REGARDEZ-NOUS MOURIR !
Comme si de rien n’était, « dure et triste fortune » ! Dans le journal de l’océan, dont Victor Hugo serait l’éditorialiste (voir Oceano nox), l’ouragan de leur vie remplit les pages.
Comme si de rien n’était, « dure et triste fortune » ! Dans le journal de l’océan, dont Victor Hugo serait l’éditorialiste (voir Oceano nox), l’ouragan de leur vie remplit les pages. Des rêves dans l’abîme, ils partent joyeux comme pour dire : Regardez-nous mourir ! Leur besoin de consolation est impossible à rassasier tant que des cœurs cèdent à la rhétorique politicienne. Convaincus qu’ils ne sont plus personne, ils ne voient plus ce qu’ils regardent. Ils ne croient plus ce qu’ils entendent.
Leur vie est leur scandale. Dans leurs obscures espérances, des lueurs de ténèbres. Riches de leur misère, ils paient des milliers, voire des millions de francs Cfa pour s’évader, s’échapper de leur existence, fuir leurs responsabilités. Et parce qu’« il n’y a pas de vent pour qui ne sait où aller » (Sénèque), dans des pirogues de la misère, ils voguent à la grâce du hasard sur l’océan de la mort. Un rituel de la fin auquel ils sacrifient sans se demander : Oh combien sont déjà partis après l’enthousiasme de l’alternance de 2000 ? Leur souvenir même étant enseveli. « Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire. Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire, sur le sombre océan jette le sombre oubli. Bientôt des yeux de tous (leur) ombre est disparue ».
« La plus grande richesse naturelle d’une collectivité, ce sont ses enfants. La collectivité ne peut s’enrichir que dans la mesure où elle parvient à donner confiance aux générations montantes, ainsi que le goût et les moyens de se surpasser... » (Alice Poznanska-Parizeau, journaliste et écrivain canadien). Là est l’envers du discours des illusions perdues. Un refus de promouvoir une mafia, un business sur un désir d’ailleurs comme seule impulsion pour réussir. Seulement, dans ce cours tempétueux où baigne le pays, parler c’est marteler des slogans qui nourrissent ce que la noblesse de la politique condamne.
Les mots ont rompu avec les principes. Vides de toute substance, ils sont des corps sans âme pour des enfants de malheur qui se sentent trahis. Forts de leurs perceptions, ils n’ont que leurs sanglots et, en échos, l’attente des rêves éveillés de leurs prochaines nuits. Or « l’attente détruit ce qu’elle attend ». Mais personne pour se jeter contre le rocher où s’abîment des discours hypocrites et menteurs. L’espoir n’étant pas une garantie contre la déception. D’ailleurs, selon André Comte-Sponville, espérer n’est pas vivre, c’est attendre de vivre. « Cette belle espérance, qui consiste à croire sans preuve, à adorer ce qu’on ignore et à attendre avec ferveur ce qu’on ne sait pas du tout », écrit Flaubert dans La tentation de Saint Antoine.
Pluie de candidatures, des électeurs emportés par des flots
Comment en finir avec les assauts impétueux ? Quels mots rationnels qui ne flattent plus que les passions, que le réel se réincarne dans les mémoires et les êtres ? Être réaliste, c’est « partir des réalités telles qu’elles sont et non telles que nous voudrions qu’elles soient, mais, bien plus fondamentalement encore, c’est ne jamais perdre de vue les valeurs que nous entendons servir ; c’est partir du réel pour le transformer dans le sens de l’idéal », enseigne le professeur émérite René Passet. Dans Pour un nouvel imaginaire de la politique, un ouvrage collectif, ce spécialiste du développement et militant altermondialiste, définit la politique comme « l’histoire du présent que l’on écrit chaque jour, et (qui) s’inscrit donc dans le long terme des évolutions qui mènent le monde. Dans ce sens, elle consiste à définir une grille de lecture du réel, à préciser la vision qui en résulte et à formuler des propositions en fonction des valeurs au nom desquelles des actions doivent être entreprises. Sans cela, elle n’est que bricolage, gesticulation sans perspective et affrontement de petites ambitions personnelles ».
Exubérance politicienne, querelles des ambitions, ombres qui disparaissent… Une pluie de candidatures quand « dans une mer sans fond, (…) sous l’aveugle océan, (des électeurs) à jamais enfouis ». Une Présidentielle sur de sombres étendues. Une rentrée avec des lieux de savoir jamais sanctuarisés. Un pire à redouter, un ravage des flots de toutes natures. Quelle stratégie, quelles méthodes pour préserver les écoles et les universités des soubresauts pré et post électoraux de 2024 ? Dans son livre Les dirigeants d’Afrique noire face à leur peuple, Seydou Badian n’aide-t-il pas à comprendre : « (…) la liberté pour chacun est de participer à ce qui intéresse la vie de la communauté, d’apporter son idée créatrice à l’ensemble. La liberté pour l’individu, c’est d’être un artisan conscient et écouté de sa propre vie à travers celle du groupe. » Aussi, écrit-il, « la démocratie existentielle est faite de lutte, donc de cohésion, d’ordre et de discipline. La liberté ici ne dégage pas des autres, mais au contraire intègre au noyau. La liberté sauvegarde et développe les liens, elle ne les détruit pas... ».