CHRONIQUE DES COMPARUTIONS FORCÉES D'OUSMANE SONKO
Tout porte à croire qu’il répondra devant la chambre criminelle dans un procès public. Dans tous les cas, la Justice passera : il pourrait être contraint manu-militari à assister à l’audience ou le jugement sera fait par contumace
Qui peut compter le nombre de fois que Ousmane Sonko a eu à menacer certains de ses compatriotes de plaintes devant les institutions judiciaires ? A chaque fois que le leader de Pastef s’est senti effarouché par des dires, faits ou gestes d’un de ses compatriotes, il a brandi, à tort ou à raison, la menace d’abattre les foudres de la Justice sur la tête de l’impertinent, car il dit tenir à préserver sa dignité, son honorabilité. Il s’est aussi toujours posé en procureur pour la garde des biens publics.
Mieux, bien des fois, Ousmane Sonko a effectivement saisi la Justice pour se plaindre et demander l’application rigoureuse de la loi pénale contre des personnes. C’est ainsi, à titre d’exemple, que dernièrement, suite à la publication d’un livre de Cheikh Yérim Seck dans lequel l’auteur évoque des escapades nocturnes inappropriées sur la Corniche de Dakar, à la veille de l’élection présidentielle de 2019, Ousmane Sonko a vu rouge et a annoncé déposer une plainte contre l’auteur du brûlot pour diffamation. Ousmane Sonko a aussi menacé de saisir la Cour suprême de plaintes contre les magistrats Serigne Bassirou Guèye (ancien Procureur de Dakar) et Oumar Maham Diallo (Doyen des juges de Dakar) pour diverses incriminations. Ousmane Sonko a eu à porter plainte contre l’ancien Directeur des Domaines, Mamadou Mamour Diallo et l’homme d’affaires Tahirou Sarr, pour la prétendue affaire de détournement de 94 milliards de francs dans une opération foncière. Une procédure judiciaire a été ouverte jusqu’à finir par un verdict de la Cour de Cassation.
Le même Ousmane Sonko avait menacé de porter plainte et a eu à déposer formellement une nouvelle plainte contre Mamadou Mamour Diallo, l’avocat Gaby So, Adji Sarr, Me El hadji Diouf, le Général Moussa Fall, ainsi que d’autres personnes qu’il accuse d’avoir trempé dans un complot dirigé contre sa personne au salon de massage Sweet Beauty. Il a fulminé contre les protections judiciaires et autres privilèges juridictionnels dont bénéficient les avocats et magistrats. Ousmane Sonko a eu à saisir l’Office national de lutte contre la corruption et la concussion (Ofnac) pour dénoncer nombre de ses compatriotes. Le député qu’il était, avait eu à demander la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur des faits susceptibles de prévarication de ressources publiques dans la même affaire des 94 milliards de francs qu’aurait généré une transaction sur le fameux Tf 1451/R, sans pour autant daigner répondre aux convocations de ladite commission d’enquête parlementaire.
Dans l’affaire Petro-Tim, il avait voulu contourner le Procureur de Dakar pour saisir le procureur de Guédiawaye d’une plainte contre Aliou Sall, qu’il accusait d’avoir grugé le Sénégal de plus de 6000 milliards de francs dans l’opération de concession de ressources en hydrocarbures à Frank Timis. Ce même chef de parti politique et maire de Ziguinchor a eu le culot ou l’outrecuidance de déposer trois plaintes contre le Sénégal et les Sénégalais devant la Cour pénale internationale pour des faits de discrimination ethnique et de génocides contre les populations de Casamance (voir notre édition du 12 juillet 2022). A chaque fois que les plaintes ont été enregistrées, les institutions compétentes ont eu à leur donner un traitement adéquat et il est arrivé que Ousmane Sonko, plaignant, eût refusé de participer aux procédures pour tirer au clair les faits dénoncés. Alors, comment peut-il s’offusquer que des Sénégalais comme lui, atteints dans leur dignité, leur honorabilité par ses déclarations répétées, ne trouvent pas légitime de se faire justice ?
