IDY, LE CHALLENGER IDÉAL POUR MACKY
De nombreux proches du président Sall s’offusquent de l’annonce de la candidature d'Idrissa Seck. Sans doute qu’ils cèdent un peu trop facilement à l’émotion. Cette candidature semble tout à fait logique
L’ancien Premier ministre du Président Abdoulaye Wade et actuel président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Idrissa Seck, vient de déclarer sa candidature à l’élection présidentielle de 2024. L’annonce ne devrait pas surprendre, c’est en quelque sorte un train qui arrive à l’heure et, assurément, depuis la mise en service du Train Express Régional (Ter) par le Président Macky Sall, l’arrivée à l’heure des trains ne constitue plus un événement au Sénégal.
«Né pour être Président du Sénégal !»
Idrissa Seck ne pouvait pas ne pas briguer la magistrature suprême. Il écrivait sur son site internet depuis ses jeunes années : «I was born to be President» (je suis né pour être Président). C’est dire qu’il a raison quand il apostropha un journaliste, lors de sa conférence de presse, le vendredi 14 avril 2023 : «Est-ce que quelqu’un dans ce pays peut s’imaginer une élection présidentielle sans Idrissa Seck ?» Il s’était vu dans le costume du successeur de Me Abdoulaye Wade et avait clamé qu’il serait le quatrième Président du Sénégal. Ainsi, il cherchera à tuer le père pour se présenter contre lui à l’élection présidentielle du 25 février 2007. Il arrivera deuxième avec 14, 92% des voix, derrière Me Wade, réélu au premier tour avec 55, 90% des voix.
En briguant les suffrages des électeurs, Idrissa Seck avait dérouté son monde. A l’issue d’une longue «audience de Midi» qu’il accorda le 22 janvier 2007, à Idrissa Seck accompagné de Abdoul Aziz Sy Junior, le Président Wade avait annoncé que Idrissa Seck avait renoncé à sa propre candidature pour retrouver «la maison du père». Sa candidature fâcha le Président Wade. Mais deux ans plus tard, «Ngor si» reviendra auprès de «Gorgui», en prenant le chemin inverse de Macky Sall. Ce dernier rompit avec son mentor en 2009. N’empêche, en 2012, Idy contestera avec véhémence la troisième candidature du Président Wade et arrivera cinquième au premier tour avec 7, 86% des suffrages, derrière Abdoulaye Wade, Macky Sall, Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng. Malheureusement pour lui, il n’avait pas vu venir un certain Macky Sall, qu’il semblait regarder de haut, mais qui fit d’un coup d’essai un coup de maître et ravit la mise en battant le Président Wade au second tour avec plus de 65% des suffrages.
Idrissa Seck fera contre mauvaise fortune bon cœur. Il soutint Macky Sall au second tour et restera membre de la Coalition Benno bokk yaakaar (Bby). Certains de ses camarades du parti Rewmi seront appelés au gouvernement de Abdoul Mbaye. Seulement, Il rompit unilatéralement l’alliance en septembre 2013, mais ses compagnons (Pape Diouf et Oumar Guèye) refusèrent de le suivre et continueront de siéger en Conseil des ministres. Le plus naturellement du monde, Idrissa Seck déclara à nouveau sa candidature à l’élection présidentielle en 2019. Il arriva deuxième avec plus de 20% des voix, derrière Macky Sall, réélu au premier tour avec plus de 58% des voix.
En d’autres termes, et comme il le dit lui-même, tant qu’il lui restera un souffle, il cherchera à devenir Président du Sénégal. C’était donc une simple vue de l’esprit de penser que Idrissa Seck troquerait sa place de président du Cese ou une toute autre promesse, contre une candidature à l’élection présidentielle. Comment pourrait-il accepter pour Macky Sall ce qu’il avait toujours refusé à Abdoulaye Wade ? Il a tour à tour accusé Macky Sall de félonie, de traitrise et d’être un nul, avant de ravaler sa bave pour profiter des avantages de son régime. Il avait toujours fait de même avec le Président Wade. L’ancien Président Wade a entendu toutes les ignominies de la bouche de Idrissa Seck en 2004 et 2007, avant qu’il n’acceptât de réintégrer le Parti démocratique sénégalais (Pds) en 2009, à la faveur de «retrouvailles sincères et non ambiguës». Mais en tant que nouveau membre du Comité directeur du Pds, Idrissa Seck dénoncera violemment, en 2011, la troisième candidature de Me Wade et sera à nouveau exclu du Pds. Il se voyait le dauphin attitré du président Wade et devait défendre les couleurs du parti à l’élection présidentielle de 2012. On a vu que le dernier rapprochement avec le Président Wade et son départ avec fracas avaient fini de doucher sa cote de popularité. Il n’avait rien épargné au Président Wade et à son fils Karim Wade. Macky Sall, lui-même, avant d’être élu, en a eu pour son grade. Après une brève accalmie consécutive à son élection en 2012, Idrissa Seck reprendra les attaques contre lui en 2013.
