MACKY SALL, GÉRANT DES INTÉRÊTS FRANÇAIS AU SÉNÉGAL
Comment une nation dite indépendante peut-elle autoriser une armée étrangère néocolonialiste à avoir une base dans un endroit aussi stratégique qu’un aéroport, le plus important du pays ?
Conscient des indépendances factices octroyées par les anciennes puissances coloniales à nombre de pays africains qui étaient jusqu’alors sous leur domination, en véritable visionnaire, Frantz Fanon avait très tôt senti la mue du colonialisme en néocolonialisme et corrélativement la collaboration, la connivence et le consentement de certains dirigeants locaux à cette nouvelle forme d’exploitation. Si bien que, dans Les damnés de la terre – œuvre publiée en 1961, à l’aube des indépendances -, il mentionnait déjà les rôles néfastes que ces derniers jouaient dans le sous-développement de leurs pays et les désignait comme étant des courroies de transmission[1], des gérants des entreprises de l'Occident[2].
Au Sénégal, le président Macky Sall semble marcher à merveille dans le sillage de ces gérants des entreprises de l’Occident en général et de la France en particulier. Après entre autres – tant la liste est longue - les louanges des bienfaits du franc CFA pourtant combattu férocement par de nombreux militants patriotes et panafricains pour ses effets nocifs sur les économies des pays où il a cours ; l’octroi scandaleux à Total d’un contrat d’exploitation de pétrole ; la signature complaisante d’un autre contrat très onéreux pour la construction du TER qui est encore à quai, enseveli dans la poussière ; la gestion peu bénéfique pour le pays de l’autoroute à péage confiée à Eiffage, les immixtions fréquentes et irrespectueuses des différents ambassadeurs français dans nombre de nos affaires internes ces dernières années, etc. on croyait avoir atteint l’acmé de l’humiliation et de la soumission à la France. Que nenni ! Par la décision d’autoriser l’implantation de l’Escale aéronautique des Éléments français au Sénégal à l’aéroport international Blaise Diagne (400 militaires et civiles[3]) - euphémisme pour ne pas dire base afin d’éviter de choquer tant cette décision est scandaleuse -, le président Macky vient d’achever la mise en bière de notre souveraineté nationale en enfonçant le dernier clou dans son cercueil. Ce qui est encore plus choquant, c’est que cette infrastructure, inaugurée il y a quelques jours, a été réalisée par les Français eux-mêmes à en croire le site de Sputnik qui a publié l’information[4]. Dès lors – à moins que des surveillances et vérifications aient été faites de temps à autre lors des travaux, ce qui est peu probable - on peut ignorer ce qu’ils ont mis comme matériel d’espionnage et autres dans leurs locaux. Il faut se mettre en tête qu’il n’existe pas d’enfants de chœur en relations internationales.
L’une des principales questions que le bon sens doit pousser à se poser est la suivante : comment un pays dit indépendant peut-il autoriser une armée étrangère néocolonialiste - fût-elle soi-disant d’un pays ami et peu importent les accords de défense qui peuvent être évoqués - à avoir une base dans un endroit aussi stratégique qu’un aéroport, le plus important du pays ? Il n’y a presque que dans une ancienne colonie française en Afrique subsaharienne que peuvent se passer ces genres de choses ubuesques. C’est inimaginable de voir les Anglais en faire autant au Nigéria ou au Ghana ou les Portugais au Cap-Vert ou en Angola, quelle que soit la bonne santé des relations que ces pays entretiennent avec leurs anciennes métropoles, plusieurs décennies après les déclarations des indépendances officielles. Peut-être le président Macky Sall ignore-t-il le rôle névralgique d’un aéroport dans la souveraineté d’un pays. Cet endroit est si stratégique que, en cas de coup d’État, il fait partie de l’un des premiers lieux à être occupés par les putschistes avec la télévision nationale et de la radio afin de signaler leur prise du pouvoir et pour protéger le pays du monde extérieur. Notre président met encore une fois un couteau entre les mains de la France qui peut nous décapiter quand elle veut en déstabilisant le pays ou en faisant subir des chantages aux dirigeants, au sommet desquels le chef de l’État. D’aucuns – parmi le soutiens inconditionnels de ce dernier - pourraient dire que c’est juste un transfert d’un ancien aéroport (L.S Senghor) vers un nouveau (Blaise Diagne). Sans doutent ignorent-t-ils qu’un aéroport est l’une des principales portes d’entrée d’un pays et qu’il y a des informations essentielles pour sa sécurité et sa souveraineté que lui seul doit connaître et détenir même s’il peut exister des collaborations entre différents États pour le partage de certains renseignements. De plus, il n’existe presque plus grand-chose dans l’ancien aéroport contrairement au nouveau qui est bouillonnant d’activités et qui en pleine expansion.
