LA GUERISON D'UNE VICTIME DE VIOLENCE PASSE AUSSI PAR LA JUSTICE
Prix Nobel de la paix 2018, le gynécologue congolais Denis Mukwege a pris part au 66ème Congrès de l’Union internationale des avocats qui a pris fin hier à Dakar. Dans cet entretien, Dr Mukwege se veut avocat des populations africaines. ENTRETIEN
Prix Nobel de la paix 2018, le gynécologue congolais Denis Mukwege a pris part au 66ème Congrès de l’Union internationale des avocats qui a pris fin hier à Dakar. Dans cet entretien réalisé en marge de cette rencontre, Dr Mukwege, qui prend en charge des femmes victimes de violences sexuelles depuis plus de 20 ans, se veut l’avocat des populations africaines. Le spécialiste rappelle que « la guérison d’une victime de violences sexuelles est un processus qui passe aussi par la justice ».
Qu’est-ce qui explique votre présence au 66ème Congrès de l’Union internationale des avocats ?
Depuis plus de 20 ans maintenant, je travaille à l’hôpital de Panzi (République démocratique du Congo) où je prends en soin des femmes victimes de violences sexuelles. Dans la prise en charge de ces dernières, nous avons mis en place une stratégie de prise en charge holistique. Cela veut dire que nous les soignons sur le plan physique, aussi mental grâce aux psychologues. Mais, pour leur permettre de retourner dans leurs villages en toute sécurité, nous avons un programme d’autonomisation des femmes. C’est un programme de réinsertion socioéconomique. À la fin, nous nous sommes rendu compte que lorsque ces femmes se portaient bien physiquement, mentalement et économiquement, elles étaient capables de subvenir à leurs besoins de base. Et tout ce qu’elles réclamaient, c’est la dignité. Cette dignité, elles ne la voyaient qu’à travers une action en justice. Nous avons mis en place une clinique juridique à côté de l’hôpital de Panzi où il y a des avocats qui soutiennent ces femmes pour les aider à faire des plaintes devant les Cours et Tribunaux. Depuis lors, il s’est avéré qu’une guérison d’une victime de violences sexuelles est un processus qui passe aussi par la justice, car elle n’est pas là seulement pour réprimer. Elle aide également à reconnaitre le statut des victimes qui sont souvent rejetées par leurs familles, la communauté. Elles veulent qu’elles soient reconnues comme victimes. C’est grâce à la justice qu’elles peuvent avoir réparation. C’est dans ce cadre que nous travaillons avec les avocats sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles.
Lors de la cérémonie d’ouverture du Congrès, en présence du Président Macky Sall, vous avez fait un plaidoyer pour que les populations africaines puissent bénéficier de l’exploitation des ressources naturelles. Est-ce à dire qu’elles n’en tirent pas profit ?
Ces ressources naturelles appartiennent d’abord aux Africains, aux populations. Je pense qu’il n’est pas normal que nous continuions à être exploités, à suivre une nouvelle forme d’esclavage, où nos richesses sont exploitées et enrichissent les autres, et que nous restions dans la pauvreté. Les études montrent que là où il y a du minerai, des exploitations minières, c’est là où il y a l’analphabétisme, la malnutrition et le taux de pauvreté le plus élevé. Cela veut dire que ce sont les exploitations minières qui tirent parfois les Pib des pays vers le haut, mais qu’est-ce qu’on laisse aux populations locales ? Rien. Il faut que cela change pour qu’il y ait un partenariat gagnant-gagnant dans les exploitations minières. Il faut que l’Afrique gagne au même titre que ceux qui viennent exploiter nos ressources naturelles. Ce n’est pas normal que vous ayez des richesses et que la pauvreté puisse être liée à ces richesses. C’est à cause des mauvais contrats qui sont signés, qui donnent la part du lion aux multinationales, des contrats léonins, que nous sommes dans cette situation. Il faut qu’il y ait une transparence dans les contrats pour permettre à la population locale où se trouve le minerai de pouvoir bénéficier de cette exploitation.
De plus en plus, on parle de transparence avec l’adhésion de certains pays à l’Itie. Est-ce qu’un vent de transparence n’est pas en train de souffler ?
Il faut que les pays adhèrent et qu’ils décident d’être transparents. Je ne vais pas citer de pays, mais si vous regardez la liste, beaucoup ont été déjà bannis de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) puisqu’ils n’ont pas été transparents. Ils veulent participer, mais l’on se rend compte que plusieurs contrats signés par ces États ne sont pas aux normes et ils ne sont pas publiés. Si les pays continuent à jouer à ce jeu, cela veut dire qu’ils vont continuer à exploiter ces richesses pour l’intérêt des signataires de contrats, mais pas pour ceux du Trésor public et de la population.
Votre pays, la Rdc, regorge d’importantes ressources minières. Y a-t-il une corrélation entre l’exploitation de ces ressources naturelles et les viols et violences sexuelles ?
Nous avions mené des études qui nous ont montré que là où se trouvaient des minerais, dont l’or, c’est là où les groupes armés se concentrent et pourchassent la population afin d’exploiter les richesses. À partir de ce moment, ils commettent beaucoup de viols. Cette étude montre que dans cette région, les violences sexuelles sont intimement liées aux zones minières. Aujourd’hui, les femmes victimes de viol et qui se présentent dans les institutions sont les plus courageuses. Mais, combien ont été violées et qui ne veulent pas se présenter ? Tout comme les enfants qui subissent des viols ! Aussi, combien de femmes vont dire qu’elles sont enceintes à la suite d’un viol ?