L’AVENIR DE L’AFRIQUE DANS UN MONDE MULTIPOLAIRE EN PERSPECTIVE
La situation internationale actuelle enseigne, en particulier aux économistes, que la mesure de la puissance des pays ne saurait se réduire à leur niveau de Produit Intérieur Brut (PIB).
La situation internationale actuelle enseigne, en particulier aux économistes, que la mesure de la puissance des pays ne saurait se réduire à leur niveau de Produit Intérieur Brut (PIB).
Depuis une vingtaine d’années, le poids et le pouvoir de dissuasion militaires apparaissent, in fine, comme le seul critère assurant une sorte de pérennité aux Etats qui en disposent en ce qu’ils leur permettent de disposer de leur propre force pour dissuader d’éventuels Etats assaillants, ou alors exercer une force de prédation sur les richesses d’Etats plus faibles. Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts (dixit Charles de Gaulle, ancien chef de l’Etat français). Le conflit géopolitique actuel entre la Russie et l’Ukraine a révélé au grand jour que les ressources énergétiques sont au centre des enjeux économiques du monde, et qu’en garder le contrôle est synonyme de puissance politique et économique.
Les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts. Cette expression hautement cynique permet de comprendre qu’au nom de ces mêmes intérêts, un État peut s’attaquer à un autre au nom de ses stricts intérêts économiques. Dès lors, les justifications de course aux armements pour dissuader l’autre de vous attaquer, alors qu’elles cachent des objectifs de prédation, perdent leur sens. Comme disait l’autre, la géopolitique c’est la puissance. Elle prime sur la puissance économique. La Corée du Nord n’est pas crainte pour sa puissance économique mais pour ses capacités nucléaires exhibées en toute occasion. Les performances économiques de la Corée du Sud (10ème place dans l’économie mondiale) menacée au nom de la réunification s’en trouvent fragilisées. Le poids économique des pays est fragilisé par les crises systémiques tenant aux finances et à l’inflation.
La situation géopolitique que nous vivons depuis le début de ce nouveau siècle nous rappelle que la géopolitique prime sur tout le reste. La condition d’un développement est la croissance dans la durée. Cette durée est conditionnée par la capacité de résistance à une agression extérieure. Libye, Irak, Syrie, Afrique avec Boko Haram. Avons-nous la capacité de déployer sans entraves nos activités économiques et protéger nos frontières et nos populations lorsque des groupes comme Boko Haram sévissent depuis 20 dans le bassin du lac Tchad, soient le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad, mais aussi au Mali, au Burkina, et, dans une moindre mesure, en Côte d’Ivoire et en Mauritanie sans riposte adaptée aux dommages subis ?
Comment comprendre que l’ensemble de ces pays puissent subir les méfaits du terrorisme sans capacités propres de réaction ?
Avons-nous la capacité de protéger nos ressources halieutiques ?
S’agirait-il alors de choix décisionnels erronés des Etats de privilégier l’endettement pour le financement d’infrastructures au détriment de l’éradication de la menace sécuritaire qui tue l’économie ?
Le PNUD, dans rapport, intitulé «Measuringthe Economic Impact of Violent Extremism Leading to Terrorism in Africa» (2020), estime que 16 sur 18 des pays ciblés par le terrorisme en Afrique (Nigéria, Tanzanie, République centrafricaine, Niger, Ouganda, Kenya, Éthiopie, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Tchad, Cameroun, Tunisie, Maroc, Mauritanie et Libye)perdent environ97milliards de dollars par an dans l’activité économique informelle depuis 2007. Ce montant équivaut en ordre de grandeur aux 100milliards de dollars attendus par l’Afrique en provenance du FMI dans le cadre de la relance post Covid.
Dans un contexte mondial devenu multipolaire, et pour faire face à ses sérieux problèmes sécuritaires, l’exigence est que l’Afrique se constitue en un seul bloc, fort du poids de ses ressources, pour ensuite s’allier à d’autres pôles à l’aune de ses seuls intérêts.
C’est à cette condition qu’une oreille attentive sera tendue vers le continent, et non par une quelconque présence au Conseil de sécurité de l’ONU dans la division voire l’émiettement.
Les conditions de la création d’une puissance en Afrique
Le principal facteur de production et de développement, c’est l’armement. C’est grâce à lui qu’on conquiert des espaces, qu’on s’approprie indûment les sols et sous-sols de pays faibles, qu’on impose des schémas de développement autocentrés et inscrits dans la durée. Les concepts économiques doivent, d’ailleurs, être revisités sous ce rapport. L’Afrique c’est de petits trios de jazz face à de larges ensembles harmoniques de musique classique. L’Afrique doit s’asseoir d’égal à égal avec les pays partagent cette vision du monde multipolaire.