Dans un État normal – si tant est que cela puisse y arriver - une telle décision, si importante pour la souveraineté du pays, ne peut pas être prise, à l’insu du peuple, en dehors du parlement ou de l’Assemblée nationale. Et elle est certainement précédée de longs débats très houleux. Mais au Sénégal, le président se comporte en monarque et sa majorité mécanique souvent en bétail, même dans le cas de prise de décisions défavorables au pays sans que rien ne se passe. Depuis le départ de Senghor du pouvoir, c’est sous le règne du président Macky Sall que le Sénégal s’est le plus aplati devant l’ancienne métropole. Pendant ce temps l’eau et l’électricité…manquent à l’appel ; la santé et l’enseignement boitillent, s’ils ne sont pas perclus, et des centaines de jeunes meurent dans l’océan pour fuir la misère qui prévaut dans le pays en essayant de rejoindre d’hypothétiques eldorados. Et l’État s’en fout royalement. Il détourne son regard ailleurs pour ne pas les voir parce qu’ils sont sa mauvaise conscience, les baromètres de la mauvaise gestion des affaires du pays, de la dilapidation de ses richesses et des nombreux détournements de deniers publics impunis. Le renouvellement scandaleux des accords de pêche avec l’Union européenne ces derniers jours – qui est une cause de l’émigration de nombreux anciens pécheurs - et l’aphasie qui règne au somment de l’État en sont des preuves certaines.
Ce qui est encore plus offusquant, c’est que certaines décisions très importantes pour la nation passent souvent par des médias étrangers – notamment français - avant que nombre de citoyens du pays en soient informés. C’est ce que déplorait ironiquement, il y a déjà longtemps, le très engagé Sembene Ousmane, qui ne nourrissait aucun complexe envers qui que ce fût : « Ce qui est vexant chez nous Africains, et particulièrement chez les politicards, c’est que nous faisons d’un secret de polichinelle une montagne de mystère. Dès qu’un journaliste européen se présente, nous nous précipitons pour tout lui raconter. Or, les Européens savent tout ce qui se passe en haut[5] ».
Au final, comme Mongo Béti, dans sa merveilleuse préface du temps de Tamango de Boubacar Diop[6], il y a lieu de se poser ces questions : « Jusqu'à quels insondables abîmes la domination française a-t-elle réussi à se frayer la voie au tréfonds de nos âmes ? Jusqu'à quel point nous a-t-elle détraqués en tentant de nous remodeler à sa guise ? (...) N'a-t-elle pas, en définitive, brisé en nous le ressort de toute survie dans la dignité, de toute ambition d'un salut collectif ? La question de la souveraineté du pays – surtout de son indépendance vis-à-vis de l’ancienne métropole - nous hantera tant et aussi longtemps qu’on refusera de l’aborder en face et courageusement. En tant que puissance déclinante, la France, frappée de plein fouet par la pandémie du Covid-19 et par d’autres crises l’ayant précédée fera tout pour enfoncer encore plus profondément ses griffes dans la chair de ses pays proies en Afrique pour mieux les tenir afin de leur sucer le sang, de les saigner davantage. Pour autant, elle n’avance pas masquée. Sa position et ses agissements nous font juste voir qu’il y a de nombreux collaborateurs dans nos pays et nous font surtout comprendre, pour ceux qui en sont conscients, que «Les limites de la tyrannie s'établissent en fonction de l'endurance des opprimés,» comme le disait Frederick Douglas[7].
[1] Frank Fanon. Les damnés de la terre, p.149
[2] Ibid. p. 150
[3] https://fr.sputniknews.com/afrique/202011171044786225-senegal-larmee-fra...
[5] Sembène Ousmane, Le dernier de l’empire, p.207
[6] Boubacar Boris Diop,: Le Temps de Tamango, p.6, Préface de Mongo Béti
[7] Frederick Douglas, cité par Christiane Taubira dans L’esclavage raconté à ma fille, p.86