LA RÉPUBLIQUE QUI CHANTE
CINQUIÈME ANNIVERSAIRE DE L’APR
Du bonheur dégressif à la désespérance rampante, les Sénégalais font, depuis bientôt vingt mois, l’amère expérience de goûter à toutes les saveurs du régime. C’est tout le cocktail que nous a servi l’APR pour célébrer son cinquième anniversaire. Flash back ! Au soir du 25 mars 2012, quand le déchu Président Wade appelle, l’heureux élu Macky Sall pour le féliciter de sa victoire, les Sénégalais se souviennent de l’adage : l’erreur vient des oreilles, mais la vérité provient de l’œil. A preuve ! Lors de la prestation de serment du nouveau Président, ils croient rêver. Rebelote. Les mêmes scènes d’insolente jouissance défilent comme dans un film de mauvais goût. Les thuriféraires de la cour reprennent du service. La famille, les reproches, les alliés de circonstance, les taverniers et les hobereaux venus des lointains terroirs, sycophantes hier, zélateurs aujourd’hui se fondent dans les mêmes délires.
Et pourtant, le message du nouveau Président tranche d’avec ces extravagances. Il nous enseigne la sobriété et l’humilité. Nous instruit l’endurance, le goût de l’effort, l’obstination au travail, l’obsession pour l’efficacité. Mais surtout, l’éthique et la science du bien, la bonne gouvernance, les ruptures. Pour nous, et pour beaucoup d’autres, le livré ne relevait pas de la rhétorique simple ou de l’exercice de style. Il y avait une telle sincérité dans la délivrance, une si grande solennité, que seuls les forcenés du pessimisme en resteraient impénétrables. Malheureusement, depuis, l’œil et le vécu ont eu raison des oreilles. Les « forcenés », avaient vu juste. Le décor planté, une fois le faste passé, a révélé la triste réalité d’un régime hélas « normal.» Plus « normal » encore que ceux qui l’ont précédé. Discours fleuri dans un désert de réalisations. Asymétries entre l’énoncé et les faits. Etat patrimonial avec l’élargissement à l’envi des zones de privilèges et des non-droits. Justice sélective. Incontinence professionnelle, autoglorification, inefficacité et déclassement politique et démocratique. Et le tout mâtiné, comme d’habitude, dans une vaste opération de recyclage des transhumants, et autres dinosaures, qui n’ont du pouvoir qu’une vision hédoniste et jouissive. Car cette « normalité » là, synonyme d’énurésie, est justement celle que les Sénégalais ont voulu bannir en débarrassant le Sénégal du clan Wade.
Tonton flingueur
La célébration du cinquième anniversaire de l’APR est le condensé vivant et vibrant de cette « normalité-là.» Si le président Macky Sall n’est pas choqué par cette triste image de Moustapha Cissé Lô jetant à tour de bras des billets banque comme une pluie de confettis, que faudrait-il alors faire pour le réveiller de cette torpeur coupable ? Jusqu’où faudra-t-il que ses partisans aillent dans l’indécence, le mépris et l’indifférence pour qu’il dise enfin basta ? Comment sanctionner Alioune Badara Cissé de son irrédentisme, son franc-parler et, peut-être, de son manque de loyauté et laisser Moustapha Cissé Lô jouer les tontons flingueurs, pas cette fois avec une arme de poing mais avec des billets de banque ?