C’est le cas du ministre Mame Mbaye Niang, qui estime avoir été injustement accusé, à plusieurs reprises, d’avoir siphonné la somme de 29 milliards de francs des caisses du Prodac. Ousmane Sonko et ses proches crient au scandale et prennent la plainte de Mame Mbaye Niang comme une manœuvre de règlement de comptes politiques, un acharnement. Question toute simple : qu’est-ce qui donne le droit et la liberté à un homme politique de pouvoir porter plainte contre d’autres Sénégalais et que d’autres Sénégalais n’aient pas les mêmes droits de se retourner contre lui, s’ils ont de bonnes raisons de le faire ? Pourquoi diantre les personnes assignées en justice par Ousmane Sonko défèrent-elles aux convocations et que lui trouverait indigne ou illégitime de se présenter devant la Justice pour répondre de ses propres faits et actes ? Mais le plus paradoxal est que lui-même fanfaronnait en disant son impatience à confondre Mame Mbaye Niang devant les tribunaux, quand ce dernier menaçait de porter plainte. On attend de savoir s’il se rendra au procès du 16 février 2023, date de renvoi du procès en diffamation ! Qui ne se rappelle pas également qu’il déclarait exiger un procès public, le plus vite possible, pour se laver des accusations de viols portées par Adji Sarr mais quand, à l’issue de l’instruction judiciaire, il s’est agi de fixer une date pour un procès, il déclare préférer mourir avec ses derniers souteneurs que d’aller à un procès ! Une telle attitude dénote-t-elle de caprices enfantins ou d’une lâcheté ?
Il est à remarquer qu’après de nombreux atermoiements, les pouvoirs publics ont fini par faire montre de détermination à faire appliquer la loi et à le contraindre à répondre devant la Justice. C’est ainsi que malgré ses appels à la résistance, au prix d’un «Mortal Kombat», Ousmane Sonko s’était résigné à aller répondre aux enquêteurs de la gendarmerie dans l’affaire Adji Sarr. Il avait par la suite annoncé refuser de répondre aux convocations du Juge d’instruction et avait fini par y déférer. Mieux, lui qui piaffait de démonter les accusations, avait voulu refuser d’être confronté à Adji Sarr dans le cabinet du magistrat instructeur et, devant la fermeté et l’intransigeance des autorités judiciaires, il avait fait contre mauvaise fortune bon cœur et accepté le supplice de la confrontation judiciaire du 07 décembre 2022. Tout porte donc à croire qu’il répondra devant la chambre criminelle dans un procès public. Dans tous les cas, la Justice passera : il pourrait être contraint manu-militari à assister à l’audience ou le jugement sera fait par contumace. Dans ce dernier cas, le risque serait encore plus fatal pour l’accusé. Le contumax écope du maximum de la peine prévue et pour pouvoir exercer un recours, il devra obligatoirement se constituer prisonnier. Quant au procès en diffamation intenté par Mame Mbaye Niang, il sera loisible à Ousmane Sonko de choisir de ne pas déférer à l’assignation. Mais ce serait encore à ses risques et périls, car il serait sans doute jugé par défaut réputé contradictoire et écoperait fatalement d’une condamnation et un sursis probatoire pourrait ne même pas lui être accordé.
Dans la pratique judiciaire, la défense d’un prévenu jugé par défaut, ne peut être assurée par ses avocats et de lourdes peines fermes sont prononcées, surtout dans de telles situations de défiance de l’institution judiciaire. Un autre argument qui ne plaide pas en faveur du prévenu dans cette affaire est que les organes de presse qui avaient parlé de cette affaire, dans les mêmes termes, avaient écopé d’une condamnation de six mois avec sursis, en dépit de leur comparution à la barre. Au demeurant, on verrait assurément les avocats user de toutes les voies de recours judiciaires possibles, comme ils le font systématiquement dans l’affaire Adji Sarr en dépit des déclarations de leur client pour défier la Justice et les magistrats. C’est un truisme que de dire que certaines démarches sont assimilables à du dilatoire.
Pour l’heure, Ousmane Sonko verse dans ce que d’aucuns ont pris pour de l’enfantillage, en sortant par exemple faire un petit tour dans son quartier et jongler du pied avec un ballon de basket-ball (aux couleurs bleu, blanc, rouge, de la Russie ou de la France ?), le 2 février 2023, au moment où le dossier était appelé par le tribunal. Un bras d’honneur ? Certains observateurs ont pris le fait comme un acte mystique car, à chaque fois qu’il doit répondre à la Justice, Ousmane Sonko trouve le moyen de sortir dans la rue et se laisser toujours filmer par les caméras des personnes présentes ; on observe systématiquement une brève séquence durant laquelle une même personne, souffle quelques prières sur la paume de ses mains. Prières ou pas, les procédures judiciaires ne se poursuivent pas moins normalement, sans encombre.
