DIRE C’EST FAIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Tous les ingrédients d’un bonapartisme tropical sont exploités. Nous voici dans une situation qui déconstruit toutes nos certitudes sur l’exception démocratique sénégalaise
« Les États néo-patrimoniaux ont l’apparence de « l’État moderne », mais la confusion des intérêts privés et publics affaiblit le processus de centralisation des institutions étatiques et favorise la corruption patrimoniale par l’autorité rationnelle légale » Daniel Pei Siong Goh. Nous sommes en plein dans ce cas de figure dans le champ politique sénégalais qui est en train de toucher le fond de sa légitimité et de sa crédibilité.
Le fond, dans une ambiance de tyrannie qui ne dit pas son nom et qui expose son cortège de maux, de morts (plus d’une vingtaine) et de remords (après 11 ans au pouvoir.) La disqualification de Karim Wade, de Khalifa Sall, l’identique tentative programmée envers Sonko, l’expulsion de son poste de député d’Aminata Touré, élue depuis seulement quatre mois, en disent long sur la « patrimonialisation » du pouvoir. Le Président par ces actes confirme qu’il est la clé de voûte de toutes les institutions (Pouvoir exécutif, judiciaire et législatif) en occultant les réalités et évolutions de la sociologie politique, notamment la colère qui gronde dans tous les segments de la société sénégalaise et qui n’a jamais atteint ce niveau au moment où son mandat arrivera à son terme en 2024.
Tous les ingrédients d’un bonapartisme tropical sont ainsi utilisés et exploités : renforcement des moyens de répression, « patrimonialisation » des institutions, corruption industrielle avec le lancement pêle-mêle de grandes infrastructures bardées de commissions et de surfacturation, une classe politique semblable à une racaille, un ramassis de transhumants au gré de la verdeur du pâturage, une ambiance de guerre permanente des mots, des violences multiformes y compris à travers les réseaux sociaux où la vie privée se confond avec la vie publique.
Les éléments de langage constituent la matrice de la sociologie politique de nos pays africains avec un faible niveau d’instruction, une pauvreté exponentielle dont le corollaire est l’exclusion des couches les plus vulnérables de la société que j’appellerais les Gens d’En Bas. La guérilla verbale en cours dans le champ de bataille comme le Sénégal Arena où tous les coups sont permis y compris sous la ceinture et derrière la nuque. Comment en est-on arrivé là avec une société en déliquescence, en mode destruction massive. Avec l’avènement des réseaux sociaux et la réification des clivages idéologiques, les éléments de langage deviennent clivants au détriment des valeurs de la cohésion sociale et au profit de la déconstruction de l’élégance républicaine et du vivre ensemble.
Est-ce la fin de la démocratie cosmétique pour ne pas dire tropicale pour les besoins de la consommation internationale en vue d’une nouvelle identité pour être fréquentable par les institutions de Bretton Wood, de G8 et les agences de notation qui dictent les politiques publiques ?
Bonapartisme tropical
La question que je ne cesse de me poser, c’est véritablement la nature de nos États post-coloniaux. Nous sommes sortis de l’État colonial à l’État post-colonial mode copié-collé avec les institutions qui n’ont aucune assise sociologique et inspiration socioculturelle africaine. Quand le président lui-même déclare que c’est lui-même qui a conçu la Constitution et l’a verrouillée pour que « nul n’ait plus de deux mandats » on est où la ? comme dirait l’autre ! Est-ce que le Sénégal avec des traditions démocratiques fortes mérite cette arrogante attitude d’un président né après les indépendances ?
Les stratégies d’inféodation des leaders syndicaux, du patronat, de la société civile, des leaders religieux dans les institutions de la République (HCCT, CESE, Assemblée nationale, PCA , CSS, IPRES, comité de surveillance sous forme de cooptation), ont été consolidées pour mieux assouvir les prébendiers. Tout est sens dessous dessus. Les leviers traditionnels de la confrérie, des grands électeurs notamment dans certains corps de métiers, comme les transporteurs, le patronat, les grands quotataires de riz et de ciment et des clans ont connu une déflagration avec la poussée socio-démographique des jeunes. Les résultats des élections ne reflètent plus la sociologie politique du fait d’une fracture sociale accélérée entre la caste politique d’affairistes et financières et les gens d’en-bas qui subissent la baisse spectaculaire et pénalisante de leur pouvoir d’achat, et que frappe le manque de perspectives de développement. Plus que jamais, ils ne se reconnaissent plus à travers cet État patrimonial. Les dernières élections locales et législatives ont préfiguré la puissante force politique de l’opposition sociologique que représente YAW en s’adjugeant les bastions électoraux au plan démographique somme toute plus que symbolique. La disqualification de la liste nationale de YAW au profit des suppléants est une première dans l’histoire de la démocratie sénégalaise. Le taux d’abstention de 53% pour les législatives illustrent la cassure entre les catégories des populations et leur perception des joutes politiques.
