AUX ORIGINES SÉNÉGALAISES DE YOUSSOUPHA, CIBLE DE L'EXTRÊME DROITE FRANÇAISE
Auteur de l’hymne de l’équipe de France de football pour l’Euro 2020, le rappeur est attaqué par l’extrême droite française qui lui reproche d’anciens textes contre Marine Le Pen et Eric Zemmour
Auteur de l’hymne de l’équipe de France de football pour l’Euro 2020 (11 juin au 11 juillet 2021), le rappeur Youssoupha est attaqué par l’extrême droite française qui lui reproche d’anciens textes contre Marine Le Pen et Eric Zemmour. Installé aujourd’hui en Côte d’Ivoire, l’artiste français s’est toujours réclamé et déclame sa culture sénégalaise héritée de sa grand-mère, une saint-louisienne qui l’a éduqué d’une main de poigne. Retour aux origines bercées par le fleuve Sénégal.
De sa grande maison d’Abidjan où il a désormais choisi de vivre, le rappeur français Youssoupha s’attendait peut-être à la tentative de levée de bois vert qui a accompagné la mise en ligne, mercredi, par la Fédération Française de Football du clip de « Écris mon nom en bleu », un titre qu’il a composé et interprété pour accompagner la France à l’Euro 2020. L’extrême droite française est vent debout contre lui pour avoir chanté en 2007 : « J’mélange mes fantasmes et mes peines. Comme dans c’rêve où ma semence de nègre fout en cloque cette chienne de Marine Le Pen« , entre autres
Né à Kinshasa à l’époque où ce pays d’Afrique centrale s’appelait encore le Zaïre et était considéré, pour ses immenses richesses minières, comme « un scandale géologique ». Mais rien ne paraît scandaleux ni dangereux dans l’apparat encore moins dans la mine joviale de Youssoupha.
La dégaine nonchalante, d’énormes lunettes de marque barrent son visage dont seul le sourire immaculé de blanc apparaît. La casquette est bien vissée sur la tête pour tenir en respect des dread-locks en pétards. Mais l’homme est beaucoup plus profond et complexe que ce tableau. Jeune quadra (41 ans), il se définit à la fois comme Français d’adoption, Congolais de naissance et Sénégalais de culture grâce à sa maman et mais surtout à sa grand-mère. Tout cela à la fois sans pour autant qu’il ait prééminence d’une culture sur l’autre, « enfin, ça dépend des jours ! » précise-t-il malicieusement.
Sénégalais par transmission
Mais de son enfance, il garde des souvenirs impérissables qui se résument à un nom Siby Ndiaye. « Ma grand-mère, la matriarche est une sénégalaise qui venait de la ville de Saint-Louis. En se mariant, elle est venue vivre à Kinshasa ». Une grand-mère très attachée à ses racines et à sa culture sénégalaise qui « nous a élevé autant ma maman que moi-même, par la suite, avec les références de cette culture. A tel point qu’on nous appelait les Ndingari (c’est le nom qui est donné aux populations ouest-africaines dans l’ex-Zaire, ndlr).
Une éducation qui a pour conséquences de percevoir le Sénégal à travers le prisme idéaliste de Siby Ndiaye pour ses origines. Mais comme dans tout fantasme, la réalité est parfois différente. « Quand je suis allé au Sénégal pour y tourné le clip « Ma destinée », qui est dans le deuxième album, j’y ai retrouvé une partie des références de ma grand-mère. C’est peut-être parce que j’étais à Dakar, mais la tradition, le respect et la pudeur érigés en valeurs cardinales était un fantasme dans l’esprit de ma grand-mère. J’ai découvert Dakar très extraverti, très exagéré. En gros tout ce que ma grand-mère n’aimait pas chez les congolais, le côté m’as-tu vu, le bling-bling et autres, je l’ai retrouvé à Dakar ».
Pour les besoins du tournage d’un documentaire, il a fait le voyage Paris-Dakar en voiture. « Ce fut l’occasion de découvrir Saint-Louis, j’étais marqué par l’architecture de la ville, les souvenirs de l’époque coloniale ce qui n’enlève pas une identité purement africaine à la ville ». A 13 ans, il quitte Kinshasa et le cocon familial pour rejoindre une tante en France afin d’avoir une meilleure scolarité.
Arrivée au rap sur un quiproquo
Après de brillantes études scolaires couronnées par la « meilleure note à l’oral de français de l’académie de Versailles. C’était plus qu’une fierté parce que certains de mes profs pensaient que je n’étais pas fait pour les études littéraires. Ils me dirigeaient plutôt vers des voies de garages. Je suis passionné d’écritures et de lettres depuis que je suis tout petit ».
Alors qu’il était en train de terminer son cursus universitaire avec diplômé en communication, il s’est lancé comme un défi de laisser une trace en sortant quelques chansons de rap. « Contre toute attente, ce projet a très bien marchait alors que ma recherche de travail marchait très mal ».
Aujourd’hui Youssoupha est une valeur sûre du rap français et il tire de sa formation littéraire et en communication un plus pour son art. C’est le cas avec l’utilisation reconnue des punshlines (les lignes percutantes, ndlr): une phrase choc composée de rimes et qui a pour but, une fois entendue, de rester dans la tête. C’est également le cas lors d’une plainte du journaliste et polémiste français Eric Zemmour pour « menace de mort » pour se poser désormais en défenseur contemporain de la négritude. « L’homme noir lève toi, regarde autour de toi et pense à prendre ta place dans ton cadre, ton univers » reprend t-il le refrain en bantu de Staff Benda Bilili dans le morceau éponyme de Noir D, son album sorti en 2012.
« On m’a stigmatisé et distingué à cause de ma couleur de peau, constate Youssoupha. Pour me réhabiliter je fais la démarche inverse. C’est ce que je veux montrer avec cet enfant noir qui porte des ailes noirs, un côté angélique pour la photo de la pochette de son album ». Un album qui n’avait, comme les suivants, pas besoin d’ailes pour s’envoler en tête du classement des meilleures ventes en France. Depuis 15 ans, il culmine sur le rap français et cette polémique orchestrée par l’extrême droite française semble ne l’avoir pas ébranlé. Il n’a pas, pour l’instant, pris la parole. Certainement dans sa tête, l’une des maximes de sa grand-mère Siby Ndiaye doit résonner : « il faut faire pleurer ton fils avant qu’il ne te fasse pleurer ».