NOUVEAU CODE DES DOUANES, MODE D'EMPLOI
APRÈS SON ADOPTION EN CONSEIL DES MINISTRES, LE TEXTE CONSENSUEL ATTERRIT À L’ASSEMBLÉE
Fini le temps où, pour un oui ou un non, l’opérateur économique était envoyé en prison par une douane toute-puissante contre les agissements de laquelle même le juge était lié. Le nouveau Code des douanes mise sur la confiance et prône le partenariat avec le monde de l’économie. Il a été élaboré sur une base très consensuelle. Le Témoin vous l’invite à en découvrir les grandes lignes…
Ne comptant pour l’essentiel que sur les recettes fiscales et douanières pour remplir ses caisses, payer les salaires de ses fonctionnaires, rembourser sa dette et financer les projets de développement, l’Etat du Sénégal ne cesse de mettre la pression sur ses régies financières. Plus particulièrement sur la Direction générale des Impôts et Domaines ainsi que sur l’administration douanière dont les objectifs de recettes sont, année après année, revus à la hausse. S’agissant des soldats de l’économie, par exemple, comme une mission de commandement, la barre est placée toujours plus haut, obligeant les douaniers à se surpasser sans cesse dans la collecte de recettes.
Dans ce corridor de liquidation de droits et taxes, transitaires réticents et opérateurs économiques hésitants rivalisent d’ingéniosité pour contourner la rigueur douanière. Et comme si cela ne suffisait pas, la morosité de l’environnement économique n’est pas pour arranger les choses pour les gabelous. Mesurant cette température de « méfiance » durable entre opérateurs économiques et elle, et dans un contexte où l’administration douanière et les usagers sont appelés à travailler dans un climat de confiance, c’est-à-dire sain et sécurisé, l’ancien directeur général des douanes, M. Makhtar Cissé, actuel ministre du Budget, avait décidé, sur instructions de l’Autorité politique, de réformer notre bon vieux code des douanes.
Une réforme initiée certes par la douane mais soutenue par les pouvoirs publics en parfaite collaboration avec tous les acteurs du secteur privé et partenaires du développement. Justement, cet immense projet gagnant-gagnant est en passe de devenir réalité. En effet, c’est avec une satisfaction visible que le ministre de l’Economie et des Finances, M. Amadou Bâ, a présenté le projet de loi portant nouveau Code des douanes au président de la République. C’était la semaine dernière et ledit projet a été adopté dans cette instance se réunissant tous les jeudis autour du chef de l’Etat. Compte tenu de son caractère consensuel et inclusif, il ne fait l’ombre d’aucun doute que ce nouveau Code des douanes sera voté à l’Assemblée nationale.
Et à l’unanimité puisqu’aux yeux de tous les observateurs, c’est le « code des douanes » le plus consensuel du Sénégal indépendant. Consensuel ? Le mot n’est pas exagéré puisque le processus ayant mené à l’adoption de ce code a été très long avant d’aboutir à la mouture définitive adoptée la semaine dernière par le Conseil des ministres. Car, depuis l’installation d’un comité de pilotage (décembre 2010), l’administration des douanes réunissait régulièrement autour d’une table tous les acteurs de l’économie et les partenaires au développement. À cet effet, plusieurs séminaires et conférences avec le patronat, les transitaires, les commerçants, les immigrés, les opérateurs économiques, les industriels et les transporteurs ont été organisés pour l’élaboration du nouveau code douanier.
Sans compter les séminaires scientifiques regroupant les avocats, les magistrats, les officiers de police judiciaire, les banquiers, les notaires, les huissiers et autres experts. Il ne manquait que les grands contributeurs à l’économie nationale que sont les entreprises de presse pour que le tour fût complet ! Plus sérieusement, même une mission d’assistance du Fonds monétaire International (Fmi) avait été associée à ce processus de reforme pour le rendre plus transparent, participatif et consensuel. « C’est un code des douanes vraiment consensuel ! Mieux, il renferme des avancées notables au profit des transitaires que nous sommes. D’ailleurs, ce qui est le plus intéressant pour nous dans ce projet, c’est que le code a su dissocier finalement le transitaire ou déclarant en douane de l’entreprise. Il a défini les responsabilités de chaque entité en cas de contentieux…
Souhaitons seulement qu’il sera voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale » se félicite M. Makhtar Diallo, président de l’Union Sénégalaise des Entreprises de Transit et de Transport Agréées (Usetta). Interpellés sur ce nouveau code des douanes, presque tous les membres influents du Conseil National du Patronat du Sénégal ont abondé dans le même sens, c’est-à-dire l’ont approuvé. En effet, pour ces patrons, en particulier, et les chefs d’entreprises, importateurs et transitaires en général, le futur « ancien » code constituait une véritable guillotine pour les opérateurs économiques. Parce que ses lacunes et ses faiblesses ne profitaient qu’au Trésor public. Mieux, aux yeux des douaniers s’inspirant de l’ancien code, tout importateur ou transitaire était présumé… coupable dès le départ. Et impossible d’échapper à une lourde condamnation judiciaire dès lors qu’on était épinglé. Pis, c’était à l’opérateur épinglé — souvent sur la base d’aucune preuve ! — de prouver son innocence !