Géopolitique et développement
La géopolitique et l’économie sont les deux faces d’une même médaille. Il est fréquent de présenter l’économie comme l’explication de la variation des situations géopolitiques. Les interventions militaires de l’occident dans le Golfe Persique, en1992, et en Irak, en 2003, et en Libye en 2011, sont généralement considérées comme des opérations visant à faire main basse sur les richesses pétrolières de ces pays.
On fait la guerre pour prendre le contrôle de ressources pétrolières (ou de terres fertiles),mais aussi pour que les pays concernés ne puissent utiliser ces ressources pour leur propre compte, de sorte à altérer la puissance du pays dominant.
Le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine traduit pour les uns la volonté russe d’étendre son influence sur les pays de l’ancienne URSS, et, pour la Russie, une opération pour conjurer la menace de l’Otan avec l’Ukraine de Volodymyr Zelensky comme bras armé.
Dans le cadre du rapport inégal entre l’Occident et le reste du monde, l’Afrique en particulier, l’exploitation à moindre coût des matières premières et leur transformation à haute plus-value est le modèle économique en vigueur depuis 1885. Pour aller dans le sens du renversement de ce modèle au profit de l’Afrique, le continent doit mettre en avant sa propre vision du monde qu’elle traduira dans ses plans et programmes économiques.
C’est cette problématique qui est importante et non un rattrapage économique dans un contexte de chocs exogènes suscités pour conserver le dit modèle.
La géopolitique c’est la science de la puissance ; et cette puissance est donnée parla dimension génératrice de liberté décisionnelle et d’orientation du développement. L’histoire nous montre qu’un pays comme la Russie est classé comme pays émergent au plan économique, derrière les pays d’Europe occidentale, alors qu’elle est la 2ème puissance économique militaire du monde.
C’est dire que les immenses ressources énergétiques de ce pays n’ont pas été utilisées dans la transformation industrielle mais plutôt dans l’armement considéré en dernier ressort comme l’arme économique déterminante. La Corée du Nord se situe dans le même sillage que la Russie. La mesure du développement ne saurait être une question d’indicateurs de richesse comparant les revenus nationaux annuels mais plutôt la puissance militaire, la capacité de dissuasion qui n’ont cessé de modeler les rapports entre les nations.
Avec la crise russo-ukrainienne, les blocs militaires se reforment.
L’OTAN se renforce et des pays comme l’Allemagne, qui s’était assignée après la seconde guerre mondiale l’objectif majeur de retrouver sa puissance économique, réfléchit à son armement propre. Les pays émergents, ne se sentant plus à l’abri, se regroupent pour endiguer les risques. La marche du monde n’a jamais été linéaire ; elle a toujours été interrompue par des chocs de toutes natures provoqués par des agents économiques (crises financières, conflits avec usages d’armes militaires, chimiques, bactériologiques etc.).
L’Afrique s’inscrit dans la perspective de « l’Agenda 2063 » qui parle d’accélération de la croissance économique du continent, avec comme projets « phares » la mise en place d’un réseau de trains à grande vitesse reliant toutes les capitales africaines, la création d’une zone de libre-échange, d’un passeport africain, la création d‘un grand musée africain pour promouvoir une culture commune et d’initiatives dans l’éducation, la culture, la science, la technologie.
La place d’une Afrique unie dans le concert des nations et intégrée dans des blocs qui vont décider de l’avenir du monde, n’est pas expressément évoquée. Les chefs d’Etat aux commandes présentement doivent prendre leurs responsabilités comme le font les dirigeants des pays émergents pour définir la place que l’Afrique est en droit d’occuper au regard de sa contribution au développement économique mondial, qui jusque-là ne lui a apporté que marginalisation et pauvreté.
Une géopolitique africaine doit être au centre des réflexions de ces chefs d’Etat du continent, et non la poursuite d’objectifs économiques à atteindre sous l’ombre tutélaire des autres nations dont l’intérêt est de garder le continent comme un « réservoir de matières premières » et un « déversoir de produits finis » comme disait l’autre.
Conclusions
Dans un contexte de quête de multipolarité après une mondialisation unipolaire, l’Afrique revient en force dans la géopolitique mondiale. Les sommets Afrique/pays occidentaux et Afrique/BRICS redoublent de fréquence et d’intensité.
Sont annoncées des érections d’infrastructures d’interconnexion, des postes de représentants au Conseil de sécurité de l’ONU et la nomination d’un représentant des BRICS pour l’Afrique de l’Ouest, sans pour autant que les actions ne soient résolument dirigées vers l’unité réelle du continent.
C’est l’heure pour les chefs d’Etat et les intellectuels africains de barrer la route aux seules initiatives nationales d’Etats issus d’une balkanisation et qui, jusque-là, ont permis la perpétuation de la domination de l’Occident, au profit d’une unité réelle du continent grâce à une vision partagée.
Cette vision doit nécessairement mettre en avant la nécessité pour l’Afrique d’assurer sa propre sécurité face à la montée du terrorisme, dont l’objectif est la déstructuration de nos Etats.