CHRONIQUE POUR UN AMI CHRONIQUEUR DISPARU
Au-delà du cinéma, Ngaïdo était à l’aise aussi bien dans les arts plastiques que dans la musique, la littérature, le théâtre, la danse… Il était multidimensionnel
Un Monument de la culture
Le grand monsieur qui vient de nous quitter était un monument de la Culture. Même s’il a été pendant longtemps le président de l’Association de cinéastes du Sénégal (Cineseas) fondée entre autres par l’illustre Mahama Johnson Traoré, « DG » n’a pas à son actif une filmographie très riche. « Arrêt Car », « Khew-Khew » et « Réwo Daandé Maayo » : voilà à peu près à quoi elle se résume. Mon éminent confrère Pape Samba Kane alias Papisko, qui l’a connu bien avant moi du temps où lui-même était dans le cinéma, m’a raconté comment ce qui devait être l’œuvre de la vie de Ngaïdo, « Kattan », une superproduction dont tous les éléments étaient réunis pour en faire un grand succès, n’avait en définitive pas pu voir le jour… J’espère que, pour l’Histoire, il racontera ce grand moment. Au-delà de la pauvreté apparente de ses réalisations, l’homme arraché à notre affection dimanche connaissait le septième art au point que, dans tous les cénacles de cinéastes où il s’exprimait, on l’écoutait avec révérence. C’était particulièrement vrai en Afrique où, de Ouagadougou à Carthage, il était dans son élément. C’est donc sans surprise qu’il a toujours joué les grands rôles au sein de la Fepaci, la Fédération panafricaine des cinéastes. Au-delà du cinéma, Ngaïdo était à l’aise aussi bien dans les arts plastiques que dans la musique, la littérature, le théâtre, la danse… Il était multidimensionnel. C’était une véritable encyclopédie qui maîtrisait sur le bout des doigts tous les textes régissant le secteur culturel depuis l’accession de notre pays à l’indépendance. Plus généralement, Cheikh Ngaïdo Ba était une sorte de mémoire du pays en ce sens qu’il pouvait vous entretenir de l’essentiel des événements ayant rythmé le cours de notre jeune Nation. De ce point de vue, une chose me fascinait en lui : sa capacité à conserver des documents qui en faisait un véritable archiviste. Il gardait tous les tous les journaux, tous les livres qu’il achetait ou qu’on lui offrait et il suffisait qu’on lui dise qu’on cherchait un document pour qu’il le mette à disposition. Sa mémoire des hommes et des événements était phénoménale et c’était toujours un plaisir de l’entendre parler de l’histoire du Sénégal et de Navarre d’ailleurs. Car, il connaissait aussi la France dont il appréciait la culture et il n’était jamais aussi à l’aise que dans Paris ont il connaissait les moindres recoins, particulièrement le Quartier Latin avec une prédilection pour les cafés « Flore » et « Deux magots ». Bref, il était aussi bien Français que Sénégalais et participait d’ailleurs chaque mois au dîner des vieux Français de Dakar. Dandy et épicurien, Ngaïdo était une figure de Dakar au même titre que, par exemple, son ami Issa Samb Jo Ouakam ou Mamadou Traoré Diop voire ses « grands » Ndiawar Sow, Mame Less Dia ou Me Ogo Kane Diallo, pour ne citer qu’eux…
Gauchiste caviar
Cet homme qui adorait les costumes de bonne coupe, les nœuds papillon ou les cravates griffées fut pourtant dans une autre vie un militant maoïste, pendant la dure période de la clandestinité lorsque des jeunes gens et des jeunes filles idéalistes avaient entrepris de s’opposer au régime alors très répressif du président Senghor. Il fut notamment proche de la mouvance qui incendia le centre culturel français dans les années 70, à la veille d’une visite du président Georges Pompidou à Dakar. Puis il se rapprocha du président-poète, dont le fils Francis Arfang devint un de ses meilleurs amis en même temps que Jacques Césaire, fils du héros de la Martinique, le grand poète Aimé Césaire. Lorsque je l’ai connu, il faisait partie de l’aile qui tentait une improbable réforme du Parti socialiste sous la houlette d’intellectuels marxistes comme le philosophe feu Babacar Sine, qui théorisait alors un « compromis historique » version sénégalaise, Abdourahim Agne et Assane Diagne, venus du mouvement trotskiste, ou encore le philosophe Abdoulaye Elimane Kane. Quant à l’autre philosophe, Dr Cheikh Tidiane Dièye, bien que professant des idées de gauche, il n’en était pas moins un pur produit du Parti socialiste. A cette époque, Ngaïdo était sur tous les fronts, de toutes les confrontations d’idées pour défendre la « Rénovation » et l’ « Ouverture » si chères à Ousmane Tanor Dieng pour lequel il avait une admiration proche de la vénération. « Tanoriste » de choc, il le fut sans complexe. Il fit partie de l’équipe qui animait « Le débat », le journal des rénovateurs socialistes, à la tête de laquelle se trouvait Cheikh Tidiane Dièye. Bien que, par la suite, il se soit rapproché de la Première dame Viviane Wade après la chute des socialistes, Ngaïdo n’en a pas moins continué à entretenir des liens très forts avec Ousmane Tanor Dieng. Des liens qui ne se sont pas distendus jusqu’à la disparition de l’enfant de Nguéniène.
