À L’ABSENCE D’HOSTILITÉ
Ils bravent l’éphémère pour défier l’éternité. Sont-ils assez téméraires ? Ces candidats qui répondent déjà à l’appel et se dressent du haut de leur superbe malgré l’incertitude d’une bénédiction de l’arène. Dans l’impatience, d’autres se déclareront.
Ils bravent l’éphémère pour défier l’éternité. Sont-ils assez téméraires ? Ces candidats qui répondent déjà à l’appel et se dressent du haut de leur superbe malgré l’incertitude d’une bénédiction de l’arène. Dans l’impatience, d’autres se déclareront. Le long de leurs processions, certains n’hésiteraient pas à dénoncer des verdicts jugés injustes, inéquitables… Ces conseils qu’une mère prodiguait à son fils leur serviraient-ils ? « (…) Soit le champion qui terrasse et étreint ! Mais surtout reviens sans tiraillement. » (A. Raphaël Ndiaye, De la lutte traditionnelle chez les Sérères fondements mythiques, techniques et langages gestuelles, Peuples du Sénégal, Sépia 1996). Aussi faudrait-il leur parler du « pasiraagal (parité sociale) », cette autre règle du code de conduite des Peuls qui « se manifeste par le respect et la considération profonde d’une personne de même condition » (Mamadou Ndiaye, La Pulaaga d’hier à aujourd’hui, livre sus cité).
D’après M. Ndiaye, « c’est au nom du pasiraagal que Geelel accepte de détacher Gumalel (…). Les deux hommes se sont combattus avec acharnement (…). Quand après s’être mutuellement terrassé, Geelel a raison de son adversaire, il lui lie les mains puis le fait marcher devant lui. Gumalel se retournant lui dit alors : - Tu sais bien, pair, seules mes forces m’ont trahi, je ne manque pas de courage ! - Cela est vrai, en effet dit Yéro (Geelel) qui, joignant le geste à la parole, lui délia les mains, appliquant ainsi la règle du pasiraagal… (qui) incline à l’absence d’hostilité ». Seulement, sommes-nous suffisamment instruits de la réalité et de la culture de notre pays ? Des exigences du moment ne commandent-elles pas d’y puiser des matériaux de construction de notre vivre-ensemble dans cette diversité qui nous unit, des fondements d’une démocratie apaisée ? L’économie d’une connaissance sociologique du Sénégal n’explique-t-elle pas une certaine banalité dévastatrice des discours et autres actes politiciens ?
Réordonner l’avenir
Pour le sociologue Michel Maffesoli* (Du nomadisme), il faut « voir loin en arrière pour voir loin en avant. C’est ainsi que, d’une manière détachée, l’on saura faire une véritable archéologie de l’âme collective. C’est-à-dire que l’on saura comprendre ce qui meut, en profondeur, une époque en un moment donné… (…) Comprendre les archaïsmes qui, quoi que l’on en ait, fondent nos manières d’être, de vivre, de dire et de penser. Jusques et y compris dans l’actualité la plus brûlante… (…) En bref, on ne peut réordonner l’avenir qu’à partir du passé, et ce en s’appuyant sur une pensée du présent… ». Ne devons-nous pas sortir d’une certaine indolence ? « Oui, face aux facilités de tous ordres, l’exigeante vision de l’intérieur accompagne son objet. C’est la rumination méditante de Nietzsche qui savait « qu’il faut avoir mauvaise opinion de tout ce qui, à notre époque néfaste, connaît le succès immédiat…* ».
Ainsi parlait aussi Nietzsche : « Les hommes d’action roulent comme roule la pierre, conformément à l’absurdité de la mécanique. » Marc Halévy, dans Citations de Nietzsche expliquées, écrit : « L’homme d’action veut conquérir le monde afin de l’assujettir à ses caprices. Et ce faisant, il est victime de la « mécanique absurde » du monde même - des autres, des faibles, de tous ceux qui attendent tout des élites démagogiques qui les exploitent ; il n’est pas maître de sa soif de pouvoir ou de fortune. Il les subit. » Mais, ces candidats à la Présidentielle 2024 parleraient comme Joom Jeeri recevant le spectre royal : « Je souhaite être droit, devenir comme un rônier, ne craindre aucun regard, accomplir la justice. » Que feraient-ils de ces conseils du devin Baagumawel : « Ne soit ni dure pour les gens, ni méchant, ni coléreux. Marche avec douceur ; n’ordonne pas de tout faucher. Dans tes propos, ne laisse entrer nul mensonge : la fin de tout menteur est d’être corrompu. Le juste aura toujours raison même s’il est faible ».
Nietzsche n’avait-il pas dit : « Ce qui me bouleverse, ce n’est pas que tu m’aies menti, c’est que désormais, je ne pourrai plus te croire. »
Pouvons-nous croire que nous sommes libres si le jeu politicien doit encore être arbitré par l’Occident ? Cette stratégie ou manœuvre appelant des « maîtres blancs », souhaitant qu’ils fassent desserrer des liens de politique intérieure avant qu’ils ne se rompent, n’est-ce pas un étalage de limites politico-morales ? Une capitulation d’hommes et de femmes dont la mission historique est de s’affranchir et d’affranchir le Sénégal de toute tutelle étrangère ? Soixante ans après l’indépendance, si des politiques sont incapables de résoudre dans une perspective heureuse tous les problèmes qui se posent au Sénégal, ne sont-ils pas en faute par rapport à l’avenir ? Attendront-ils encore que des Occidentaux leur disent de passer par pertes et profits des morts de leurs soubresauts et de gérer le Sénégal pour la sauvegarde des intérêts des autres ?