L’histoire s’est ainsi répétée quand, contre toute attente, Idrissa Seck reviendra aux affaires en remplaçant, en novembre 2020, Mme Aminata Touré à la tête du Cese et en trouvant des strapontins notamment au gouvernement, pour ses camarades de parti Yankhoba Diatara et Aly Saleh Diop. A partir de ce moment, aux yeux de Idy, «la vision de Macky Sall dépassa Diamniadio».
Aujourd’hui Idrissa Seck vient de déclarer sa candidature pour 2024, en contestant, avec les mêmes arguments qu’en 2012, celle subodorée de Macky Sall. Il n’insulte pas encore Macky Sall, préférant diriger ses flèches venimeuses contre Abdoulaye Wade, son fils Karim, Ousmane Sonko et Khalifa Ababacar Sall. Peut-être parce que Macky Sall n’a pas encore officialisé sa candidature ou que Idrissa Seck tiendrait encore (pour combien de temps) à profiter des avantages et privilèges que lui offrent ses fonctions à la tête du Cese.
Une candidature qui ne devrait pas gêner Macky Sall
De nombreux proches du Président Sall s’offusquent de l’annonce de la candidature de Idrissa Seck. Sans doute qu’ils cèdent un peu trop facilement à l’émotion. Cette candidature semble tout à fait logique. Au corps défendant de Idrissa Seck, les annales politiques ne fleurissent pas d’exemples de personnalités politiques, arrivées deuxièmes à une élection présidentielle disputée par plusieurs candidats et qui n’aient pas cherché à tenter une nouvelle chance à l’élection suivante. On a toujours tendance à retenter le destin, surtout quand on a pu arriver si proche du but. Il s’y ajoute qu’aussi longtemps que le Président Sall n’aura pas éclairé la lanterne de ses partisans sur sa candidature, il peut être loisible à chacun d’exprimer ses ambitions.
Au demeurant, il semble écrit qu’une déclaration de candidature de Macky Sall ne pousserait nullement Idrissa Seck à retirer la sienne. En effet, Idy a manifestement choisi de s’écarter du principe d’une candidature concertée et unitaire au sein de la Coalition Benno bokk yaakaar ; une candidature toujours en gestation. Il a choisi de faire cavalier seul en annonçant une candidature qui pourrait paraître prématurée. C’est sans doute à ce seul titre qu’il peut apparaître légitime pour ses alliés de Bby, à qui il vient ainsi de tourner brutalement le dos, d’exiger qu’il en tire la conséquence de quitter la coalition et de renoncer aux positions qu’il y occupe grâce à cet alignement politique ou que le Président Sall le limoge parce qu’il aura rompu un principe fondamental de leur coalition. Ce serait aussi un moyen plus ou moins efficace d’empêcher que cette candidature ne fasse des émules au sein de Bby !
Il reste qu’à y regarder de plus près, la candidature de Idrissa Seck ne devrait pas manquer d’intérêt pour le Président Sall. Comme ce fut le cas avec le Président Wade en 2012, le dernier ralliement de Idrissa Seck au camp présidentiel en 2020, avec son jeu de yo-yo, ses volte-face, son inconstance, pour ne pas dire ses reniements, a semblé provoquer un effet néfaste sur sa cote de popularité. On a déjà pu observer que Idrissa Seck a perdu ses principaux soutiens politiques qui, pour la plupart, se sont tournés vers Ousmane Sonko. D’ailleurs, la saignée a été telle qu’il a fini par perdre son bastion électoral de Thiès qui était pourtant considéré comme inexpugnable.
Les débâcles à Thiès en 2022, aux élections locales et législatives, augurent d’une prochaine Présidentielle laborieuse ou même perdue d’avance pour Idrissa Seck. Il se présentera comme un candidat sans de grandes illusions et donc sans susciter une grosse phobie pour le camp présidentiel. S’il y a un petit bémol à faire, cela tiendrait à une forte idée d’un «dégagisme» d’un régime en place, que les électeurs voudraient sanctionner à tout prix, quitte à le remplacer par «un grand n’importe quoi». Les expériences des élections locales et législatives de 2022 peuvent servir de leçon. Toutefois, le spectacle offert lors de sa conférence de presse au cyber campus de Thiès a rendu sceptiques bien des gens quant aux bonnes facultés de Idrissa Seck à diriger un pays. Une campagne électorale tambours battants ne finira-t-elle pas par révéler des comportements, faits et gestes qui le disqualifieraient ? On peut le craindre.