« Mackyiste tout feu, tout flamme »
Depuis 2012, il était « mackyiste » tout feu tout flamme, défendant avec passion et intelligence toutes les réalisations de l’actuel président de la République. Lequel a fait de lui un conseiller économique, social et environnemental. Sur proposition du monde de la culture, il est vrai. Il n’empêche, Ngaïdo a considéré, et c’est vrai, qu’il devait cette nomination au président Macky Sall dont il n’a eu de cesse de magnifier la politique culturelle, mais pas seulement. C’est dans ce cadre, d’ailleurs, que s’inscrit la chronique qu’il animait depuis des années dans « le Témoin » et qui n’avait d’autre but que de sublimer les actions du président de la République. Beaucoup de personnes — des dizaines — m’ont demandé de supprimer cette chronique, mais j’ai tenu bon estimant qu’il faut respecter tous les points de vue. En tout cas, l’animateur prenait son travail à cœur, ne manquant jamais son rendez-vous hebdomadaire… sauf les 24 et 31 décembre dernier. Il fallait voir avec quelle application et quel enthousiasme juvénile il préparait sa chronique, rassemblant frénétiquement des documents, s’enfermant pour écrire des heures durant avant d’emmener le tout à la saisie, surveillant la claviste pour veiller à ce que le travail soit bien fait ! Puis, invariablement, il m’envoyait un message pour me dire : « texte bien parti, PDG ». Après quoi, il appelait le soir pour vérifier si je l’avais bien reçu dans mon mail et en profiter pour me signaler d’éventuelles coquilles… le lendemain, il l’expédiait à toutes ses connaissances !
Adepte de la dolce vita, il était la générosité incarnée !
C’est sa fidélité amitié. Ces 30 dernières années, il a fait partie de mes deux ou trois meilleurs amis. C’était mon confident, mon complice. Il était présent à tous mes événements, qu’ils soient heureux ou malheureux. Bon vivant, il prenait les choses du bon côté et se moquait du qu’en-dira-ton. C’était un esprit libre qui s’assumait. Et quelle générosité ! Je l’ai vu dans le creux de la vague, au lendemain de l’alternance de 2000, lorsqu’il a été lâché par presque tous ses amis. Il a alors traversé des moments très difficiles auxquels sont venus se greffer des soucis de santé, des problèmes à la hanche qui ont fait qu’il boitait, se déplaçant difficilement avec une canne et ne pouvant même pas monter les escaliers de sa maison. Son salut était venu du Roi du Maroc, Sa Majesté Mohamed VI qui, par le biais de son conseiller Mohamed Khabaschi, qui fut chef du bureau de la MAP (Maghreb Arab Press) à Dakar avant de diriger cette grande agence à Rabat, l’a fait opérer à l’hôpital Mohamed V de Rabat par son médecin personnel. Une opération complexe, coûteuse qui avait permis à Ngaïdo de retrouver l’usage de sa jambe. Quoi d’étonnant à ce qu’il ait fait partie des initiateurs du Comité d’initiative des intellectuels africains pour le retour du Maroc à l’Oua ? Durant cette traversée du désert, Ngaïdo a pu aussi compter sur le soutien de quelques rares amis comme le président de l’Association des écrivains du Sénégal (Aes), Alioune Badara Bèye qui, alors président du comité d’organisation du Fesman, avait fait de lui un conseiller spécial avec un bon salaire à la clef. Ces dernières années, la roue de la fortune avait tourné dans le bon sens pour mon ami « DG ».
Non seulement il était au Cese, non seulement il percevait une indemnité au Contan (Comité national pour la transition de l’analogique au numérique), non seulement il siégeait au conseil d’administration de Télédiffusion du Sénégal (TDS) mais encore il avait obtenu un permis minier par le biais d’un ami généreux dont je préfère taire le nom. Des investisseurs français l’avaient approché avec lesquels il s’était associé. L’argent coulait. C’est là où j’ai vu un homme généreux qui ne cessait de faire des transferts d’argent toutes les fins du mois ou à la veille des fêtes religieuses souvent à des gens qu’il connaissait à peine. Dans le lot, beaucoup de retraités à propos desquels il me disait ne pas comprendre comment ils arrivaient à survivre avec leurs pensions misérables. En plus de cela, tous les jours, au « Saint-Louis », c’était un défilé permanent de gens qui venaient chercher un appui et qui ne repartaient jamais bredouilles. Parfois, il lui arrivait de vider son compte bancaire pour satisfaire des sollicitations. Quant à moi, ces dernières années, il n’a jamais, jamais accepté que je paye mes repas au « Saint-Louis ». Et quand, en son absence, je payais quand même, il tenait à me rembourser s’il était mis au courant. C’est cet homme d’une générosité rare, ce grand Monsieur à la vaste culture, ce dandy qui croquait la vie à belles dents, ce témoin privilégié de la vie du Sénégal de ces 40 dernières décennies, qui vient de nous fausser compagnie. Que le bon Dieu le rétribue à la mesure de sa générosité ici-bas. Adieu DG ou, plutôt, honorable sénateur !
Post scriptum : J’ai choisi le jeudi, un jour qui comptait tant pour lui puisque étant celui de la parution de sa chère chronique, pour rendre hommage à Ngaïdo. Un hommage en guise de chronique pour ses lecteurs, donc. J’espère qu’il appréciera de là où il est…