LE REVE DE NOUS-MEMES
L’Afrique peut-elle s’enorgueillir de ne laisser à ses enfants le choix de rêver leur bonheur qu’au-delà des mers ?
L’Afrique peut-elle s’enorgueillir de ne laisser à ses enfants le choix de rêver leur bonheur qu’au-delà des mers ?
La traversée des océans est si risquée, mais pensent certains, c’est le prix à payer pour fuir la terreur, le sous-emploi, le chômage, parfois la famine et souvent la dureté de la vie quotidienne. Abjects courtiers de malheurs sur les pistes brûlantes serpentant le Sahara violé, maudits océans, témoins de tant de souffrances pendant des siècles ! Les mémoires défaillantes succombent aux mêmes sirènes caméléons ; hier c’était la déportation par la contrainte barbare, aujourd’hui l’illusion est à l’œuvre et piège la liberté et l’espérance.
Quels contrastes entre les images que nous renvoient les séries télévisées, celles que, dans nos salons immobiles, nous servent le bonheur virtuel cathodique, les réseaux sociaux parfaits substituts d’une vie sociale appauvrie et narcissique, les vidéos qui meublent à profusion nos téléphones, dans les moindres recoins de nos villes, de nos campagnes ?
Quels contrastes avec la réalité de la dure vie au champ, celle des petits boulots mal payés, avec l’école chère pour les modestes revenus des parents, avec la déscolarisation et ses impasses, avec l’exode rural cette quête de liberté d’une jeunesse barricadée , avec les marchands de rêves de tous genres dans nos villes bondées de chasseurs de rêves ?
Souvent, le rêve tourne au cauchemar lors de la traversée des mers, laissant nos mères et pères inconsolables.
La vie, quand elle chemine à pas réguliers, finit par nous rendre orphelins et même si le deuil est toujours difficile à vivre, n’est-il pas juste que les enfants enterrent leurs parents ?
Un enfant qui perd son parent est orphelin. Mais dites-moi comment désigne-t-on dans votre langue un parent qui perd son enfant ?
Chaque jour qui passe voit nos enfants trépasser au contact des marchands de rêves ; pourtant, nos pays sont des lieux de rêve.
Notre population est jeune, pleine d’allant et d’initiatives, elle a besoin d’avoir confiance en son génie.
Nos jeunes sont emplis de talents qui ne demandent qu’à éclore et s’exprimer, mais comment leur offrir le terreau fertile, celui qui fait germer les graines d’espoir qui se bousculent dans les cœurs de l’adolescence ?
La vie au-delà des mers est de plus en plus glissante. Pour une opportunité saisie, combien de chutes, de mépris, de précarité, d’ostracisme ? Un bon Africain est pour beaucoup de gens riches ou pauvres d’au-delà des mers, un Africain en Afrique, qu’il soit miséreux, malade, ou avide de connaître l’ailleurs, peu importe pour ces gens-là ; leur mépris ne souffre d’aucun doute, d’aucune irraison.
Alors chiche ! Et si nous découvrions mieux le bonheur qui nous est naturellement donné? Et si à partir de ce que nous a servi dans la calebasse dame-nature, nous faisions prospérer les fruits de notre imagination, de notre créativité, de notre génie ?
Des jeunes heureux en Afrique, ce n’est pas une utopie ! Des jeunes qui ne se laissent pas embrigader par des réseaux illicites, ils sont nombreux, c’est la majorité, pardi ! Mais les autres constituent, de plus en plus, une immense minorité.
Le chômage des jeunes ? Il ne devrait pas exister en Afrique, tellement les bonnes opportunités sont légion ?
Le sous-emploi ? Oui il est le fruit d’une école qui n’est pas assez inclusive, d’une formation professionnelle balbutiante, d’une information insuffisante des jeunes sur les opportunités d’emplois qualifiés, sur comment les saisir et s’en emparer pour se projeter vers un avenir choisi.
De Cotonou à Dakar en passant par Ouagadougou, Niamey, Lomé, Douala, résonne le même écho mélodieux : l’agriculture et l’élevage offrent déjà de nombreux débouchés mais leur potentiel en emplois qualifiés est considérable surtout s’ils sont durables. Tends bien l’oreille mon amie, entends-tu depuis Paris, Rome et New York, cette musique suave qu’exhale la brise de mer venue d’Afrique ?
Partout dans nos terroirs, au-delà des traditions assiégées, nos imaginations enfantent de nouveaux plats gouteux composés avec les agrumes, légumes et céréales des villes et campagnes, de nouveaux rythmes et rites bien à nous, des chorégraphies innovantes, des styles vestimentaires qui nous assemblent, nous ressemblent , et nous donnent à sentir en nous, la fierté de la coupe venue de nos ateliers de couture, le coton de nos champs et le filage par nos tisserands, par nos entreprises.
Partout, dans nos villes et campagnes, résonne l’écho des talents qui ne demandent qu’à éclore pour servir à nos enfants un rêve accessible dans lequel ils jouent le premier rôle, un rêve qui ne connaît ni mépris, ni précarité, ni risque inutile, un rêve qui fera d’eux des êtres accomplis et épanouis, des êtres qui n’ont rien à envier aux autres à qui ils ouvriront les bras, pas comme leurs ancêtres, pas comme leurs parents piégés par une générosité coupable ; cette fois, avec lucidité et dignité car nos enfants auront cessé d’habiter le rêve des autres.