex-conseiller juridique privilégié Ismaila Madior Fall, ne le concerne pas ?
A défaut de réponse claire de la part du président, les supputations vont dans tous les sens. Les seules constances, c’est qu’au sein de la mouvance présidentielle, il est formellement interdit de dire que Macky Sall n’a pas droit à un troisième mandat – tous ceux qui l’ont fait ont été sanctionnés.
D’autre part, il suffit qu’un leader soit accusé d’avoir des ambitions présidentielles pour le placer dans l’œil du cyclone.
Pour beaucoup, c’est pour baliser la voie à son beau-frère et non moins ministre Mansour Faye. L’homme était sur toutes les lèvres, depuis le premier gouvernement de Macky 2. En fait, le beau-frère du président gérait l’essentiel des programmes sociaux qui font la fierté du régime actuel. Il s’agit du Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC), du Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma), du Programme de modernisation des villes (Promovilles), de la Couverture maladie universelle (CMU)… Malgré les milliards à lui confiés, Mansour ne fera pas l’unanimité à la tête de ce ministère en charge du Développement communautaire.
Aujourd’hui, il quitte cette station pour un département non moins important. En termes de dotation budgétaire, dans la précédente loi des finances, Mansour était la 11e ‘’fortune’’ du gouvernement, avec plus de 101 milliards F CFA. Il était très loin d’Omar Youm qui gérait notamment les Infrastructures et le Désenclavement. Ce dernier était la 2e ‘’fortune’’ du gouvernement, avec un budget de plus de 295 milliards, soit presque le triple du budget de M. Faye. Mais là aussi, cette carte Mansour Faye pour 2024 est trop évidente pour être la bonne.
En tout cas, il faut rappeler que l’un des principaux détracteurs de l’ancien directeur de cabinet du président de la République est le magistrat Cheikh Issa Sall, réputé être très proche du frère de la première dame. Il aura été celui qui a porté publiquement l’accusation selon laquelle Youm prépare un trésor de guerre pour aller à l’assaut de la Présidentielle de 2024. C’était en octobre 2019. Il disait : ‘’… Nous ne pouvons pas comploter contre quelqu’un qui tient des réunions nocturnes pour succéder à Macky Sall. Ceux qui sont dans des lobbies pour succéder au président, ils n’ont qu’à aller voir ailleurs. Nous n’avons qu’un seul leader qui s’appelle Macky Sall. S’il y a quelqu’un qui lorgne son fauteuil, qu’il cherche des soutiens ailleurs.’’
Malgré les dénégations du concerné, l’accusation ne semble pas être tombée dans l’oreille d’un sourd. Son juteux poste vient de lui être ôté pour être confié au dauphin présumé, mentor de son principal adversaire.
Par-là, celui qui était jusque-là présenté comme le patron de l’APR dans le département de Mbour, vient de perdre la bataille de la Petite Côte. Ancien directeur général de la Société nationale de recouvrement, ancien ministre des Collectivités territoriales, l’ancien directeur de cabinet était pourtant de tous les combats de l’Alliance pour la République.
Chef d’Etat très calculateur, méfiant contre tous, sauf son beau-frère, Macky Sall poursuit sa croisade contre ceux qui lorgnent son fauteuil. Quitte à amener Idrissa Seck à ses côtés pour tenter de brouiller toutes les pistes. Pour emprunter la métaphore du football chère à Abdoulaye Wade, il est comme un coach plaçant et sortant ses joueurs quand bon lui semble. Peu importe leur envie de continuer le match. Macky se veut le seul maitre du jeu. Il efface pour de bon tous ceux n’arrivent pas à s’adapter à son schéma.
Les victimes du président !
Outre Omar Youm, on pourrait citer le désormais ex-ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye. Maire de Linguère, il aura, lui aussi, été de tous les combats. Avalant toutes sortes de couleuvres pour son mentor politique, jouant au fusible parfait du président. Ministre de l’Intérieur depuis septembre 2017, Aly aura tout fait pour Macky. Il aura aidé à traquer l’opposition, diriger de main de maître le processus électoral. Premier flic de la République, il aura également été l’œil et l’oreille du président de la République sur l’étendue du territoire. L’ancien ministre en charge des Mines aura surtout joué un rôle primordial dans la victoire de son mentor, à la dernière élection présidentielle.