C’est pourquoi, entre autres raisons, la réforme de ce code inique a été initiée dans le souci de remédier au déséquilibre constaté entre les avantages consentis par le Code des investissements aux gens souhaitant mettre leurs billes dans notre pays, plus généralement pour améliorer l’environnement des affaires, et les besoins financiers en augmentation constante de l’Etat. Autrement dit, comment faire pour avoir un Code des douanes qui facilite la tâche aux opérateurs économiques, ne les jette pas en prison pour un oui ou un non — une pratique reléguée au rayon des vieux souvenirs durant tout le temps que M. Makhtar Cissé a passé à la tête de l’administration douanière — tout en permettant d’augmenter les recettes de l’Etat ? Telle était la question aux allures de quadrature du cercle que devait résoudre le nouveau code douanier.
De façon générale, « Le Témoin » est en mesure de vous révéler que les réformes proposées dans le futur code des douanes concernent deux grands aspects : le cadre organisationnel, les procédures et les régimes douaniers ainsi que les règles du contentieux douanier. Justement, c’est le contentieux douanier qui intéresse le plus les transitaires et les opérateurs économiques, eux dont quelques éminents membres ont été broyés sous le rouleau compresseur de la puissante machine douanière dans les années 80 et 90. En effet, combien d’opérateurs économiques ont été envoyés en prison et lourdement condamnés, combien d’entreprises ont été obligées de mettre la clef sous le paillasson à la suite de contentieux avec la douane ?
Des dizaines sans doute. Une machine répressive qui s’emballait depuis 1960 à l’image d’un règlement militaire « Article 1 : Le chef a raison. Article 2 : Si le chef a tort, voir Article 1 ». Vous voyez ! Aussi bien pour l’ « Article 1 » que pour l’ « Article 2 », le chef douanier a toujours eu raison sur le pauvre transitaire ou le commerçant présumé fraudeur. Paradoxalement, c’est cette « injustice » qui faisait que le code douanier était exorbitant du droit commun que les autorités douanières elles-mêmes ont entrepris de corriger dans ce nouveau code des douanes. Et ce pour permettre à chaque partie d’user de ses moyens de défense. Et de sauvegarder ses intérêts. À preuve, l’obligation légale de décerner le mandat de dépôt contre les usagers fraudeurs a été réaménagée. Car avec le nouveau code des douanes, le seuil de déclenchement a été réajusté à la hausse.
En effet, le montant exigé des marchandises a été porté à 10 millions cfa contre 2,5 millions fcfa auparavant. Cette même logique a provoqué une souplesse relative à la mainlevée du mandat de dépôt. Lequel était obligatoire sous l’ancien code. Comme quoi, la demande de liberté provisoire ne devra être refusée par le juge que lorsque la valeur des marchandises fraudées atteint 10 millions cfa. Alors que dans le code dont on espère qu’il vit ses derniers jours, le transitaire ou le commerçant alpagué par la douane peut mourir en prison pour un contentieux d’une valeur de… 2,5 millions cfa. Mieux, dans d’autres cas, le nouveau Code des douanes offre une possibilité de cautionnement pour pouvoir bénéficier d’une mainlevée ou d’une liberté provisoire.
Dis donc ! Le nouveau code présenté par le ministre de l’Economie et des Finances, M. Amadou Bâ, est tellement appétissant et encourageant qu’au cours de son élaboration, les transitaires et les opérateurs économiques se payaient l’audace de vouloir augmenter davantage le montant du seuil de « Rebeuss » à 20 millions fcfa. Faut pas exagérer, voyons, cette proposition ne semblait pas raisonnable puisque les douaniers étaient convaincus qu’un tel montant allait encourager une fraude commerciale à grande échelle. Surtout dans un contexte où l’économie nationale a besoin d’être protégée et accompagnée en particulier par une douane appelée à sécuriser les recettes et défendre les intérêts du Trésor public. Cela dit, l’administration des douanes a accepté de prendre en compte désormais « l’intention » et la « bonne foi ». Autrement dit, l’importateur ou le transitaire « n’ayant pas intention de frauder » peut échapper à la répression. Surtout quand le commerçant déclare, en toute bonne foi, du tissu « légos » à la place du « bazin ».
Après plusieurs années d’application jalonnée de contestations de la part des usagers, le code des douanes devait impérativement être mis à jour ! Et ce, au regard de l’évolution des missions de l’administration des douanes et de l’impératif de facilitation des échanges commerciaux à l’échelle mondiale. A l’arrivée, un nouveau code des douanes consensuel. Qui passera, sans doute, comme lettre à la poste devant la Représentation nationale !