Cette image désastreuse, dans un autre registre, ressemble fort bien à celle de la « République qui Danse» à la fin des années 60, parue dans Sud Quotidien montrant Abdou Diouf valser avec sa douce moitié pendant que les Sénégalais croupissaient dans la misère. La suite, on la connaît ! La presse a rapporté que le président Macky Sall aurait tancé Moustapha Cissé Lô après cette incartade insensée. Mais le mal est déjà fait. Il est révélateur de cette « normalité là » que l’on a aperçue dans le trio aimant et chantant Youssou Ndour, à gauche, Macky Sall au centre et Demba Dia Rock Mbalakh à droite, psalmodiant gaîment et naïvement « joyeux anniversaire », « happy birthday » et la déclinaison en wolof « bess bou délou si moo nekh ». Et comme l’image ne se trahit pas, on a vu le Président appeler haut et fort Demba et You pour venir avec lui entonner la chanson de la victoire, l’hymne à la jouissance. Tristes refrains, car la greffe avait beaucoup de mal à prendre entre les crooners du jour dont les voies sont aussi dissonantes que leurs desseins politiques et sociaux. Comment tirer une belle mélodie entre le talentueux chanteur Youssou Ndour, la voie rocailleuse de Demba Dia et le nasillement du Président ? Cette image est aussi violente que celle de Moustapha Cissé Lô aspergeant l’assistance en billets roses. Comme pour dire que seuls les absents ont eu tort. Fort heureusement, l’œil de la caméra était là pour nous, qui ne méritions d’être là.
On a bien vu sur l’image, le Président tirer Youssou Ndour par la veste pour lui imposer une version en wolof comme pour assurer la couleur locale. Visiblement, le défouloir devrait être partagé comme un gâteau d’anniversaire par tous les locuteurs présents. Les caméras de télévision se chargeront de faire le boulot d’entrer dans les familles et de diffuser le message dans les chaumières. Cette scène, le Président l’a voulait certainement sympathique. Mais la Jam Session animée par ce trio d’enfer ramène à la métaphore de la Cigale et de la Fourmi, pour certains. Et pour d’autres à l’allégorie de la « République qui Chante ». Quel curieux retournement des choses !
C’est vrai, la célébration du cinquième anniversaire de l’APR est bourrée d’émotions. Elle marque la fin des illusions que l’on pouvait nourrir sur le management du pouvoir. Elle a mis le curseur sur un point de départ vers quelque chose pour l’heure indéterminable, mais qui ressemble à s’y méprendre au début d’une fin. Laquelle ? L’histoire le dira car le film, tel un long fleuve, n’a commencé qu’à se dessiner. Dans ces autres lambris dorés, le discours a certainement sous-titré les actes. Le message politique adressé sans courtoisie à ses alliés sommés de se ranger derrière, avec le petit doigt sur le pli du pantalon, avait quand même un goût amer pour les invités alignés comme des momies aux premières loges. Toutes ces têtes blanches et tempes grises qui assistaient, impuissants et cois, mutiques, impassibles et stupéfaits devant cet incroyable débordement verbal et glissement sémantique devaient se sentir très éclopés. Et même très affaiblis face à un partenaire devenu fort, porté par l’insatiable arrogance de ses pairs, qu’ils ont souvent combattu, jamais aimé et obligés d’aduler pour faire bonne mesure.
L’avertissement adressé aux alliés de Benno Bok Yakar ne souffrait d’aucune ambiguïté. La gêne qui se lisait sur le visage des invités traduisait certainement un profond mal-être. Enchaînés dans un compagnonnage forcé, saoulés de menaces de divorce, de rupture d’alliance et d’assèchement financier, ils n’ont pas que leurs yeux pour constater la bravade. La messe est dite. Le président Macky Sall et l’APR, même non structurée, iront aux élections régionales et locales, seuls et tant que la base apériste si volage le décidera. Une chose est sûre, le Président a libéré en live ses alliés de la contrainte de l’alliance. Et il ne leur reste qu’à voler de leurs propres ailes et revenir au nid quand le temps sera plus clément pour eux. A ce rythme, le temps de Benno Bokk Yaakar est compté. Le serment de l’unité pour la gestion du pouvoir, autant que celui de remettre le pays sur les rails selon le mode éthique et vertueux, sobre et efficient, est déchiré. C’est qu’en réalité entre l’APR et Benno, le Président et son peuple, il n’y a pas de désamour. C’est qu’il n’y a plus d’amour du tout. Le renoncement au serment ne remet pas en cause le serment mais ceux qui l’ont tenu, la main haute.