Reconduit une première fois à la tête du stratégique département, Aly Ngouille quittera finalement la station, au moment où certains s’y attendaient le moins. Mais à la différence de Youm, l’homme était un poids lourd politique, avant même son ralliement à l’Alliance pour la République, suivie de la fusion entre son mouvement et le parti présidentiel.
Aux côtés de ses responsables de la première heure, il y a aussi les cadres qui ont sacrifié leurs carrière très prometteuses et sans fioriture, au sein de l’Administration, pour aider le président à réaliser sa vision, aimaient-ils à répéter. Il s’agit notamment d’Amadou Ba et de Mouhamadou Makhtar Cissé.
Ancien directeur général des Douanes sous le régime Wade, le brillant avocat, inspecteur général d’Etat, acceptera de rejoindre pour la première fois un gouvernement en tant que ministre délégué au Budget. Par la suite, il a été promu directeur de cabinet, directeur général de la Senelec et enfin ministre du Pétrole et des Energies. Petit à petit, il a accepté de descendre dans l’arène politique. Avec lui, la majorité présidentielle a réussi à remporter pas mal de batailles électorales dans le bastion libéral du Walo.
Son parcours ressemble, à bien des égards, à celui d’Amadou Ba, ancien directeur général des Impôts et domaines sous le règne de Wade. Porté à la tête du ministère de l’Economie et des Finances, M. Ba s’engagera pour aider le camp présidentiel à renverser Khalifa Sall, aux Législatives de 2017 et à la Présidentielle de 2019. Dès le premier gouvernement de Macky 2, il passe de tout-puissant argentier de l’Etat au poste prestigieux, mais moins dangereux que constitue les Affaires étrangères. Déjà, ils étaient nombreux à y voir une volonté de l’affaiblir au plan politique.
Avec la dernière salve, Macky espère définitivement briser ses ailes en direction de la Présidentielle de 2024.
Fin stratège, le chef de l’Etat s’est toujours employé à les remplacer par d’autres pions, pour essayer de limiter les dégâts. C’est ainsi qu’il faut comprendre les cooptations dans le nouveau gouvernement d’Aissata Tall Sall. Cette dernière pourrait contenir la saignée provoquée par Amadou Ba au niveau de la famille omarienne ; d’Oumar Sarr qui tentera de limiter, dans le Walo, les conséquences du départ de Makhtar Cissé et, enfin, d’Aly Saleh Diop dans le Djolof, pour contre carrer Ngouille Ndiaye.
Ismaila Madior Fall, le cas d’école
Sa chute est restée dans les annales. C’était à l’aube du second mandat de l’actuel locataire de l’avenue Senghor. Rares étaient les observateurs à parier sur son départ. Lui qui s’était battu corps et âme pour la réélection de son candidat, et qui avait nettement contribué à la victoire du camp présidentiel à l’élection de 2019, dans son fief à Rufisque. Alors que tous ses partisans attendaient, à défaut d’une promotion, au moins un maintien, il fut rétrogradé sans aucun ménagement par la seule voix qui compte dans la République APR. De tout-puissant ministre de la Justice, Garde des Sceaux, il passe simple ministre d’Etat sans aucun portefeuille.
Depuis, l’homme a du mal à se relever. Pourtant, quel service n’a-t-il pas rendu à son chef ?
Artisan principal de l’acte 3 de la décentralisation, acteur clé du référendum et des modifications constitutionnelles de 2016, Ismaila Madior Fall n’a pas hésité à revendiquer fièrement d’être un tailleur de la haute couture constitutionnelle, au service de la République et surtout de son chef. Quand son heure arriva, ce dernier s’en débarrassa, sans aucune explication.
Jusqu’au moment où nous mettons ces lignes sous presse, il n’a jamais été dévoilé les raisons officielles de son départ. Il fut remplacé par Malick Sall, alors célèbre avocat et président fondateur du mouvement Macky pour tous, Tous pour Macky.