L’OS s’est-il ramolli ?
Les rodomontades de Ousmane Sonko ne semblent plus avoir de prise sur les foules de jeunes militants excités qui étaient prêts à donner de leur vie pour sauver sa tête. Ousmane Sonko qui, en février 2021, menaçait de jeter plus de 200 mille manifestants dans la rue pour déloger Macky Sall du palais présidentiel, semble s’être ramolli. Deux ans après, il se résout à supplier les jeunes de se dresser pour empêcher sa condamnation. Voyant que ses appels ne sont plus suivis d’effets enthousiastes, Ousmane Sonko a tenté d’expliquer, dans ses dernières sorties, aux jeunes de ne pas écouter les voix qui chercheraient à les convaincre de ne pas lui servir de boucliers. La superbe et l’assurance qu’il affichait semblent avoir disparu.
La situation devient si pathétique qu’il se surprend à supplier les guides religieux d’intercéder en sa faveur et s’agace de leur silence sur son sort. Le déchainement outrancier de ses partisans à l’endroit des guides religieux dénoterait d‘un manque de sérénité pour ne pas dire d’une trouille ou d’un désespoir. En effet, il a eu l’occasion de mesurer les nouvelles capacités et la détermination des forces de sécurité à assurer l‘ordre public. En quelque sorte, la peur a bien changé de camp.
Le risque est assez gros car la plainte de Mame Mbaye Niang semble être partie pour montrer la voie aux autres personnes qui pourraient se sentir victimes de ses déclarations outrancières. L’avocate Me Dior Diagne, accusée d’avoir participé au prétendu complot de l’affaire Adji Sarr, a déjà commis des huissiers pour assigner son accusateur en Justice. Mamadou Mamour Diallo, nanti d’une décision définitive de Justice qui le blanchit dans l’affaire des 94 milliards de francs aurait lui aussi commis des avocats pour se retourner contre son «ennemi intime», pour dénonciation calomnieuse entre autres incriminations. Une cascade de procédures judiciaires se dessine contre cet homme qui a l’insulte et l’invective à la bouche. C’est en quelque sorte la saison des procès pour lui. On ne le dira jamais assez, la marche de la Justice est lente mais elle arrive toujours au bout de sa route.
Par ailleurs, qu’adviendra-t-il de la mort des 14 manifestants des 6,7 et 8 mars 2021, suite à des appels publics insurrectionnels dont l’auteur est bien identifié ? L’inertie de l’État apparaît coupable, d’autant que des victimes ou leurs ayants-droits ont déposé des plaintes. Dans cette affaire, l’avocat Me El Hadji Moustapha Diouf a déposé une plainte pour l’incendie volontaire de sa maison. Il reste que les choses semblent avoir changé de tournure quant à la façon de faire. En effet, plus personne ne semble se laisser faire ou lui consentir désormais le moindre cadeau. L’ancien procureur de Dakar, Serigne Bassirou Guèye, après de longs mois de lynchage, a fini par se résoudre, le 30 janvier 2023, à lui apporter la réplique et surtout à brandir, de manière claire et nette, la mise en garde de verser dans le déballage si les attaques contre sa personne se poursuivaient.
Le propos de Serigne Bassirou Guèye ne semble pas être tombé dans l’oreille d’un sourd car, comme on l’a relevé, pour la première fois depuis deux ans, Ousmane Sonko a fait le mercredi 01 février 2023, une sortie médiatique au cours de laquelle il s’est gardé de prononcer le nom de Serigne Bassirou Guèye. Fera-t-il un baroud d’honneur pour parler à nouveau du magistrat ? On verra bien ! De toute façon on aura remarqué que quand Me Dior Diagne, elle aussi, lui a rabattu le caquet dans une déclaration publiée dans les médias, plus jamais il n’a prononcé le nom de l’avocate. Cela semble payer de lui retourner ses mêmes armes et méthodes. «C’est un rat qui dégonfle un rat !»