Pour autant, cette candidature pourrait s’avérer utile ou opportune pour le Président Macky Sall. En effet, une candidature de Idrissa Seck, arrivé deuxième à la dernière Présidentielle (rappelons-le), donnerait du relief à la Présidentielle de 2024. La participation d’un poids politique non négligeable à cette élection, que devront manquer, une fois de plus, d’autres leaders jugés importants comme Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade, pourrait crédibiliser le scrutin. Les motifs de leurs condamnations pénales qui avaient empêché Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade d’être candidats à la Présidentielle de 2019 de même qu’aux Locales ou aux Législatives de 2022, demeurent. Ils ont décliné l’offre faite par Macky Sall du vote d’une loi d’amnistie. Le Président Sall aura toujours beau jeu de dire qu’il aurait bien voulu et souhaité les réhabiliter et les impliquer dans le jeu politique mais qu’il ne saurait faire le bonheur de quelqu’un contre son plein gré.
Barthélemy Dias, qui pourrait servir de supplétif à Khalifa Ababacar Sall, est aussi sous le coup d’une condamnation tout aussi électoralement «disqualifiante», dans l’affaire du meurtre de Ndiaga Diouf en 2011. La Cour suprême attend de vider le recours en Cassation. Ousmane Sonko, empêtré dans de nombreuses procédures judiciaires, risque des condamnations pénales qui l’écarteraient de la course de 2024. Il peut être rattrapé par des affaires comme les accusations de viols et autres sévices sexuels sur la dame Adji Sarr ou la plainte du policier Frédéric Napel pour mise en danger de la vie d’autrui, appel au meurtre, fausses accusations et diffamation, en sus de la procédure judiciaire ouverte par le ministre Mame Mbaye Niang. D’autres citations à comparaître devant la Justice pénale attendraient le leader du parti Pastef. Les avocats Mes Gaby So et Dior Diagne ont fini de préparer des actions judiciaires pour chercher à laver leur honneur qu’aurait terni Ousmane Sonko, si tant est que leurs actions judiciaires ne seraient pas déjà frappées de prescription.
Idrissa Seck sortirait ainsi du lot des candidatures déjà déclarées pour la Présidentielle de 2024. La face d’une élection crédible ou sérieuse sera ainsi sauvée. En quelque sorte, il serait un parfait faire-valoir. Idrissa Seck a fini de faire le deuil d’un soutien quelconque des Wade, qui le lui avaient refusé en 2019 et qui préféraient la réélection de Macky Sall (voir notre chronique du 4 février 2019). Le Président Wade avait préconisé l’abstention à la Présidentielle, une attitude qui ne pouvait compromettre les chances de Macky Sall, alors que Idrissa Seck lui avait donné toutes les assurances et garanties en contrepartie de son soutien. Tout porte à croire qu’à tout le moins, les Wade feront de même pour 2024 et leurs rapprochements supposés avec Macky Sall semblent irriter particulièrement Idrissa Seck. On en veut pour preuve ses nouvelles violentes diatribes, proférées la semaine dernière, contre «le père et le fils biologique». Il n’y a aucun risque de se tromper en affirmant que Karim Wade ne laissera pas son père apporter un soutien politique à Idrissa Seck.
Pour 2024, Idrissa Seck ne compte pas non plus sur un nouveau soutien de Khalifa Ababacar Sall. L’ancien maire de Dakar avait appelé à voter pour le candidat de la coalition Idy2019. Le nouveau candidat déclaré vient de mettre son ancien allié dont manifestement il n’attendrait plus rien, dans le même sac que Karim Wade, celui infamant «des voleurs de deniers publics». Quid de Ousmane Sonko ? C’est un secret de polichinelle que Idrissa Seck et lui ne se gobent pas du tout. C’est ainsi que Idrissa Seck a dû se faire violence pour se déguiser et aller lui rendre visite, à bord d’une moto et à l’heure du laitier, pour discuter de quels avenirs politiques. Idrissa Seck, qui faisait feu de tout bois, s’est senti obligé d’avouer la visite quand il a compris que le «tout Dakar» était au courant de l’entrevue. On peut considérer qu’il n’en a pas tiré un grand bénéfice ou encore moins une perspective d’un éventuel soutien. Ses attaques en règle contre le leader du parti Pastef, qu’il a traité d’immature et qu’il a véritablement tourné en dérision, le montrent éloquemment.
Quoi qu’il advienne, Idrissa Seck, avec de moindres atouts, sera certes un candidat diminué et peut-être sans illusions, mais fera face à Macky Sall. Cela devient une fatalité. Il ne saurait être question d’une entente quelconque ou un «deal» entre les deux hommes, mais par la force des choses, une candidature de Idrissa Seck sera tout bénéfice pour Macky Sall. Au surplus, si d’aventure une victoire, encore une fois très peu probable, de Idrissa Seck survenait, ce serait le meilleur scénario de défaite pour Macky Sall et ses proches. Ils auraient moins à craindre d’actions vengeresses de la part de Idy que d’un tout autre opposant. On ne trahirait pas non plus un quelconque secret en affirmant que le Président Sall va demander à rempiler en 2024. Si la moindre incertitude demeurait dans son esprit, il aurait déjà édifié ses partisans pour qu’ils se mettent déjà à préparer la Présidentielle avec d’autres atouts et un autre candidat.