DAKAR, MENACE D’UN TSUNAMI DE POTO POTO
EXCLUSIF SENEPLUS - L’habitat n’est plus tributaire seulement des activités concentrées dans la capitale mais plutôt l’objet d’une spéculation foncière et immobilière abusive, aux élans parfois mafieux
Liiy raame ! Rubrique des avatars de la société sénégalaise.
Liiy raame est une série d’articles ciblés qui mettent en exergue, alertent et ouvrent le débat sur toutes perpétuelles irrationalités et menaces sur notre société, afin que nul n’en ignore et que soit injecté du stress utile en ceux à qui revient la tâche d’apporter les solutions. J’ouvre cette rubrique par le problème de l’assainissement de notre chère capitale.
Commencer la rubrique par l’assainissement n’est pas un hasard, cela est dû à la bonne mémoire d’amis de longue date, qui à la vue des inondations d’eaux-vanne qui se déversent continuellement dans les rues à la moindre tombée de pluie, m’appellent pour me rappeler que quarante ans auparavant je leurs faisais part de mes inquiétudes, quant à la capacité du réseau d’assainissement à répondre à la croissance soutenue de l’habitat en hauteur à Dakar. Ils se demandaient alors pourquoi tant d’insistance de ma part sur ce sujet. Il y a quarante ans je ne pensais pas à la publication d’articles, je partageais tout simplement mes opinions avec mes amis et parents, aujourd’hui je les divulgue. C’est le pourquoi de la priorité donnée à ce sujet.
Poto poto est un terme qui est aujourd’hui inconnu de plusieurs jeunes dakarois d’une quarantaine d’années environ. Il faut donc leur faire savoir que des années cinquante aux années soixante, il n’y avait pas encore de réseau collectif dans la Médina et seulement peu de camions hydrocureurs disponibles pour vider les fosses des habitations. Alors le long des chaussées de la ville et à la limite de celles-ci avec les bordures de trottoirs parties intégrantes du dispositif d’écoulement des eaux, étaient drainées eaux de surfaces et eaux usagées. Elles formaient une boue noirâtre et pestilentielle dans laquelle pataugeaient souvent des canes et leurs canetons. Ce décor nous était familier alors jeunes, parce qu’on jouait au ballon sur la chaussée et malgré tous nos efforts pour éviter cette saleté notre petit “casa*” allait parfois y terminer sa course. Heureux donc aujourd’hui de pouvoir dire que les jeunes ignorent ces situations de déficit infrastructurel, cela prouve que des investissements ont été faits au fil du temps par les gouvernants, pour doter la capitale de réseau collectif convenable.
Indices de vulnérabilité du réseau et menaces futurs de tsunamis de poto poto
Convenable ! Le réseau ne l’est plus depuis belle lurette. Une politique improvisée d’urbanisation de la capitale imposée par une croissance exponentielle de la population urbaine depuis les années 70-80, est passé par là. Une explosion soudaine de réalisation de logements entraînant une forte augmentation des surfaces imperméabilisées à partir des années 80, sous l’effet d’une nouvelle politique immobilière articulée autour d’une dynamique banque de l’habitat, a mis en exergue les limites du réseau primaire unitaire d’antan. Un problème qu’a connu d’ailleurs beaucoup de villes de l’occident dans les années 70 ayant conduit à une séparation des égouts d’eaux de vannes et d’eaux de pluies. Pour nous, il fallait s’attendre au pire avec l’attractivité croissante de la capitale et des phénomènes nouveaux que cela allait entraîner. Aujourd’hui on y est. L’habitat n’est plus tributaire seulement des activités concentrées dans la capitale mais plutôt l’objet d’une spéculation foncière et immobilière abusive, aux élans parfois mafieux, entretenue par une caste hétérogène d’hommes d’affaires autochtones et étrangers, d’hommes politiques, de fonctionnaires, qui rivalisent en somptuosité dans l’édification de tours et buildings de plus de dix étages. Lesquels buildings malheureusement n’étaient pas envisagés et pris en compte lors du dimensionnement du réseau unitaire existant. Ce qui fait qu’aujourd’hui à la moindre pluie, des torrents d’eaux boueuses pestilentielles giclent de tous les regards et grilles d’égouts exutoires pour inonder les chaussées de la ville, avec leurs cortèges de désagréments causés aux populations. Pire encore ! Des habitants de quartiers comme Colobane et les HLM 5 et 4 reçoivent des reflux de ces déchets d’épuration dans leurs propres maisons, par le biais des regards intérieurs ou des receveurs de douche et cuvettes de toilettes. C’est intolérable ! Mais ils ne peuvent rien face à cette situation récurrente, sinon d’attendre que les services de l’Onas décantent des collecteurs publics auxquels ils sont les seuls à avoir accès. Pendant ce temps, au cœur même de la capitale, la population ne peut se déplacer sans se boucher le nez et immanquablement patauger dans ces eaux saumâtres. Peut-on continuer à aggraver cette situation en autorisant davantage l’agglomération de tours comme si de rien n’était, sachant que pour une conduite prévue pour une maison d’une famille, la construction en hauteur lui en impose vingt ou plus.
Imaginez donc ! Si aujourd’hui on en est déjà à des inondations sur chaussée, ce qui risque de nous arriver dans peu d’années, si rien n’est fait. Un tsunami de poto poto et toutes les difficultés du monde à combler le gap dimensionnel entre le réseau existant et les normes exigées par ces nouveaux modèles d’habitat.
Liiy raam...! Jog ci ! Il n’y a de problème qui ne désire de solution
Dans l’espoir que des autorités plus avisées que moi apportent des solutions idoines, je me permets sans aucune prétention de ma part, une suggestion au ministre de l’Urbanisme.
Il y a des principes de droit civil et de droit d’urbanisme et immobilier tels que, la servitude non altuis tollendi, le plafond légal de densité (PLD) et le coefficient d’occupation du sol (COS), qui permettent de façonner un bon cadre de vie et ils existent dans notre législation. À mon humble avis, il faut les remettre au goût du jour et les appliquer avec rigueur pour aider à, non seulement limiter l’aggravation de ce problème d’assainissement, mais également impacter positivement sur la spéculation foncière. Acheter un terrain à raison d’un million de francs le m2, chose courante dans des quartiers où la viabilisation laisse à désirer, n’est tout d’un coup devenu intéressant que parce que les verrous légaux et réglementaires de régulation ont sauté, laissant libre cours aux spéculateurs, qui s’en donnent à cœur joie.
Monsieur le ministre, de grâce liiy raame...jog ci.
* expression ouoloff qui exprime une menace rampante.
* Petit ballon en caoutchouc de la taille d’environ 2x une balle de tennis.