Au-delà du verbiage sur la judiciarisation de la politique, nous voici dans une situation qui déconstruit toutes nos certitudes sur l’exception démocratique sénégalaise, et un manque d’élégance républicaine au profit des privilèges de caste.
« Complotisme » et menaces terroristes introuvables
La jeunesse que j’ai vu le 23 janvier 2023 à Keur Massar est une jeunesse décomplexée, sans perspectives, qui n’a rien à perdre et qui continuera de se mobiliser contre le système de pillage des ressources, notamment celles allouées à la lutte contre la Covid-19. Tous les signaux d’une explosion et d’un affrontement sanglant sont aujourd’hui au rouge. Est ce qu’il y aura d’élection présidentielle en 2024, avec quels candidats et dans quelles conditions ?
Le gouvernement du Sénégal a soumis et fait adopter par l’Assemblée nationale, en procédure d’urgence, le projet de loi N°10/2021 modifiant la loi N°65-60 du 21 juillet 1965 portant sur le Code pénal et le projet de loi N° 11/2021 modifiant la loi 65-61 du 21 juillet 1965 portant sur le Code de procédure pénale, le vendredi 25 juin 2021 dans des conditions difficiles avec une « bunkérisation » de Dakar par des gendarmes et des policiers puissamment armés, avec du matériel d’assaut dont on ignore la provenance après mars 2021 (Biden, Macron, Xi Jinping, Erdogan ?). C’est au nom de ces lois liberticides que des leaders politiques, des parlementaires et des activistes, des artistes et des journalistes seront arrêtés et même poursuivis et rapatriés de France, avec pour conséquence que la rue va s’embraser avec son cortège détestable de pertes de vies humaines si on n’y prend pas garde.
La gauche fossile
Après l’envahissement des Dazibao au début de la présidence 2012 avec des affiches et poster du président pour illustrer la présidentialisation de l’alternance, la gauche parapluie de BBY reprend du service au nom d’un front républicain vide de sens du point de vue de l’éthique de la République.
La “gauche“ fossilisée s’agrippe derrière le wagon de l’APR pour appeler à un front républicain pour faire barrage comme en France à ceux qu’ils appellent l’extrême droite pour justifier leurs prébendes et privilèges multiformes.
Où est le front républicain quand le régime continue de piétiner les droits et libertés individuelles pour lesquels le peuple s’est battu pendant plusieurs décennies, subissant des arrestations en cascade y compris des activistes sur les réseaux sociaux, comptant ses morts lors des manifestations avec une violente répression des forces de défense et de sécurité ?
Les menaces qui pèsent sur l’avenir du Sénégal sont très graves et personne ne doit les minimiser. Le génie sénégalais doit être mobilisé pour faire échec à cet entêtement boulimique du pouvoir et couper ses tentacules dans la société.
Au-delà des agendas électoraux se profile un mal-être généralisé des Sénégalais d’en bas qui n’ont que le cœur pour supporter cette misère intérieure tant on les pousse à perdre leur dignité et leur morale de vie pour survivre. La cohésion sociale se trouve éclaboussée avec une fracture ouverte doublée d’une hémorragie sociale de la misère généralisée dans les couches sociales dont la vulnérabilité s’est aggravée. Le temps de la raison est arrivé pour le président Macky et sa caste de politiciens de la dernière heure, de prendre de la hauteur républicaine et de l’élégance citoyenne pour ne pas entamer des actions suicidaires contre le patrimoine sénégalais qui lui a permis d’être président à l’âge de 49 ans. L’histoire chargée du Sénégal depuis les empires du Sénégal (jolof, Sine, Saloum et Fouta Toro) est plus forte que toute autre considération.